Les mots s’usent, se pervertissent, se trahissent. L’« écologie politique », que prônent un quarteron d’affairistes, dont le fonds de commerce s’éploie glorieusement entre les limites spongieuses du radicalisme de gauche, aux marécages nécrosés du gauchisme radical, ne fait vivre que de petits commerçants en peine de marché, qui peinent à trouver une clientèle fidèle, et encore davantage un pas-de-porte dans l’allée du pouvoir. Ces déchets rejetés par la vague soixante-huitarde n’ont d’ambition que de se recycler en modestes convives du dîner du Siècle.
Ils ont déshonoré, au même titre que le mot « politique », de respectueuse mémoire, celui d’« écologie », si émouvant, car il suggère une mise en ordre raisonnée de notre maison (oikos). Le terme « économie », quant à lui, évoque les lois (nomoi) de la demeure. S’agit-il donc de la même bâtisse ?
Rien de plus philosophique que ces deux vocables ! Ils touchent le plus intime de notre existence. On sait que l’homme est un Homo faber, un artifex, un créateur d’outils, et qu’il vit en grande partie dans un milieu transformé à sa guise. En cherchant les lois qui ont déterminé son être prométhéen, il tente de déceler la clé du bonheur. L’économie politique n’a jamais trouvé cette pierre philosophale, qui s’est parfois métamorphosée en porte des enfers. Aujourd’hui, l’économie est un piège à gogos, une foire aux bonimenteurs, un serment de poivrots.
L’écologie semble frôler les nostalgies enfouies dans notre longue mémoire, l’aube irisée d’un âge d’or que nous aurions perdu, un lieu, un moment, où nous possédions un langage commun avec les bêtes et les dieux. En fabriquant, c’est-à-dire en ne retrouvant une nature dénaturée qu’indirectement, et définitivement marquée au fer de nos fantasmes, de nos caprices, de nos folies, l’homme a eu l’impression d’avoir perdu quelque chose, peut-être l’essentiel.
À partir de quel moment s’est-il arraché à son être ? Le mythe y répond : in illo tempore, en ce temps-là. Mais quel temps ? Peut-être ce temps perdure-t-il, immobile, étouffant notre souffle avec la poire d’angoisse pérenne d’une liberté illusoire…
Notre époque est celle de l’artifice triomphant. Nous somme en voie de recréer l’homme, un être cybernétique. Déjà, la majorité des humains vit dans la ville, d’autres ne portent même plus le nom de « paysans ». Et pourtant, nous savons que nous tuons tout ce que nous touchons, comme Midas : animaux, végétaux, beauté, équilibre, santé, bonheur, et même parfois des hommes, espèce nuisible et maudite.
Le productivisme, l’industrialisme, l’arraisonnement du biologique, le technicisme, le scientisme, tous ces « ismes » qui coupent l’homme avant qu’il ne soit l’animal qu’il devrait encore être, sont notre part maudite, l’hybris de notre race. L’écologie alternative, de ce fait, ne saurait être qu’un anti-humanisme.
Ce qui ne signifie pas qu’elle ne parvienne à être, in fine, humaine.
Claude Bourrinet
Source : Boulevard Voltaire