29/12/2014 ‑07H00 Nantes (Breizh-info.com) ‑ On apprend de drôles de choses dans le rapport que la Chambre régionale des comptes des Pays de la Loire vient de publier sur la gestion du « spectacle vivant » par la ville de Nantes.
D’abord, contrairement à ce que la municipalité Ayrault a longtemps laissé croire, Nantes n’est pas la ville de France qui accorde le plus de place à la culture : les charges de fonctionnement attribuées à la fonction culture se situent « dans la moyenne des villes comparables ». Cela en fait quand même le premier poste communal de dépenses avec 59,8 millions d’euros en 2012.
Les subventions à des tiers représentent 57 % des dépenses, et la part du lion va au « spectacle vivant », c’est-à-dire à la « rencontre physique entre des interprètes, un public et une oeuvre artistique ». Sur les trois exercices 2009 à 2011, 59 millions d’euros ont été distribués à 192 structures différentes ; en 2012, l’enveloppe est passée à 23,3 millions d’euros. Mais la répartition de cette manne est très inégalitaire. La Chambre a établi un tableau éloquent :
2009-2011 | 2012 | |
Nombre de structures regroupant 25 % du total des contributions | 1 | 2 |
Nombre de structures regroupant 50 % du total des contributions | 3 | 4 |
Nombre de structures regroupant 75 % du total des contributions | 8 | 9 |
Nombre de structures regroupant 90 % du total des contributions | 19 | 23 |
L’essentiel du gâteau va donc à un très petit nombre d’entités. En tête vient Angers Nantes Opéra, suivi par Le Lieu Unique et l’Orchestre national des Pays de la Loire. Royal de Luxe n’arrive pas loin derrière. « L’appui à la création de structures ou leur création en direct sont des modes privilégiés des pouvoirs publics pour modeler l’offre de spectacle vivant sur leur territoire », note la Chambre régionale des comptes. Autrement dit, la municipalité de Jean-Marc Ayrault a confié à quelques associations amies le soin de piloter un large pan de sa politique culturelle sans devoir en rendre compte devant les électeurs…
La Chambre se penche en particulier sur le cas de Stéréolux, ensemble de salles de diffusion de « musiques actuelles » géré par l’association Songo et entré en service en 2011 en prenant la suite de l’Olympic. Le nombre de concerts a augmenté de 27 %, le nombre de spectateurs de 45 %, le chiffre d’affaires de 63 %, l’équipe permanente de 64 % et les subventions de la ville de Nantes de… 306 %, passant de 615.000 euros à 1,88 million d’euros ! Également cantonnée sur l’île de Nantes, l’association Trempolino essuie aussi les critiques de la Chambre pour son évolution « peu maîtrisée » : ses subventions sont passées de 250.000 euros en 2007 à plus d’un million d’euros en 2013. La Chambre n’est pas seule à s’inquiéter : la direction de la prévision de la ville de Nantes a tiré le signal d’alarme devant le dérapage des charges de ces deux associations.
Royal de Luxe a aussi constitué un morceau de choix pour l’enquête de la Chambre, qui a dressé un tableau des montants versés par la ville de 2009 à 2013 :
En k€ | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | Total |
Subvention de fonctionnement | 295 | 300 | 300 | 300 | 300 | 1 495 |
Création et diffusion | 745 | 0 | 930 | 800 | 1 850 | 4 325 |
Total | 1 040 | 300 | 1 230 | 1 100 | 2 150 | 5 820 |
« Pour le spectacle du printemps 2014, la subvention de la Ville de Nantes est estimée à plus de 2 M€ », ajoute la Chambre. Pour quatre spectacles seulement, Royal de Luxe aurait ainsi perçu au total quelque 8 millions d’euros ! « Cette situation (…) pose question », note pudiquement la Chambre, qui relève en outre que Royal de Luxe se trouve « dans une situation de monopole concernant les arts de la rue alors même que son modèle économique est en total décalage par rapport aux normes de la discipline ». D’où ce paradoxe : Nantes dépense énormément d’argent pour les arts de la rue mais, puisque tout va à Royal de Luxe, les Nantais voient moins de spectacles de rue que la moyenne des Français !
Les artistes nantais méprisés
L’argent facile ne rend pas les programmateurs plus audacieux. « Pour le théâtre, il s’avère ainsi que 18 % des spectacles programmés par les trois principaux théâtres nantais sont coproduits », contre 33 % dans les théâtres de comparaison. Mais il y a plus grave : les structures nantaises sont peu tournées vers les artistes nantais ; « l’indicateur du nombre de représentations impliquant des artistes de la ville est également significatif », souligne la Chambre. Seul le théâtre universitaire est comparable aux structures des autres villes, qui s’inscrivent dans « une fourchette allant de 19 % (Rennes) à 51 % (Lille) ». Le Lieu Unique ne dépasse pas 13 %, le Grand T 12 %. « En moyenne, les structures nantaises réservent 21 % de leurs représentations à des compagnies nantaises et régionales contre 36 % dans les villes de comparaison. »
La danse est traitée à peu près comme ailleurs, en proportion, « mais pour un volume de représentations plus faible ». L’opéra, lui est dans la moyenne nationale : le taux des spectacles produits par lui atteint 86 %, contre 84 % ailleurs. Une bonne chose ? Pas vraiment : les productions circulent très peu entre les différentes maisons. « Ce manque de fluidité peut aboutir, au plan national, à ce qu’un même opéra soit produit simultanément par plusieurs structures différentes », souligne la Chambre. Et elle en donne un exemple tristement cocasse : « au cours des saisons 2012/2013 et 2013/2014, la Traviata de Verdi a été produite dans cinq versions différentes par les opéras de Paris, Montpellier, Marseille, Nantes et, en coproduction, par Limoges, Rennes et Reims ».
Vu les montants en cause, on s’imaginerait que la ville de Nantes se montre pointilleuse dans le suivi des associations subventionnés. Ce n’est pas le cas ; il est vrai qu’on se trouve généralement entre amis… « La plupart des dossiers comportent des comptes rendus financiers insuffisamment complets », constate ainsi la Chambre, ce qui ne permet pas de vérifier que la subvention est « utilisée à bon escient ». Des pièces justificatives manquent aussi dans beaucoup de dossiers de demande de subvention. L’un des cas les plus opaques est celui du CREA, programmateur de La Folle Journée.
Grosses subventions pour des spectateurs âgés et aisés
Que sait-on des spectateurs ? La question est d’importance. La ville de Nantes prétend développer l’offre culturelle en faveur du jeune public. Certaines structures (La Folle Journée, Le Grand T…) la suivent dans cette voie. D’autres s’en exemptent délibérément. Ainsi, « la programmation du Lieu Unique n’est, selon ses responsables, pas adaptée à un public familial » et l’Opéra ne s’entrouvre qu’épisodiquement au jeune public. Ces lacunes sont en franche contradiction avec les cahiers des charges nationaux des opéras et des scènes nationales, et pourtant Nantes les valide sans vergogne. Elle montre ainsi combien son engagement en faveur du jeune public est, dans les faits, limité.
Plus généralement, « l’âge des spectateurs constitue un indicateur pertinent pour mesurer la réussite de l’un des objectifs des politiques de spectacle vivant, à savoir le renouvellement du public », explique la Chambre régionale des comptes. À Nantes, les données disponibles sont rares ; Le Lieu Unique, en particulier, « n’apporte pas de renseignement sur cette question ». Angers Nantes Opéra, La Folle Journée et Stéréolux sont mieux informés. Et révèlent que le public des spectateurs est en moyenne âgé, sauf bien sûr chez Olympic/Stéréolux, spécialiste des musiques actuelles. Même là, pourtant, le public vieillit : la proportion de ses abonnés de moins de 25 ans a été divisée par deux en douze ans (62 % en 2001, 31 % à présent).
Sur le plan social, indique la Chambre « il s’avère que le public desretraités et des cadres et professions intellectuelles est bien plus représenté que sa proportion réelle au sein de la population alors que celui des employés, ouvriers et professions intermédiaires est moins représenté ». Il en va de même dans toute la France. Mais justement, en contrôlant de près la vie culturelle, la municipalité Ayrault prétendait aller vers plus de mixité sociale : au bout de vingt-trois ans, le résultat n’est pas convaincant.
De même pour ses prétentions à l’attractivité culturelle : les spectacles nantais attirent peu de spectateurs extérieurs au département de Loire-Atlantique, sauf ceux de Stéréolux (20 %) et de La Folle Journée (40 %). Quant aux Nantais proprement dits, qui versent l’essentiel des subventions, ils ne représentent qu’entre 50 % et 60 % du public… alors que « entre le quart et le tiers du public provient des autres communes de la Communauté urbaine et environ 15 % du reste du département ». Or aucune instance ne s’interroge sur les « charges de centralité » ainsi supportées par les Nantais.
Mais comme les spectateurs sont finalement peu nombreux, chacun bénéficie en fin de compte de subventions publiques importantes. Ainsi, « un spectateur moyen assistant à une représentation sera bénéficiaire d’une contribution de la ville de Nantes, par exemple, de 65 € au Lieu Unique, de 31 € au TU, de 132 € à l’opéra et de 18 € au Stéréolux ». Sans jamais se départir de son style policé, la Chambre régionale des comptes dépeint donc au total la situation laissée en legs par Jean-Marc Ayrault comme particulièrement médiocre.
Une réponse à “La politique du spectacle vivant à Nantes est calamiteuse”
La recette socialiste c’est : culture hors sol et arrosage copieux des potes, quand à la culture véritable ils ignorent totalement en bons tenants de la table rase. Le nantais paie, vive le nantais.