08/09/2014 – 07H00 Paris (Breizh-info.com) – Le bilan de l’épidémie virale Ebola ne cesse de s’aggraver en Afrique de l’Ouest. La barre des 2 000 morts est déjà atteinte si l’on tient compte du déficit de déclarations dans les villages isolés, et des insuffisances administratives de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déléguée sur place. Pire : le personnel de santé, local ou expatrié, est harassé. Les erreurs s’accumulent. Sur 240 soignants infectés au Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, 120 sont déjà morts. Il faut quatre mois pour former des intervenants. Une nouvelle vague de diffusion est donc à craindre avant la fin de 2014. D’autant que tous les stocks de traitements expérimentaux sont maintenant épuisés.
La dernière semaine d’août avait été fertile en événements. Des cas nouveaux venus de Guinée ont été signalés au Sénégal, jusqu’alors indemne. En Afrique centrale, la République démocratique du Congo a annoncé quinze morts dans un nouveau foyer « sans cause identifiée ». La revue américaine Science a diffusé le 28 août un article très informé sur les mutations du virus. Cinq des cinquante participants à l’étude étaient morts avant publication, tous attachés à l’hôpital de Kenema, en Sierra Leone. L’OMS a pronostiqué 20 000 cas à recenser dans les mois à venir. Dans une étude publiée le 27 août par le New England Journal of Medicine, trois épidémiologistes britanniques ont rehaussé le seuil minimal à 30 000 cas, qui devraient être isolés préventivement et qui ne le seront pas. Dans un contexte à mortalité située entre 50% et 80% des atteintes, un spectre alarmant surgit.
Le président de Médecins sans Frontières (MSF), Mergo Terzian, a prévenu fin août que l’OMS était incapable d’endiguer quoi que ce soit. C’était au point de recommander une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, dont l’OMS est une filiale. Demande sans suite. MSF avait noté dès le mois de juin que l’épidémie, contrairement à ce qu’en disaient les officiels onusiens, n’était plus « sous contrôle ». Peine perdue : l’OMS était réputée autrement savante qu’une petite ONG.
Elle se fait maintenant plus modeste et reconnaît ses erreurs. Mais c’est une immense machine administrative qui, comme telle, produit sa propre administration paralysante. Une perversion d’autant prévisible que sa Constitution annonçait, dès son entrée en vigueur en 1948, que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Les cliniciens et thérapeutes de l’OMS se heurtent, depuis, à tout ce que cette définition compassionnelle peut générer de sociologues et d’ethnologues spécialistes de la couleur locale, des traditions ancestrales, ou des mérites comparés du totem et du tabou dans le ‘bien-être mental et social’.
L’un des facteurs majeurs de la flambée épidémique a été reconnu par tous les intervenants. Les rituels funéraires traditionnels mettent en contact les morts et leurs entourages. Du point de vue de l’épidémiologie, la quarantaine sanitaire est la règle première. Elle n’est pas appliquée. La troupe et la police ont bien tenté, dans le West Point de Monrovia, la capitale du Liberia, d’isoler des quartiers placés sous quarantaine, mais la réponse immédiate fut celle d’émeutes réprimées de manière sanglante, c’est-à-dire anti-prophylactique puisque le sang est l’un des vecteurs des souches virales.
Que faire ? La présidente du Libéria a réclamé l’assistance des casques bleus de l’ONU. Réponse des autorités philippines : retrait immédiat de leurs troupes sous mandat ONU en Afrique de l’Ouest, avec retour à domicile et placement en quarantaine. Chine et Zimbabwe font de même, en application de la convention selon laquelle les pays délégataires restent maîtres de leurs soldats. La France, quant à elle, a fermé les escales d’Air France au Liberia et en Sierra Leone, au grand dam de MSF mais sur la demande insistante des syndicats de navigants. Le ministre du Budget sierra-léonais, l’un des pays les plus pauvres et les plus corrompus de la planète, a demandé en vain la réouverture de liaisons aériennes. Les exportations s’effondrent. Des émeutes de la faim sont à prévoir. Avec quelle prophylaxie ?
Sur place, les volontaires étrangers – ONG ou pas – se raréfient. En France même, les syndicats de soignants critiquent les mesures préventives signées en août par le ministère de la Santé et autorisant, pour d’éventuels cas repérés sur le territoire, la délégation d’analyses biométriques à des laboratoires sécurisés de niveaux II et III, alors que le niveau IV était jusqu’alors tenu pour indispensable. Au total, au-delà des populations atteintes, l’épidémie Ebola secoue des administrations tranquilles, un sacro-saint principe de précaution, la définition internationale de la santé, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et le devoir des autres à les secourir, ce qui fait beaucoup de remue-méninges à pacifier.
En attendant, l’épidémie progresse. La question « jusqu’à quand ? » n’a pas encore de réponse. Et la question « jusqu’où ? » n’est toujours pas posée, alors que le confinement de l’infection à quatre pays de l’Ouest africain est une illusion dépassée.
J.-F. Gautier
Photo : CDC/Wikimedia (Domaine public)
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