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Tulard, Napoléon et la centralisation

En ces temps de débats sur le « millefeuille territorial » et, forcément sur l’état de la centralisation à la française, un livre tombe à pic car il inscrit cette problématique dans l’histoire : Jean Tulard, Marie-José Tulard, Napoléon et 40 millions de sujets (Tallandier, 403 p., 24 euros).

En Prologue, les auteurs esquissent quelques rappels salutaires :
– « La centralisation (…) n’est pas sortie tout droit du cerveau fertile en idées du Premier consul. »
– Avant 1789, la France est une monarchie absolue et centralisée.
– Quant au millefeuille, il était pire sous la monarchie, un « inextricable maquis territorial ». Soit 70 provinces, 40 gouvernements militaires, une carte judiciaire émiettée et surtout 34 généralités constituant le maillage essentiel avec ses intendants aux pouvoirs étendus mais ne dépendant que du monarque. Les intendants s’occupent de tout, des impôts d’abord mais aussi de l’économie, du maintien de l’ordre…

La Révolution a mis à bas tout ce « bel édifice administratif » mais la rupture est en trompe-l’œil. Car le centralisme idéologique est dominant et c’est celui des jacobins, de la république montagnarde. Un court temps (moins de deux ans), les révolutionnaires « modérés », les girondins, ont rêvé d’une France décentralisée, fédérale, inspirée par la révolution américaine. Mais les girondins perdent le pouvoir en juin 1792 et, une fois proscrits, leurs idées disparaissent.

L’héritier, fidèle, intransigeant, du centralisme jacobin est Napoléon Bonaparte. Il a compris toute l’importance du département et il en fait le maillon territorial essentiel, unique, de son empire fort de 130 départements, des Bouches- de- l’Elbe (Hambourg) aux Bouches- du- Tibre (Rome).

Le préfet devient « la clef de voûte de la centralisation ». Tout lui est subordonné, il ne rend de comptes qu’à l’empereur qui l’a choisi. Il a tout de l’intendant. Il donne toute satisfaction  au point que les régimes successifs le pérennisent, jusqu’à nous.  De quoi réfléchir sur les habitudes, les traditions et si l’on veut les pesanteurs de la pratique administrative. La France est décidément un pays difficile à réformer.

Jean Heurtin

Photo : Wikipedia
[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

 

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Une réponse à “Tulard, Napoléon et la centralisation”

  1. Arondel dit :

    Mona Ozouf (née Sohier, elle est la fille de l’instituteur laïque bretonnant et fondateur du mouvement  »Ar Falz », Yann Sohier) a écrit, a propos des Girondins, dans le  »Dictionnaire critique de la Révolution française »:  »Le fédéralisme qu’on leur a reproché paraît en revanche leur idée la plus constante, susceptible de faire leur véritable unité. Rien pourtant de plus faux que ce grief montagnard, si l’on donne au mot « fédéralisme » un sens théorique: les Girondins n’ont cessé de croire à la souveraineté de la Convention et à l’unité de la République, la Constitution avortée de Condorcet, tout en cherchant un équilibre entre Paris et la province, n’était en rien « fédéraliste » et seul Buzot a montré de la sympathie au modèle américain. Mais rien n’est plus vrai si par fédéralisme on entend, la haine de Paris et le recours aux départements: c’est de Mme Roland qu’est venue l’idée de convoquer la garde départementale, ce sont les Girondins qui ont inspiré les adresses départementales contre Paris ».
    Dans ce même ouvrage, elle écrit à l’article  »Fédéralisme »que  »le centralisme est aussi vif chez les Girondins que chez le Montagnards » et encore  »la suspicion pour le mot de fédéralisme, partagée par la Gironde elle-même et assez forte pour rendre inopportun jusqu’au mot glorieux de Fédération, que seuls les Fédérés arrivés à Paris pendant l’été utilisent encore avec quelque élan »; elle évoque également  » le renvoi de l’accusation de fédéralisme de l’un à l’autre camp »…
    Mona Ozouf a écrit dans le « Monde des débats » de janvier 2001 : « A l’origine, Girondins et Jacobins n’étaient que deux factions qui se disputaient le pouvoir,…. En outre, il leur arrivait de partager le même vocabulaire et d’échanger leurs arguments. La République ? « C’est elle qu’il faut envisager sans cesse, avec l’entière abstraction de tout lieu et de toute personne ». Quel exalté parle ici ? Chevènement ? Pasqua ? Mais non, c’est Buzot, pur Girondin. Il faut donc réviser nos réflexes. Les Girondins ont tous été Jacobins à un moment quelconque, si on entend par là l’appartenance au Club de la rue Saint-Honoré ; Jacobins aussi si on définit le jacobinisme par le patriotisme exclusif et le rêve fiévreux d’une France guerrière rédemptrice de l’humanité ; Jacobins encore, au moins jusqu’au procès du roi, par leurs provocants défis à la royauté ; Jacobins toujours par leur obsession du complot. Mais la pièce centrale du procès qui les a conduit à l’échafaud n’appartient qu’à eux : le fédéralisme est dans notre mémoire leur vraie fiche d’état-civil. Les Girondins avaient-ils voulu fédéraliser la France ? Ce qui donne de la consistance à la charge, c’est la révolte qui, après le coup de force du 2 juin 1793, dresse une trentaine de départements contre la Convention : celle-ci vient d’exclure et de promettre à la mort vingt-deux députés girondins. L’insurrection est pourtant vite réprimée, circonscrite à quelques grandes villes, et on y chercherait en vain un esprit de dissidence régionale : les départements ne s’étaient associés que par haine de Paris, des exactions jacobines et des hommes en qui elles s’incarnaient. Ils n’étaient animés d’aucun projet séparatiste, ne récusaient pas l’existence d’un centre national….Girondins et Jacobins étaient convaincus que l’esprit de la révolution réside dans la force de s’arracher à l’horizon villageois …Ni chez les uns, ni chez les autres, il n’y avait de tendresse pour les libertés locales ». On pourrait ainsi multiplier les citations du co-auteur de  »La Gironde et les Girondins ».

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