En France, le savoir du vin reste placé sous l’emprise des règles de la dégustation sensorielle*. Sous le magistère de cette méthodologie, la langue du vin s’abîme généralement dans un jargon impénétrable, prisonnier d’une trame rigide qui ne saurait souffrir d’aucune spontanéité. La dégustation sensorielle est fille de l’œnologie moderne dont l’un des grands chefs de file, Emile Peynaud, (maitre de chai au château Margaux) a systématisé les préceptes dans un livre fondateur : « Le goût du vin ».
Sous l’influence de l’école Peynaudienne, la maîtrise de la vinification accède à un niveau de sécurité jamais atteint : le vin s’uniformise par le haut ,à telle enseigne qu’il serait assez difficile aujourd’hui de commercialiser des vins affectés de graves défauts ( les casses) ou affligés d’une déviance aromatique . Ce que résumait assez bien une citation relayée par Hugh Johnson* : « Je ne sais pas si ce vin est bon ou mauvais, ce que je peux vous dire c’est qu’il a été vinifié par Peynaud ».
Reconnaissons la nécessité pour l’œnologie moderne de s’entourer d’une méthode d’analyse et d’un vocabulaire qui écarte à bon droit, les vins défectueux. Pour autant, née dans les chais à dessein de servir l’argumentaire de l’œnologue, cet apprentissage essaime jusqu’à constituer le vademecum du sommelier en posture d’interface entre le vigneron et l’amateur de vin. Ainsi, lorsque ce dernier s’empare sans recul de cette méthode, son langage tend à perdre en clarté ce qu’il gagne en complexité, susceptible tout au plus de renforcer l’angoisse du profane à l’égard du vin.
Plus largement, rappelons que ce sont les règles très codifiées de la dégustation analytique et sensorielle qui posent les fondements de la dégustation d’agrément, (aujourd’hui dénommée « contrôle produit » la sécurité alimentaire est passée par là), appelée à juger du destin d’un vin digne ou indigne de l’AOP. Sous le tamis de l’épreuve gustative, se détachent les vins obéissant au « type » de l’appellation. Qu’ils passent l’agrément est un fait, de là à donner de l’agrément, il n’y a qu’un verre que je ne saurais boire ! Pointons, non sans ironie, le flot des vins insipides se rengorgeant de leurs médailles attribuées complaisamment par les palais éprouvés de la dégustation sensorielle.
Le fameux cours d’œnologie, improprement qualifié, mais pareille approximation dénote bien la confusion régnante, achève de conforter le mythe, que la connaissance du vin se manifeste avec maestria dans l’art de la dégustation sensorielle.
Cet enseignement, érigé en véritable dogme, prospère sur une peur de la méconnaissance d’un savoir, il est vrai assez élitiste, car complexe mais surtout protéiforme. Et de constater qu’une telle approche emprunte la petite porte dérobée et donc l’accès le plus étriqué pour saisir les éléments de compréhension d’un vin. Le vocable traduit bien la démarche d’introspection qui procède d’une méthode éprouvée en œnologie pure, plus discutable pour transmettre l’amour du vin au grand public.
Le cours d’œnologie, accrédite le sentiment que la connaissance du vin requiert au préalable la maîtrise des règles techniciennes de la dégustation. Dès lors, tout professionnel se mettant en scène dans cet exercice, se doit d’appliquer un déroulé type, plaquant toujours les mêmes marronniers oratoires dans la description du vin.
Confronté à cette épreuve, le novice tourmenté est à même de se pétrifier. La méthode exerce sur lui un véritable conditionnement dans sa façon d’appréhender un vin, notamment par cette obligation d’identification systématique des senteurs. Le coffret d’arômes émane directement de cet emballage mental !
Ce mémento olfactif censé balayer toute la palette aromatique d’un vin porte à son absurde le mode opératoire bêtement appliqué de la dégustation sensorielle: Vous ne connaissez pas l’arôme de pivoine ? Reniflez le flacon, vous le retrouvez ensuite plus facilement dans le vin, au risque de spéculer un peu… Toujours pas ? Il fallait sans doute davantage vous rouler dans les prés durant votre prime jeunesse ! Le rappel aux évocations des senteurs d’enfance est un vrai leitmotiv des tenants de la méthode…
D’ailleurs cette surinterprétation excessive, quasi fantasmée, entache souvent l’exercice: Quel meilleur moyen pour le spécialiste du vin de garder son pouvoir, en décelant des arômes que le profane peine à humer ? Le discours flirte souvent avec les poncifs, les automatismes, usant d’un langage stéréotypé des plus hermétiques. Assurément, la mystérieuse minéralité qui affleure à l’envi dans chaque description d’un vin est un raccourci commode pour s’élever au-dessus de la perception basique du profane.
Faut-il préciser que l’appréciation d’un vin se place souvent sous l’influence d’une disposition d’esprit. Un lien intime, subjectif, soumis à bon nombre d’effets parasitaires le rendront changeant, différent. La dégustation analytique par son abord purement analytique désincarne le plaisir de la variabilité en sondant les vins de manière uniforme.
Seulement il y a lieu relativiser son rôle en terme d’outil de la connaissance, car elle n’exhume qu’un visage fragmentaire du vin, peu révélateur de sa véritable identité. Votre éveil au vin et l’apprentissage qui s’y rattache passe davantage par une vraie curiosité personnelle et une mise en perspective culturelle historique, géographique que dans l’initiation abstruse d’un cours « d’œnologie ». Pire ! La grille de lecture d’une dégustation sensorielle porte les germes d’erreurs d’interprétation :
Ainsi, l’examen visuel, plaidera en faveur d’une robe limpide, brillante et intense, critères de qualité d’un vin aidés dans ce sens par la filtration et les techniques modernes de clarification, voire les sulfites… qui donnent tout leur éclat aux robes. Dans une lecture purement sensorielle, le trouble sera systématiquement pointé comme un défaut, sans chercher d’autres éléments d’explication.
Sans défendre les robes opalescentes et le laxisme en vinification, faut-il comprendre que certains vignerons atténuent délibérément et avec réussite les effets appauvrissants de la filtration.
De la sorte, se limiter au simple constat (assez facile de repérer un vin non filtré!) pour le condamner sans appel sur les critères arbitraires d’une analyse technique, équivaut à un déni de leur travail.
Le même contresens se relève dans l’appréciation de la longueur en bouche qui tient lieu de marqueur suprême pour juger de la grandeur d’un vin. A l’aune des « caudalies », unités de mesure de la persistance aromatique intense (PAI), le risque est grand d’évincer la majorité des vins dits « bio » faisant valoir une autre dimension au vin .Tout le bénéfice de l’agrobiologie se perçoit dans des vins aux corps déliés associant un fruit exacerbé, ( limite dérangeant pour les palais non éprouvés) qui s’abstient généralement de déployer une finale explosive en l’absence de recours au maquillage de l’élevage.
Dépasser la mystification purement formaliste de l’analyse gustative pour vous plonger dans le décor caché d’un vin : son terroir, l’histoire du domaine, la vision et les choix du vigneron, la force paysagère du vignoble .Autant d’éléments inexprimés lors de la dégustation, se ralliant à l’essence même du vin. Mon propos plaide pour une autre approche, détachée des contingences de la dégustation. En l’occurrence, si nous voulons restituer une valeur culturelle au vin, dépositaire de notre patrimoine paysager et dernier témoin de notre civilisation rurale, gardons nous de le réduire à une simple boisson alcoolisée dont nous scrutons sans hauteur les qualités et les défauts sous le joug d’une méthodologie froide et clinique.
Grâce au pouvoir accordé à la dégustation, les professionnels de cette « scholastique » du vin influencent massivement les comportements d’achat. Robert Parker et ses épigones ont bien compris l’intérêt d’élever à son plus haut degré de sophistication cet examen purement formel, ils contribuent de la sorte à entretenir l’illusion que la connaissance du vin se réserve aux seuls initiés de dégustation.
Raphno
*Dégustation sensorielle : Méthode d’analyse sensorielle des qualités organoleptiques (se rattachant à son goût) d’un vin faisant l’objet d’une codification et d’une méthodologie appliquée par tous les professionnels du vin.
*Hugh Johnson et James Halliday, L’art du vin dans le monde, Hachette ,1992
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6 réponses à “Le cours d’œnologie : Entre supercherie et imposture”
Un point de vue intéressant! Vous êtes contre la dégustation sensorielle, mais que proposez-vous pour la remplacer? Le décor caché, la force paysagère du vignoble… Faut-il faire abstraction du goût alors. Une autre approche! Laquelle? Pouvez-vous développer?
Effectivement, si connaître le vin ne passe pas par essayer de comprendre le goût du produit, afin de le décrire et le différencier, comment fait-on pour enseigner sa compréhension ? Où apparait le terroir, s’il n’est pas perceptible au goût ? A quoi sert de vinifier différemment d’un autre, utiliser des cépages indigènes, préférer tel ou tel choix technologique si l’on ne peut pas tenter de l’appréhender par l’approche de la dégustation ?
Disons qu’il y a sans doute une erreur de méthodologie à vouloir se cristalliser sur la dégustation et d’en faire un préalable. Bien entendu la dégustation est indispensable à l’apprentissage du vin, mais elle sera d’autant plus efficiente dans le cadre d’une mise en perspective . La dégustation ne révèle pas tout , or elle a été dressée de manière réductrice comme l’outil de la connaissance du vin . Il s’agit surtout d’en finir avec une formation du vin qui accorde trop de place aux arguties de cet exercice hyper formaliste. Combien de jeunes sommeliers sortis frais émoulus de nos écoles hôtelières , parfaitement rompus aux règles de la dégustation et profondément ignorants sur la dimension historique et géographique des vins? Cela enlève forcément du fond à leur discours. Ce petit pamphlet vise à faire prendre conscience que l’enseignement du vin a besoin d’être dépoussiéré, à l’heure ou le monde viticole est lui aussi en pleine transformation.
Pour ce qui est de la méthodologie , je vous renvoie à une association qui s’appelle Vertivin à Vertou. l’un de ses animateurs sylvain Gombault s’emploie dans ses séances à présenter sous ses multiples facettes le thème étudié ( histoire , géographie, géologie , commerce, oenologie) . Le moment de la dégustation est un échange entre les participants , l’animateur se met en retrait, il opine seulement pour donner des éclairages sur des éléments qui peuvent expliquer les sensations gustatives perçues.En somme une exigence de connaissance précède la dégustation et vient même lui donner du sens , c’est ce que j’appelle le boire intelligemment qui recèle deux plaisirs: celui de la compréhension et celui du goût.
Merci pour votre intérêt manifesté pour cet article.
De grandes généralités parsemées de jugements, aucun argument factuel, une opinion assénée à coup de superlatifs et d’expressions très légèrement exagérées, (« novice tourmenté », « initiation abstruse » ou « surinterprétation fantasmée »), bref non pas de la réinformation mais de la désinformation en bonne et due forme !
Dommage, l’idée de fond de votre « article » est intéressante, et la philosophie de dégustation dont vous parlez dans votre commentaire du 20 janvier est bien celle que nous partageons au sein de notre association de dégustation. Hélas, vous avez fait de votre tribune un crachoir malodorant…
Hum… je vous sens un brin outrancier dans votre commentaire , je pense avoir étayé quelque peu mon point de vue. Votre crachoir malodorant .
Erratum: Dans mon commentaire du 20 janvier, il s’agit de Jocelyn Gombault , animateur du groupe Vertivingstone au sein de l’association Vertivin.Le blog de l’association relate avec précision et clarté les compte rendus des séances de dégustation.