La NRH n°75 : le poids de l’impôt dans l’histoire

Le 75ème numéro de la Nouvelle Revue d’Histoire, dirigée par Philippe Conrad, vient de paraître pour la période Novembre – Décembre.

Le dossier central est consacré à l’impôt, à sa perception par l’état et aux réactions qu’il a pu suscité au fil de l’histoire. On peut y lire, notamment,  des articles de Emma Demeester («Aux origines de l’impôt royal» ;«La dîme, un impôt millénaire»), de Philippe Conrad («Soulèvements paysans contre l’impôt» ; «1789 : la tyrannie du fisc» ;«Juillet 1914 : naissance de l’impôt sur le revenu»), deJean-Joël Brégeon («Gabelle, faux-sauniers et gabelous»), de Martin Benoist («La Dîme royale de Vauban»), de Jean Kappel («Les fermiers généraux»), de Virginie Tanlay(«Napoléon et l’impôt») et de Philippe Parroy(« «953 : Poujade, le rebelle contre le fisc»).

Hors dossier, on pourra lire, en particulier, deux entretiens, l’un avec Christian Harbulot («La France détruit sa puissance») et l’autre avec Bernard Lugan («Atlas des guerres africaines»), ainsi que des articles d’Emma Demeester («Brantôme, de l’épée à la plume»), d’Henri Levavasseur («Des Européens aux portes de la Chine»), de Rémy Porte («1914 : la mêlée des Flandres»), de T. Josseran («914 : l’impossible neutralité de l’Empire ottoman») et d’Aude de Kerros («Conflits autour de l’art abstrait»).

Ci-dessous, l’éditorial de Philippe Conrad

Le temps est venu d’une histoire impartiale

L’heure est aux anniversaires et aux commémorations en cet été 2014. La France se souvient du déclenchement de la Grande Guerre. Au début du mois de septembre, c’est le rappel du « miracle » de la Marne qui occupera pendant quelques jours les mémoires. Mais le souvenir de l’Union sacrée qui réunit alors le pays face à l’immense tragédie ne peut occulter un épisode moins consensuel de notre histoire nationale, la Libération de 1944, tant attendue, mais entachée par les injustices et les crimes qui accompagnèrent l’Épuration.

Une lecture partisane des événements s’imposa naturellement au lendemain de la guerre. Elle affirmait la légitimité de la dissidence gaulliste de 1940, oubliait que les pleins pouvoirs avaient été votés au maréchal Pétain par une large majorité des députés socialistes et réduisait le régime de Vichy à un pouvoir autoritaire et réactionnaire imposé au pays à la faveur de la défaite. Entré tardivement dans la résistance, le parti communiste, celui des « 75 000 fusillés », magnifiait son rôle dans la lutte contre l’ennemi pour mieux faire oublier l’exil moscovite de son chef et s’attribuer un brevet de patriotisme, assez surprenant quand on se souvient des sabotages organisés, durant la « drôle de guerre » 39-40, dans les usines d’armement… Un historien tel que Robert Aron a très vite remis en cause les interprétations par trop simplistes de la période mais la théorie « paxtonienne » (1), qui s’est imposée depuis une trentaine d’années dans les médias dominants, a contribué à l’occultation de bien des vérités sur lesquelles il est utile de revenir aujourd’hui.

Préparée par le général Weygand et commandée en Italie et en France par des chefs demeurés loyaux au gouvernement de Vichy en 1940, l’armée d’Afrique reprend la lutte en novembre 1942 lors de la rupture de l’armistice. Elle a constitué le principal instrument militaire du retour de la France dans la guerre, en Tunisie, en Italie et en Provence, même si le rôle de la 2e division blindée « gaulliste » du général Leclerc a un peu occulté tout cela dans la mémoire collective.

Les sacrifices consentis par les maquisards sont naturellement venus s’inscrire dans l’épopée de la libération. La figure d’un Tom Morel, le héros des Glières, trouve naturellement sa place dans le panthéon des combattants de la Résistance, mais il apparaît aujourd’hui que l’importance militaire des grands rassemblements constitués dans des zones montagneuses et isolées est demeurée limitée.

Longtemps gommée d’une histoire écrite par les vainqueurs, l’Épuration qui, à des degrés divers, s’est abattue, à tort ou à raison, sur une partie des Français demeure l’objet de débats passionnés, ce dont témoigne le fait qu’il demeure impossible de présenter un bilan précis des exactions et des crimes commis au cours de l’été 1944. Il faut bien admettre que la France vaincue et occupée – dans laquelle le gouvernement de Vichy avait perdu, depuis novembre 1942, les seuls atouts dont le maintien avait justifié l’armistice – a connu, en 1943-1944, la « guerre civile » dont parlait Henri Amouroux. Ce sont les vaincus de ce conflit fratricide – fidèles au maréchal Pétain, miliciens, militants des partis collaborationnistes, simples notables locaux – qui seront les victimes de la « justice » exercée par les communistes ou par d’authentiques bandits métamorphosés en « résistants ».

La lecture canonique de la période a contribué à la formation d’un mythe fondateur de la Libération, régulièrement invoqué pour légitimer la victoire d’un camp sur l’autre ou pour disqualifier aujourd’hui toute parole dissidente. Il apparaît donc nécessaire de relire ces moments à la lumière d’une enquête historique impartiale et débarrassée des préjugés qu’a fatalement engendrés cette époque.

Pour constater, avec Georges Pompidou, que « les vrais héros – ceux qui prirent volontairement et lucidement tous les risques sans réfléchir – sont peu nombreux, de même que sont rares les traîtres conscients et résolus. (2)

1. Dans son livre La France de Vichy 1940-1944 (Seuil, 1973) l’historien américain Robert O. Paxton défend la thèse d’une réelle volonté vichyste de collaboration avec l’Allemagne.

2. Georges Pompidou, Pour rétablir une vérité, Flammarion, 1982.

nrh-75

Philippe Conrad

Crédit photo : DR
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