21/11/2014 – 08h00 Flandres (Breizh-info.com) –En 1927, le peintre Kees Van Dongen (1877-1968) publie un court essai : « Histoire décousue de la vie de Rembrandt ». Devenu introuvable, il est réédité (hors commerce) par la mairie de Paris, en 1992.
D’origine néerlandaise, Van Dongen avait très tôt rallié les avant-gardes. Il se range d’abord dans le groupe des Fauves puis il côtoie « Brücke Die » (Le Pont), parti de Dresde avec comme têtes de file Nolde, Kircher, des artistes « dégénérés » selon les nazis. Il se sent proche aussi des courants anarchistes et collabore à « L’Assiette au beurre ». Le cataclysme de la Grande Guerre assagit Van Dongen. Il donne, avec talent, dans le portrait mondain qui fera sa réputation. Il retourne aussi à ses racines. Ce qui donne en préambule à son « Rembrandt » cet acte de foi et de confiance dans le génie de son peuple, de ceux qui « se glorifient » du titre de gueux (terme de dédain qu’on applique à des gens de mauvaise apparence, dit le Littré) maîtres d’eux-mêmes à n’importe quel prix, coureurs du monde pour rester libres. Une page étonnante. Qui aujourd’hui, dans l’établissement, se risquerait à un tel manifeste ?
Jean Heurtin
« Vers 1600, la Hollande est une République. Les Hollandais sont des hommes rudes et forts, qui toujours luttent contre les éléments, contre la mer surtout, cette gueuse à qui il faut des gueux comme amants.
Ils se glorifient de ce titre de gueux ; ils naissent, vivent et meurent en mer ; et ceux qui naissent sur les îles ou sur la terre marécageuse coupée par des fleuves, des rivières et des canaux, n’en respirent pas moins l’air salin venu du large, et sont marins quand même.
Le ciel et la mer ont enfanté leur pays. Le ciel est immense et glorieux, tantôt traversé par de grands nuages blancs ou gris, d’un gris nacré et lumineux ; tantôt plein d’eau, noir, trouble et triste ; tantôt bleu, d’un bleu vaporeux et léger, à travers lequel le soleil joue et diffuse ses rayons.
Le pays est plat et vaste, vert et bleu ; ses limites s’éloignent quand on croit s’en approcher ; ni la Hollande ni les Hollandais ne connaissent de frontières.
Aussi les indigènes de ce pays étrange naviguent-ils toujours autour du monde. Leur force est prodigieuse, leur audace flegmatique. Parfois, ils rencontrent sur leurs routes marines, d’autres marins, d’autres gueux ; et alors ils se battent, car ils veulent être libres et aller où bon leur semble. La liberté est leur idéal, la lutte leur raison d’être.
Ils sont grands et blonds ; ils pillent et ripaillent comme tous les hommes forts ; et, selon le caprice de l’heure, ils hurlent des psaumes ou des chansons grivoises. Leurs ennemis sont les Espagnols et les Anglais, ripailleurs et audacieux comme eux, cherchant fortune comme eux, et comme eux craignant et blasphémant Dieu.
Une légende dit que les gueux de Hollande ont un vaisseau célèbre, craint par tous les navigateurs, un vaisseau fantôme « Le Hollandais volant » que jamais aucun ennemi n’a pu aborder, et que ce vaisseau court toujours les mers.
Amsterdam est leur tanière. Là, ils entassent toutes les richesses volées aux autres peuples.
En 1638, Pierre-Henri, capitaine d’une flotille de gueux, prend et rentre au port d’Amsterdam toute une Armada espagnole, la « flotte d’argent » que les Espagnols dirigeaient vers leur pays chargée de trésors, qu’ils avaient volés naturellement.
Le capitaine Tromp livre trente-deux combats sur mer.
Le capitaine Ter Heyde bat en 1653, près des Dunes, la flotte anglaise, et traverse le pas de Calais avec un balai à son grand mât, pour indiquer qu’il l’a nettoyé des Anglais.
Le capitaine de Ruyter, autre pirate, se porte en juin 1667, à l’embouchure de la Tamise dont il ferme l’issue.
Ainsi, c’est partout et toujours le vol à main armée qui règne en maître ; et les Hollandais sont fiers de ces faits d’armes ; ils honorent et glorifient leurs héros.
Rien ne change jamais dans le monde, sinon les procédés. C’est la force et la ruse qui gouvernent et créent.
Kees Van Dongen
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