Ukraine : l’Europe à la remorque des Américains

Le conflit qui se déroule depuis plusieurs mois en Ukraine est une parfaite illustration d’une constante de la géopolitique anglo-saxonne : s’opposer par tous les moyens à la constitution d’un bloc continental euro-russe.

Cette stratégie très ancienne – elle remonte, en effet, au XVIIIe siècle, a été théorisée dès 1904 par H.J. Mackinder et complétée, beaucoup plus tard, par N. Spykman – s’est manifestée dans la politique de « containment » (« endiguement »), définie pendant la guerre froide par John Foster Dulles et appliquée sans interruption depuis lors. Elle est sous-jacente dans la pensée de Zbigniew Brzeziński telle qu’elle est exprimée dans Le Grand Échiquier. C’est elle qui inspire également le récent article de George Soros publié dans la presse européenne le 24 octobre dernier et qui présente l’Union européenne, selon ses propres termes, comme « de facto en guerre ». L’arrimage de l’Ukraine à l’Occident, son intégration dans l’OTAN et dans l’Union européenne sont alors conçus comme des moyens de déstabilisation et, à terme, de dislocation de la Russie.

Elle vise à organiser un cordon sanitaire continu depuis le Royaume-Uni jusqu’au Japon en passant par le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est. Elle a été conçue, bien avant la naissance de l’Union soviétique, et s’est poursuivie voire renforcée après sa chute.

Fondamentalement, c’est une stratégie d’interdiction de puissance et d’indépendance tournée contre l’avènement d’une « Grande Europe ».

Cette politique entraîne plusieurs conséquences.

La première est le maintien de l’isolement de la Russie post-soviétique toujours considérée chez certains responsables politiques américains comme étant potentiellement l’ennemi principal par :
– la diabolisation de ses dirigeants, Vladimir Poutine en particulier ;
– le renforcement technologique et militaire (bouclier antimissile, cyberdéfense, etc.) ;
– l’élargissement, ou plus précisément l’épaississement territorial du cordon sanitaire (extension continue de l’OTAN et recherche d’un contact direct avec la frontière russe, contrairement aux engagements qui semblent avoir été pris vis-à-vis du gouvernement soviétique lors de la chute du mur de Berlin).

En deuxième lieu, le renforcement, en réaction à cet encerclement, des relations terrestres continentales entre la Russie et la Chine (réseaux d’hydrocarbures, réseaux ferroviaires, TGV Pékin-Moscou, nouvelle route de la soie).

Troisièmement, la justification et sur-légitimation des liens naissants encore fragiles entre les BRICS en particulier par une stratégie de dédollarisation dans les échanges entre les différents partenaires préfigurant un contre-encerclement de revers : les assiégeants devenant assiégés.

L’Europe, solidaire, puissante, indépendante et souveraine que nous appelons de nos vœux doit se construire en rupture avec cette situation en relançant le projet de partenariat euro-russe.

Ce partenariat prenant appui sur la continuité territoriale, la profondeur stratégique, la tradition, l’unité culturelle, l’immensité et la diversité des ressources, doit fonder l’un des éléments essentiels de la vision géopolitique d’une Europe redevenue souveraine.

Enfin, au-delà de ce partenariat strictement continental, une alliance plus vaste dans un cadre euro-BRICS doit être envisagée.

Dans cette perspective, il ne s’agit pas, bien entendu, de passer d’une soumission à l’autre, mais de retrouver autonomie et liberté de manœuvre entre atlantisme béat et eurasisme angélique.

Il est consternant de constater que l’Union européenne, soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, confrontée à cette mutation économique et géopolitique majeure qui affecte le monde, n’ait pas été encore capable de saisir cette occasion pour se rendre maître d’un destin confisqué, de fait, depuis un siècle, et ait au contraire choisi de s’enfoncer un peu plus dans la vassalité.

Une fois de plus, le comportement chaotique et ambigu de la diplomatie des membres de l’Union européenne traduit l’absence totale de vision géopolitique de celle-ci. Pourtant, cette compétition multipolaire acharnée – le véritable visage de la mondialisation – n’est autre que la confrontation permanente des différentes visions géopolitiques des grands acteurs mondiaux.

Jean-Claude Empereur
Géopolitologue

Source : Boulevard Voltaire

Photo :mariusz kluzniak/Flickr (cc)

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Une réponse à “Ukraine : l’Europe à la remorque des Américains”

  1. Richard dit :

    Il est clair que notre avenir est à l’Est sous peine de finir colonie de l’Empire mais commençons par le commencement et boutons hors du royaume les young leaders de la FAF qui ont été présélectionnés pour enfoncer l’Europe dans la servitude issue de la 2ème GM. Très bon article pondéré et équilibré. Ex oriente lux.

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

International

Où sont passés les 500 000 enfants ? Une enquête choc avec Alina Habba sur la traite des mineurs à la frontière américaine

Découvrir l'article

International, Politique, Religion, Sociétal

Islamisation. « Coran européen » : quand l’UE finance la réécriture de l’histoire au nom du multiculturalisme [Vidéo]

Découvrir l'article

International, Santé

États-Unis. Explosion des cas d’autisme chez les enfants : 1 sur 31 désormais concerné

Découvrir l'article

International

« D’une plume à l’autre : entre Washington et Buenos Aires, une étrange harmonie doctrinale »

Découvrir l'article

Santé

Génération crise cardiaque aux USA ? Les jeunes adultes face à une épidémie silencieuse

Découvrir l'article

International

Trump hausse le ton contre la Chine : guerre commerciale, crise du fentanyl et tensions stratégiques au sommet

Découvrir l'article

International

USA. Malgré les attaques médiatiques, Trump maintient 50 % d’opinions favorables selon un sondage CBS

Découvrir l'article

A La Une, International

Rodrigo Ballester : « L’UE se transforme en « monstre centralisé »

Découvrir l'article

International

La CEDH impose un « droit au retour » aux criminels expulsés : un nouveau coup porté à la souveraineté des États européens

Découvrir l'article

Sociétal

L’Union européenne veut accueillir 7 millions de migrants d’ici 2030 : un projet qui inquiète

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky