C’était un joli mois de mai quand le printemps s’affirme et l’été s’annonce. Le soleil réchauffait les jambes d’Anne à peine recouvertes d’une petite jupe légère, aussi jaune que les genêts qui devaient déjà fleurir sur les landes. Face au château des ducs de Bretagne, elle contemplait une autre Anne, la Duchesse, toute de bronze qui semblait avancer vers elle, visage serein, dans une démarche majestueuse, effleurant les pavés des bords de sa longue robe. D’un côté une jolie jeune fille aux pommettes bien marquées, mettant en valeur deux yeux sombres en amande, aux cuisses presque découvertes, déjà halées. De l’autre une belle
Reine au visage régulier sous un front bombé, à la taille bien marquée par une robe aux reflets verdâtres dissimulant jusqu’à ses chevilles. Deux regards qui se dévisageaient , deux regards décidés, sur deux silhouettes à la même allure élancée, au même port de Reine.
Cet aimable face à face fût interrompu par une voix à l’accent germanique : « Wunderbar ! Magnifique ! Ne bougez plus s’il vous plait. Ce duo est merveilleux : Qui est la reine ? Qui est la statue ? Je dois immortaliser ce chef d’œuvre ». Maximilien se tenait contre le muret des douves. Son sourire, ses mains fines, sa diction claire et masculine, son élégance convainquirent sans peine notre nantaise, qui spontanément sourit à son tour à l’objectif de l’appareil numérique. « Merci, Mademoiselle, ce sera ma plus belle photo, si vous acceptez que je la conserve ».Les négociations furent brèves, l’accord vite trouvé. Le déclencheur fonctionna à plusieurs reprises, et assis à la terrasse du café de la place, Maximilien promettait déjà d’envoyer les photos qu’ils admiraient ensemble.
Les présentations furent rapides entre l’étudiant autrichien de 22 ans en école de commerce qui qui effectuait un cursus de quelques mois et la jeune Anne qui à 18 ans n’était encore qu’en classe préparatoire. Il y a parfois d’étranges coïncidences. Les deux familles avaient développé deux réseaux de magasins spécialisés dans les articles de sport l’un en Bretagne, Breizh-Sport, l’autre en Autriche Kaiser Sport.
La situation des deux entreprises n’était guère comparable. L’Autrichienne se développait, en pleine expansion ; la famille de Maximilien était désormais intéressée par une implantation à l’étranger. Au contraire, François, le père d’Anne qui dirigeait la société bretonne devait faire face à une forte concurrence locale et surtout à l’agressivité d’un puissant groupe Français Charlathlon, dont le propriétaire Charles Bolen nourrissait de fortes ambitions.
Implanté dans plusieurs cités d’Armorique, il n’hésitait pas à débaucher, à prix d’or, de proches collaborateurs de François qui ne résistaient pas à l’appât du gain. Un dirigeant de Breizh-Sport venait même d’implanter en franchise, un Charlathlon dans la place forte nantaise, en plein centre commercial Atlantis. François se rendait compte qu’il n’était plus assez puissant pour faire face et recherchait des alliances qui l’aideraient à conserver son autonomie. Il caressait aussi l’espoir, de voir Anne, qui s’était intéressée très tôt aux affaires, venir le rejoindre pour redynamiser ses équipes. Elle n’était pour l’instant qu’en place préparatoire. Pourrait- il attendre la fin de ses études ?
Anne et Maximilien ne s’entretenaient déjà plus d’articles sportifs. La conversation roulait désormais sur la Bretagne. Les régions administratives allaient être redécoupées et les Bretons caressaient l’espoir de voir enfin réunis les cinq départements bretons, la Loire Atlantique rejoignant les quatre autres de la province. Ils discutaient maintenant comme de vieilles connaissances, simplement, naturellement. Le soleil brillait, leurs yeux aussi. Ceux de Maximilien effectuaient de fréquents allers retours du visage gracieux d’Anne jusqu’à ses jambes découvertes. Il fût donc décidé de se revoir.
Ils se retrouvèrent un samedi matin, devant le château, pour une visite guidée « sur les pas d’Anne de Bretagne » à l’occasion du cinq centième anniversaire de la mort de la Duchesse Anne. La guide ne put s’empêcher de sourire quand ils se présentèrent. « Anne et Maximilien, quelle coïncidence ! je ne me doutais pas que la visite d’aujourd’hui se ferait en compagnie des héros d’hier ». Et elle raconta les difficultés du duc François à préserver son indépendance, l’ambition du roi de France Charles VIII, les tentatives du duc pour marier sa fille. Maximilien fût particulièrement intéressé par l’épisode du mariage de la duchesse avec l’empereur Maximilien. N’ayant pu se déplacer, il fût représenté par son émissaire qui tendit sa jambe nue contre celle de la duchesse, dans le lit dressé au centre d’une chambre d’apparat, afin que l’union soit consommée. Maximilien fit remarquer qu’étant présent, il n’aurait pas besoin, lui, de représentant. Anne sourit, rougit aussi.
Ils déjeunèrent ensemble dans un petit restaurant du quartier du Bouffay. Le garçon proposa d’aller prendre le café dans son studio d’étudiant. Assis sur le divan, leurs tasses n’étaient pas encore vides que leur premier baiser eût un goût d’expresso. Le short du jeune homme découvrait deux jambes musclées , la mini- jupe d’Anne dominait en corolle des courbes élancées et gracieusement féminines. Ce qui devait arriver , arriva : Maximilien ne résista pas. Allongé sur le divan, n’hésitant pas à jouer de la gaudriole, il rapprocha sa jambe de celle d’Anne. Ce qui aurait pu suivre ne se poursuivit pas. Anne, faisant effort mais décidée, retira doucement sa jambe. »Seigneur, nous n’avons pas encore contracté de sacrement de mariage ». » Duchesse, nous y réfléchirons alors »
Ils s’accordèrent sur un nouveau baiser et réchauffèrent le café plus froid que n’étaient leurs lèvres.
Ils se retrouvèrent encore et encore. Ils défilèrent ce samedi 28 juin 2014 sur les pavés de Nantes où des milliers de drapeaux noirs et blancs réclamaient l’union régionale des départements bretons, au son des bombardes et cornemuses. Un fest-noz suivit. Maximilien, en bon Autrichien était musicien et avait le sens du rythme. Les andros et autres plinns n’eurent bientôt plus de secrets pour lui. Anne aimait bien ces danses collectives. Elle appréciait leur rythme entrainant, leur convivialité ; elles lui permettaient aussi plus facilement de résister à la tentation qu’aurait entrainé une danse de contact. Serait -elle sortie indemne de ce corps à corps ?
L’été fût l’occasion pour les parents de faire connaissance. Les vacances conduisirent les Bretons du Tyrol jusqu’à Vienne. Les Autrichiens rendirent la politesse, de Saint Malo jusqu’au Léon et de La Cornouaille jusqu’à Clisson. Les hommes d’affaires s’entendirent. Kaiser-Sport prit une participation minoritaire dans l’entreprise bretonne qui conservait ainsi son indépendance tout en bénéficiant de nouveaux moyens et d’une forte puissance d’achat. Le dirigeant félon d’Atlantis sentit le vent tourner, abandonna l’enseigne Charlathlon pour adopter celle de Breizh-Sport. Ce fût le début de la reconquête.
Il tardait à Anne de danser la valse ou le slow avec Maximilien sans craindre de succomber. Le samedi dix-neuf septembre 2014 fût donc célébré , en la cathédrale de Nantes, un grand mariage qui scellait l’union d’Anne avec Maximilien, après celle de Kaiser-Sport et de Breizh-sport. Il réunit tous les grands propriétaires de chaines de magasins de sport en Europe .Charles Bolen invité et bon diplomate, offrit un magnifique cadeau aux mariés. La guide de l’office du tourisme était là mais ne fût pas conviée dans la chambre d’apparat où les jambes des époux se réunirent.
L’histoire n’est pas toujours un éternel recommencement.
Fanch
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