A quelles propositions gouvernementale va aboutir l’action de désespoir menée par les légumiers bretons – qui ont incendié l’hôtel des impôts et la MSA (Mutualité Sociale Agricole) à Morlaix, dans la nuit de vendredi à samedi ?
Pour le moment, difficile de le savoir. Il faudra sans doute attendre la réunion entre l’Etat et les producteurs mercredi pour y voir plus clair.
Mais une chose est sûre : le modèle agricole breton, tout comme son modèle agro-alimentaire, est en faillite, et des organismes comme la SICA (société d’intérêt collectif agricole) de Saint-Pol-de-Léon, premier groupement de producteurs de légumes en France, le savent assurément, sans pour autant vouloir changer de modèle.
Ainsi, de GAD à Tilly-Sabco en passant par Doux pour l’agro-alimentaire sans oublier les légumiers du Léon, producteurs, chefs d’entreprise et salariés se battent actuellement pour payer moins de taxes, pour être rachetés puis sauvés par des entreprises étrangères, pour obtenir de nouvelles subventions de l’Etat ou de l’Europe, pour pouvoir renflouer leur trésorerie « à sec ».
Ils se battent en réalité pour pouvoir continuer à faire tourner une machine à bout de souffle dont ils sont esclaves et victimes, un modèle dont beaucoup, y compris une part croissante des Bretons, ne veulent plus.
Car qui aujourd’hui, soucieux de sa santé, soucieux de ce qu’il mange, soucieux de la préservation des sols pour les productions des générations à venir, peut encore bien vouloir se nourrir de légumes produits en quantité astronomique et avec l’aide de pesticides pour des raisons de rentabilité , de réglementation ? Qui peut avoir envie de donner à manger à ses enfants de la nourriture morte avant même d’avoir été mise en barquette et qui a été nourrie aux antibiotiques sur toute sa vie et sa croissance « en accéléré » ?
Que ce soit pour sauver le « modèle » agro-alimentaire ou l’agriculture bretonne, l’Etat se porte en première ligne systématiquement pour apporter plutôt de l’argent que des solutions, tel un docteur qui s’évertuerait à faire baisser la fièvre plutôt que de s’attaquer aux vrais problèmes.
Combien d’agriculteurs sont aujourd’hui malades, quand ils ne regrettent tout simplement pas d’avoir mis les pieds ou d’avoir hérité de ce modèle productiviste destiné à nourrir toujours plus de monde, la qualité alimentaire en moins ? De plus en plus, des exploitations biologiques naissent ici et là, signe d’un véritable changement dans les mentalités d’une nouvelle génération d’agriculteurs qui a compris que le modèle proposé – sous perfusion – par l’Etat Français et par Bruxelles était un modèle à bout de souffle, périmé.
Et les consommateurs, réticents au départ pour des questions notamment de prix élevés de l’alimentation biologique, de se mettre à fabriquer eux mêmes leurs propres réseaux, à devenir distributeurs – comme au sein de » la ruche qui dit oui « , qui met en relation directe producteurs et consommateurs, sans intermédiaires, et donc avec des prix raisonnables, pour les familles, mais aussi pour les producteurs.
Combien de salariés d’usines agro-alimentaire (payés au SMIC pour des tâches difficiles et répétitives), de petits exploitants (parvenant à gagner à peine plus qu’un RSA en travaillant 60 heures par semaine) arrivent enfin à s’épanouir, tout en nourrissant convenablement leur famille, après une reconversion, après avoir « largué » les modèles qu’on leur vante depuis plusieurs décennies ?
Le succès des réseaux dits « alternatifs », la percée du bio (dont les grands groupes industriels ont bien compris l »intérêt lucratif, les rayons « bio » se multipliant dans les grandes enseignes), la consommation locale privilégiée sur la consommation mondiale, sont des faits de société qui inquiètent à la fois grands industriels et politiciens, plus tournés vers « le monde ouvert » que vers le « retour aux sources ». D’où la volonté de maintenir le système en place plutôt que d’en penser un nouveau, dans lequel le « pouvoir économique » serait partagé entre consommateurs et producteurs responsables, et non plus entre les mains d’une minorité.
Sans remise en cause, sans refonte totale du modèle agricole breton – qui est aujourd’hui aux yeux de beaucoup le modèle de ce qu’il ne faut plus faire en agriculture – sans propositions pour un nouveau modèle agro-alimentaire en Bretagne ou sur une autre industrie de l’alimentation, alors la frustration s’accumulera et la colère éclatera (et avant cela les suicides se multiplieront, comme aujourd’hui dans le monde agricole) comme depuis plusieurs décennies déjà, sans que rien ne change ou presque.
A l’image du référendum écossais sur l’indépendance, qui a vu s’établir une fracture entre générations d’Ecossais (les retraités ayant voté massivement contre l’indépendance), il semblerait que deux modèles de société s’opposent actuellement en Bretagne, entre les tenants d’un monde ancien et révolu, et les partisans d’un changement, institutionnel, économique, sociétal.
Yann Vreizh
3 réponses à “Légumiers en colère. La défense d’un modèle Breton en faillite [tribune libre]”
ils votent toujours pour les mêmes . ils veulent encore plus d’UE et de mondialisation , qui les mènent à la ruine .
ils finiront au secours populaire car les subventions ne sont pas prise en compte pour le calcul de la retraite .
Ce n’est pas la première fois que l’on traite les paysans bretons de stupides et les ouvriers d’illettrés. Les bobos parisiens font cela très bien. Mais quand on en appelle, entre Bretons, à des remises en cause courageuses, je trouve illogique qu’une tribune « libre » soit signée d’un pseudonyme.
5 sur 5 pour cet article
Je voudrais dire à tous ces légumiers à cultures intensives et éleveurs de batteries que nous aussi nous en avons marre de bouffer leurs produits sans goûts, sans odeurs, sans amour du vrai, du bon et du beau. Et si en plus ils vivent mal de ce travail infâme, qu’ils laissent tomber ce système dévastateur qui n’enrichit que celui qui n’en n’a rien à faire de vous et de nous.