Domus Vinum. Un aventurier du vin en quête de terroirs méconnus et de vins atypiques

25/10/2014 – 08H00 Nantes. (Breizh-info.com) –  « Buvez intelligemment ! » Fondateur de Domus Vinum, une jeune entreprise de négoce de vin, le Nantais Frédéric Brégeon s’est donné pour vocation de faire découvrir au public des vignobles oubliés, des vignerons de caractère et des vins authentiques. Breizh-info a rencontré celui qui se définit, à juste titre, comme un aventurier du vin. A déguster sans modération !

Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre parcours, votre métier ?

Je suis un ancien cadre de la fonction publique qui s’engourdissait lentement dans  une  carrière lisse et  toute tracée  au sein de l’Education nationale.  A 36 ans,  l’attrait de l’entrepreneuriat couplé à ma passion du vin m’a poussé à rompre avec la monotonie de mon travail.

j’ai « brûlé mes vaisseaux » en démissionnant de mon poste d’attaché principal  pour créer il  y a 3 ans ma société Domus Vinum . Depuis lors, je devenu un « aventurier du vin » sillonnant les vignobles les plus reculés  ou en mal de notoriété, pour y découvrir  des vins atypiques voire totalement méconnus.

Qu’est ce que la société Domus Vinum ?

Domus Vinum repose sur une activité de  dégustation à domicile, un canal de vente novateur pour le vin. Surtout, le concept s’adosse à un travail de recherche  très important  au cœur des vignobles. Mes nombreux  déplacements et une relation de  grande proximité avec les  vignerons caractérisent ma   méthode de travail, qui vise à réinvestir les vignes et affermir le lien distendu entre l’amateur de vin et le monde vigneron. Tous les trois mois, un catalogue met à l’honneur une sélection-découverte portant sur un thème (le dernier en date était consacré aux vignobles oubliés), au printemps 2015 je lancerai le 10ème catalogue, assurément un temps fort dans l’histoire de  ma jeune entreprise !

domus

« Restaurer la dimension patrimoniale d’un vin » . Photo Gilberte Dimicolis/Flickr (cc):

Comment est née cette passion du vin ? Comment procédez-vous pour sélectionner ?

Curieusement des  livres et non du  verre ! Durant mes études d’histoire et de géographie , j’ai été amené à travailler sur quelques thèmes relatifs au vin.Mais le véritable déclic est venu d’une lecture assez futile  sur un guide touristique d’Alexis Lichine ( le propriétaire éponyme du Grand cru classé en Margaux ) , j’ai dévoré le livre en 3 jours ! Depuis,  le plaisir du vin réside pour moi autant dans sa connaissance que dans sa dégustation , ce que résume assez bien ma philosophie prônant  le boire intelligemment . La satisfaction  de comprendre un vin revêt autant de saveur que ses qualités organoleptiques !

Je suis engagé dans  une ligne éditoriale à deux versants :  les vins atypiques et les terroirs méconnus, cela   permet d’écarter   tous les vins de grande notoriété du  spectre de mes recherches.

Après la  prospection et le  repérage des domaines selon le thème étudié,   succède l’immersion dans le vignoble, de loin la phase la plus passionnante mais aussi une vraie prise de risque car j’y consacre du temps et de l’argent. Dans ces conditions l’erreur n’est pas permise, bien que les déconvenues existent…

Au final, le vin doit justifier de son caractère atypique en se démarquant  de la « typicité »  d’un vignoble, un néologisme qui permet de faire rentrer un vin dans le moule homogène et uniforme de l’appellation d’origine. A contrario, ma sélection s’attarde sur les trublions de l’AOP (appellation d’origine protégée), des marginaux en diable qui transgressent la vulgate du terroir en plantant de nouveaux cépages, en expérimentant des élevages etc…  Autant de témérités qui sont sanctionnées par  une éviction ou une interdiction de l’AOP. Or cet acronyme symbolise encore pour l’amateur de vin  un graal en trompe-l’œil, car le nom d’un terroir prestigieux n’a jamais été une garantie pour l’achat d’un bon vin, loin s’en faut !

Enfin, je suis aussi en recherche des nouveaux pionniers de la vigne, qui replantent les vignobles  dans les terroirs ou elle a disparu, sous les effets conjugués de la déprise rurale et de la crise du phylloxera. Ce mouvement de replantation constitue à mon sens un tournant capital dans l’histoire de la vigne, source d’une diversité accrue de vins. Domus Vinum est une vigie pour tous ces nouveaux terroirs qui renaissent ou qui sont plantés sur des terres vierges de toute pollution : je pense au vignoble de Conques dans l’Aveyron planté en 2003, celui de l’Ariège en 1998, des Hauts de Talmont en Charente maritime né en 1997, du vignoble des Arpents du soleil au cœur du Pays d’Auge  en 1998 et tant d’autres ! Le vrai vin bio se trouve dans ces terroirs « immunes », car jamais contaminés par de quelconques polluants.

Comment se porte le marché du vin aujourd’hui ? N y a t-il pas une surproduction et une dévaluation qualitative du produit ?

C’est un marché duale, la grande distribution écoule la majeure partie de la production  viticole (plus de 60% des volumes), l’influence de la GMS  se perçoit au travers de la logique de marque visant à simplifier au maximum la lecture du vin pour le consommateur. De fait, il n’est plus question de s’intéresser au terroir ou au vigneron, ce qui prime c’est le goût que veut retrouver le client éduqué par le lobby agro-alimentaire. Beaucoup de coopératives et de vignerons se complaisent dans ce système, qui déchoit le vin et le dépouille  de sa symbolique culturelle pour  le ravaler en   une simple « boisson » au sein du rayon  liquide… Ce monde viticole est destiné à s’effondrer ou à subir de fortes secousses,  car il relève de logiques purement capitalistiques dont les crises assurent une fonction régulatrice pour le  marché. Alors de nouveaux « Marcellin Albert » feront entendre la voix  du pauvre vigneron français menacé par l’abominable vin du nouveau-monde, pure mystification !

L’autre pan de notre production, malheureusement minoritaire, concerne des vins  qui reflètent l’unicité du terroir. Derrière se découvre le travail d’un nom, celui  d’un vigneron-artisan qui est largement récompensé par une demande toujours croissante. Pour cette frange de vignerons l’avenir est serein, leurs vins sont plébiscités et recherchés par une clientèle avisée, bien qu’une grande partie reste encore trop méconnue.

Photo Alain Rouiller/Flickr (cc)

« l’impérieuse nécessité à sauvegarder la pérennité de nos terroirs ». Photo Alain Rouiller/Flickr (cc)

Que pensez-vous de l’agriculture raisonnée et biologique de la vigne ? Est-ce d’avenir ? Avez-vous des bons vins de ce type ?

Dans 15 à 20 ans la question de savoir si un vin est bio ou non sera vraisemblablement obsolète, compte tenu de l’impérieuse nécessité à sauvegarder  la pérénnité de nos terroirs Le temps de la viticulture productiviste est plutôt derrière nous, elle ne répond plus aux attentes des nouveaux consommateurs et le constat de ses dégâts est accablant , notamment pour la santé des vignerons.J’observe surtout au travers de mes dégustations, une très grande confusion dans la compréhension des démarches agrobiologique qui prévalent dans le  monde du vin. Il faut reconnaître que la réalité est très complexe, attendu que le « bio » dévoile plusieurs mouvances voire même obédiences ! Entre le domaine converti en lutte raisonnée (premier stade vers la conversion bio) et le partisan du vin nature , il existe tout un monde ! sans compter la multitude de labels et de certifications qui consacrent une diversité incroyable de pratiques.

Pour l’exemple, souvent je suis interpellé par des remarques du type : « je ne bois que des vins bio, sans soufre ! » L’assimilation d’un vin sans soufre à un vin bio participe d’une méconnaissance assez fréquente du sujet. Un vin non  ou peu sulfité peut très bien provenir d’une terre gangrénée d’intrants en tous genres. L’expérience du terrain m’a permis de constater que les conversions agrobiologiques les plus sincères et les plus poussées  se rencontrent chez les vignerons qui n’affichent pas la bannière du bio.

Pour ce qui concerne ma sélection, je ne suis pas guidé par la conversion bio, mais par l’originalité, et puis agréable surprise sans chercher du bio à tout prix,  je constate que la plupart de mes vignerons bénéficient de certifications ! En vérité cette corrélation ne m’étonne guère, pour autant, je persiste à penser que les professionnels du vins se fourvoient à vouloir  s’enfermer dans une optique bio à tous crins, c’est voir l’enjeu du vin par le petit bout de la lorgnette.

A mon sens, la vraie problématique du vin se joue au travers de sa représentation sociétale, mon  concept, à son humble niveau, œuvre à restaurer la dimension patrimoniale d’un vin .Je le démontre au travers des vidéos, montrant que sa valeur tient  aussi à son empreinte paysagère, témoignage de notre civilisation rurale  qui perdure  grâce à ces nouveaux défenseurs de la ruralité !

L’enjeu  pour ces vingt prochaines années réside dans notre capacité à élever le vin en véritable symbole de notre art de vivre pour   lui enlever sa triste étiquette de  boisson alcoolisée. Au lieu de jeter l’anathème sur le vin et de culpabiliser l’amateur, il faut à l’instar de l’Asie  lui redonner tout son prestige  comme  un marqueur de la réussite sociale et une composante essentielle de notre civilisation.Arrêtons de nous flageller sur nos propres richesses, le vin peut être un ferment essentiel à l’éducation des prochaines générations , dans une ambition nouvelle  de qualité et de tempérance !

jenny downing/Flickr (cc)

« élever le vin en véritable symbole de notre art de vivre ». Photo jenny downing/Flickr (cc)

Quel est votre vin préféré ? Le meilleur moment pour boire un verre de vin ? Le meilleur endroit ?

Comme tout amateur de vin, j’ai eu ma période de buveur d’étiquette dont je garde quelques  grands souvenirs notamment celui d’un Gruaud Larose 1990 bu en 2003, acheté à un prix très sage dans un hypermarché (comme quoi la GMS peut démocratiser l’accès au grand vin) .Mais depuis 5 ans , j’ai appris à prendre du plaisir dans les saveurs inédites  des cépages oubliés ou de vins issus de nouveaux terroirs. Je suis dorénavant  en quête d’un dépaysement gustatif. Dernièrement, j’ai bu en compagnie de 3 clients  un magnum  de carménère 2009 d’Henri Duporge, le seul vigneron du bordelais à vinifier ce cépage capricieux dans une cuvée mono-cépage. Derrière sa personnalité singulière, il avait rassemblé l’adhésion de trois palais particulièrement affûtés avec la reconnaissance de l’originalité en plus, je pense pouvoir dire que j’ai découvert un grand vin dans la sphère inattendue des cépages oubliés !

Quant au meilleur moment, sûrement celui qui s’improvise, les plus grandes surprises ne se programment pas. S’agissant de l’endroit, je dirai que le choix d’un lieu  insolite pour boire un vin a de grande chance d’en renforcer son souvenir, alors pourquoi ne pas profiter d’ un  grand champagne sur les rives de Trentemoult (ancien port à civelles)  devant un magnifique coucher de soleil ?

Avez-vous quelques adresses à suggérer pour les Bretons amateurs de bons vins ?

Bien sûr ! Nantes  a connu depuis  une décennie un vrai regain de sa gastronomie. Ce bouillonnement  contribue inévitablement à forger une belle clientèle d’amateurs de vins. Dans le sillage de ce mouvement, de très grands professionnels du vin ont su bâtir de magnifiques caves : Vino vini, Mille et un vins place Viarme , Olivier Hodebert et son réseau des caves de l’Inatttendu, la Cave de Longchamps  sans oublier  l’institution nantaise : Le restaurant   les bouteilles  de Mickael Ravier près du marché de Talensac !

Mais je réserve mon  coup de cœur à Pascal Pabois du Domaine du vigneron (un bel anagramme pour un professionnel du vin). L’établissement  est plutôt rebutant sous ses airs de vieux hangar désaffecté près du MIN, mais le lieu  est tenu par un caviste très attachant à la gouaille joyeuse, la sélection est pointue et le conseil  de grande qualité !

[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

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