C’est une vieille ficelle de la sommellerie que d’associer au fromage le vin issu du même terroir. L’exercice tombe souvent dans un accord opportuniste, usité avec un systématisme plaidant le manque d’imagination, dont la redondance tend à enchaîner le vin à un seul fromage. Certes, l’association d’un sauvignon gracile et fruité montre toute sa pertinence sur la fraîcheur lactique et parfumée d’un chèvre saisonnier de Touraine. A contrario, l’Ami du Chambertin (fromage de type Époisses) aux senteurs pénétrantes, est loin d’être un compagnon bienveillant pour le délicat bouquet du Chambertin !
Alors, le curé nantais est-il prédestiné à s’unir avec le muscadet sous la complaisante caution du terroir? Trouver l’harmonie autour de leur alliance n’a rien d’une évidence, loin s’en faut ! Le fromage en lui-même dévoile une personnalité plutôt rétive à s’entendre avec le vin. Cette spécialité fromagère à pâte molle et croûte lavée, échaude les velléités d’accord par sa consistance et sa relative douceur, lorsque l’affinage n’est pas très poussé. Pourtant, son succès ne se dément pas, la nouvelle laiterie ultra-moderne située à l’entrée de Pornic, témoigne de l’engouement pour notre fromage local dont le prix n’a cessé de se renchérir. Sa faculté à s’associer avec d’autres aliments et condiments, dicte les conditions de sa relation avec le muscadet et ses personnalités multiples. C’est dans la diversité des accompagnements qu’il convient de trouver les bonnes combinaisons.
Le curé est un fromage qui se prête au chaud, il possède les propriétés d’un fromage de fondu et son emploi dans une galette de sarrasin est très avisé .Malgré tout, sur un tel classique, mieux vaut renoncer au choix du muscadet qui n’atteindra jamais la grâce d’un bon cidre. Le résiduel de sucre relayé par une fine effervescence stimule et adoucit le gras du fromage, plus prégnant à l’état chaud. Autant se diriger vers l’excellence avec les cidres d’Eric Bordelet en Mayenne, animés d’une bulle chatouilleuse et dotés d’un sucré subtil, le nec en matière de production cidricole.
Fondu, le curé fournit aussi une très belle entrée dans une feuille de brick, il gagne à être rehaussé d’une épice (curry) et d’un miel assez doux (pas celui du sapin ou du châtaigner) afin de contrecarrer son gras, dans cet esprit, l’agrément d’une salade de mâche parsemée de fruits secs et de noix fera diversion sur la richesse du fromage qui ressort en cuisson.
Le contraste du sucre lui sied à merveille : sur des toasts de pain d’épice, en panure escortée d’une gelée de poire, le curé révèle une saveur puissante de fromage au lait de vache qui s’s’apaise au contact de l’épice et du sucre.
Sur ce type de préparations, un muscadet de matière se prévalant d’une certaine évolution (4 à 5 ans) viendra opposer son ampleur et sa complexité devant la diversité des saveurs. Vous le trouverez parmi les crus communaux dont l’élevage sur lie prolongé, donne le volume nécessaire pour s’aventurer sur un accord sucré/salé. Au surplus, l’antagonisme se jouant entre la fraîcheur du vin et le chaud du plat, apporte un vrai plaisir tactile.
Plus trivialement, le curé Nantais peut évincer l’anonyme emmental industriel dans un cordon bleu « maison » amélioré. L’escalope de poulet panée y puisera un supplément de goût permettant de placer avantageusement un muscadet tendre et fruité de type côte de Grand-lieu . Alors que le vin rouge aura tendance à se bloquer face à la richesse du plat, la vivacité du muscadet sera en mesure d’apporter la meilleure des répliques. Là encore l’alliance tire bénéfice de la différence de température.
Froid, le curé se montre plus revêche à l’endroit du vin, sa texture pâteuse est un frein à l’expression des flaveurs. Si le muscadet peut appliquer son tranchant acidulé pour réveiller la texture compacte du fromage, il risque de ne pas avoir l’allant nécessaire pour suivre sa persistance aromatique… Le péril réside dans sa douceur, susceptible d’affadir la présence du vin, dès lors le fromage prend l’ascendant !
Paradoxalement, n’escomptez pas trouver davantage de potentialités sur le curé affiné au muscadet, marqué par son goût prononcé et acidulé, il aura grand-peine à se montrer plus loquace. Pour sortir le muscadet de son mutisme, la compagnie d’une bonne salade de mâche assaisonnée d’une vinaigrette relevée au gingembre dans une liaison miel citron, revêt quelques vertus. Notamment de rendre le curé plus digeste et d’établir un « pont » avec l’acidité du vin. Dans ce cadre, l’accord n’est certes pas antinomique, mais il n’a rien d’une vérité établie !au grand dam de la codification du genre par la sommellerie.
Raphno
Photo : DR
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2 réponses à “Curé nantais et muscadet : Les dessous d’une alliance malaisée”
Vous avez trop bu à Breizh Info pour la nouvelle année ? vous nous faites maintenant la promotion du cidre de Mayenne au détriment des cidres bretons ! il va falloir vous ressaisir rapidement je pense !
Lol, je croyais qu’il s’agissait d’abord d’un article sur le vin utilisé à la messe en cette chère ville de Nantes. Sujet qui pourrait être intéressant, au demeurant.