De retour d’un important voyage en Azerbaïdjan, Jean Bothorel a confié à Breizh-info, en exclusivité pour la France, son analyse des perspectives de ce pays-clef.
L’Azerbaïdjan accueillera en juin prochain les premiers Jeux européens dans l’esprit de l’olympisme et dans la continuité des Jeux sud-américains, africains et asiatiques qui existent depuis plusieurs décennies. Situé au carrefour de l’Europe et de l’Asie centrale, dans cette vaste zone d’une rare complexité ethnique, religieuse, culturelle, l’Azerbaïdjan est un pays que l’on serait bien inspiré d’observer avec attention et sans à priori.
Ce territoire grand comme le Portugal, qui compte un peu plus de neuf millions d’habitants, se doit de s’accommoder avec deux puissants voisins – la Russie, l’Iran –, avec les enjeux énergétiques considérables de la mer Caspienne, avec les aspirations tutélaires de la Turquie, avec les incertitudes qui pèsent sur la Géorgie, enfin avec les prétentions de l’Arménie qui occupe, depuis 1993, le Haut-Karabakh, une province rattachée à l’Azerbaïdjan. Il convient de rappeler que l’effondrement de l’URSS, par ailleurs plutôt pacifique, s’est traduit au Caucase par une série de conflits (Ossétie du Sud, Abkhazie, Haut-Karabakh, Tchétchénie…) qui sont, en 2014, loin d’être résolus.
Tenir debout dans cet environnement et au milieu de cette poudrière relève de la gageure. Non seulement la nation azerbaïdjanaise tient debout, mais elle a su garantir son indépendance, sa stabilité, comme elle a su prendre en marche le train de la mondialisation et entrer dans la postmodernité. En vingt ans, Bakou s’est littéralement métamorphosée pour s’aligner sur les capitales des pays émergents, tandis que les villes et les villages ruraux n’ont plus aucun des stigmates du sous-développement. En fait, l’Azerbaïdjan a initié un modèle de pouvoir que l’on pourrait qualifier d’« oligarchie tempérée », dans le sens où Taine et Maistre défendaient la « monarchie tempérée ».
Chez nous, le terme « oligarchie » a mauvaise presse. Sans doute a-t-on oublié que dans la Cité grecque, le régime oligarchique s’opposait à la tyrannie. Quoi qu’il en soit, dans une oligarchie, un groupe restreint de citoyens détient le pouvoir, l’assume sans complexes et sans la sanction des urnes. Heydar Aliyev, véritable père fondateur de l’Azerbaïdjan actuel, qui prend le pouvoir en juin 1993, va instaurer un système de type oligarchique en s’appuyant sur la rente pétrolière – l’or noir est la richesse du pays – et en s’efforçant, indiscutablement, d’améliorer les conditions sociales de ses concitoyens.
Le pays, qui connaît alors un boom économique, jusqu’à 17 % de croissance annuelle, découvre, évidemment, les vertus de la corruption. Toutefois, si Heydar Aliyev gouverne avec fermeté, s’il n’est pas insensible au culte de sa personnalité, globalement les libertés sont respectées. Son fils, Ilham Aliyev, lui succède en 2003. L’oligarchie azerbaïdjanaise s’affine, se tempère. Des élections législatives ont lieu en novembre 2005 – la Chambre compte 125 députés. Elles susciteront d’importants mouvements d’hostilité qui n’aboutiront pas à la chute du régime. Depuis, il y a eu deux élections présidentielles qui ont reconduit Ilham Aliyev ; depuis, en particulier en 2011, il y a eu une vingtaine d’arrestations d’opposants, dont des clandestins du Parti islamique d’Azerbaïdjan.
Peut-on pour autant parler de « despotisme » ? L’équation que doit résoudre le pouvoir en place n’est pas simple : le pays, pour riche qu’il soit, et ethniquement homogène (90 % de la population est azirie), doit composer avec un exceptionnel kaléidoscope religieux, des chiites, des sunnites, des orthodoxes, des juifs, quelques évangélistes, catholiques, protestants. Force est d’admettre qu’ici, l’islam, bien que majoritaire (94 %), est très souple ; on entend peu le muezzin, on boit de l’alcool et on ne croise pas de femmes voilées. L’État est laïc et a fait de la tolérance un principe qui n’est pas un slogan. D’ailleurs, un « Centre de tolérance » a été créé à Bakou et, selon les représentants des différentes religions, les tensions interreligieuses n’existent pas. À Guba, au pied du grand Caucase, l’importante communauté juive – les « Juifs des montagnes » – vit dans l’harmonie avec son environnement. Pour maintenir ce climat, le pouvoir n’hésite pas à réprimer la moindre manifestation d’un radicalisme religieux, surtout si elle se cache derrière des appels à la démocratie. A-t-il d’autre choix ?
En tout cas, l’Azerbaïdjan existe et progresse. Son régime oligarchique tempéré lui a donné, jusqu’à présent, la sécurité par la défense de sa souveraineté, la réputation par sa diplomatie, la prospérité par la paix économique, la reprise de sa conscience nationale par la mise en valeur de toutes les énergies locales. À l’aune du succès enregistré par l’Azerbaïdjan, on pense, bien sûr, à Singapour, dont le régime dominé par Lee Kuang Yew, puis son fils Lee Hsien Loong, est également un prototype d’oligarchie tempérée. Il est probable, sinon certain, que l’Azerbaïdjan sera, d’ici à dix ans, le Singapour de l’Eurasie.
Jean Bothorel
Photo Claude TRUONG-NGOC/Wikimedia (cc)
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4 réponses à “Azerbaïdjan : une oligarchie tempérée”
Article élogieux pour ce « nouveau » pays d’Asie Centrale.
Toutefois il ne faudrait pas en faire un modèle de tolérance car dans l’Est de ce pays se battent des Arméniens pour leur indépendance (cf. le Nagorno-Karabagh). Où l’Azerbaijan refuse de leur accorder une once d’autonomie sous prétexte d’indivisibilité de l’Azerbaijan (cela ne vous rapelle -t-il pas quelque chose?)
Cela s’est traduit par une guerre dans les années 90-2000 et on a failli assiter à un progrom des arméniens par les azerbaijanais. Les habitants du Haut-Karabagh ont pris les armes pour se défendre et avec l’appui de l’Arménie voisine ont déclaré leur indépendance, sans toutefois réussir à se séparer défintivement de l’Azerbaijan. Moralité : on assiste maintenant à une guerre gélée, où la moindre étincelle peut remettre le feu aux poudres.
« enfin avec les prétentions de l’Arménie qui occupe, depuis 1993, le Haut-Karabakh, une province rattachée à l’Azerbaïdjan »
N’importe quoi. L’Arménie n’occupe pas, elle est chez elle. La population du Karabagh est à majorité arménienne. Et l’Arménie a payé le prix fort pour avoir protégé ses compatriotes. Les pogroms de Sumgaït et de Bakou, le blocus économique, l’hiver 1992/93, les années noires (dans le sens littéral du mot : du crépuscule à l’aube), etc.
Et sinon, ça paye bien d’écrire pour l’une des pires dictatures de la planète ?
Pour un compte-rendu réaliste de ce qu’est l’Azerbaïdjan, rendez-vous sur les sites de Reporters Sans Frontières, Article 19, Human Rights Watch ou Amnesty International ….
Si la démonstration visait à prouver d’une oligarchie « éclairée » est préférable à une démocratie « de gauchistes », mal vous en a pris. Vous ignorez comme tant d’autres choses (notamment la situation des arméniens, citées plus haut) que le régime autoritaire azéri, dans sa volonté de se maintenir au pouvoir et de museler l’opposition, profite avidement des ressources du pays et a laissé se développer sur son sol les réseaux islamistes qui aujourd’hui alimentent Daesh.
Démonstration caduque, crédibilité zéro. Comme d’hab…