Réunification. L’exemple Normand, entretien exclusif avec Didier Patte

04/09/2014 ‑07H00 Caen (Breizh-info.com) ‑Alors que le débat sur la réforme territoriale va bientôt reprendre au Parlement et que nous avons évoqué à de multiples reprises la situation de la Bretagne (statut-quo pour le moment et pas de réunification à l’horizon), nous nous pencherons à travers plusieurs articles sur le cas de nos voisins Normands, qui bénéficieront quand à eux de la réforme puisque la Normandie sera réunifiée.
De quoi susciter de nombreuses réactions. Nous avons souhaité d’abord interrogé Didier Patte. Né en 1941, il est le président-fondateur du « Mouvement Normand » et un militant régionaliste de toujours. Il a également été jusqu’en 2007 le président de l’association « Les amis de Jean Mabire ».

Breizh-info.com : En tant que Président du Mouvement Normand, vous devez être satisfait de la perspective de réunification de la Normandie telle qu’elle semble actée dans le projet de réforme territoriale adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Qu’en pensez-vous ?

Didier Patte : Cela semble en effet se dessiner : nous espérons qu’en seconde lecture les Parlementaires ne se déjugeront pas. En tout cas, nous observons que la fusion des deux demi-régions normandes ne suscite aucune réticence, aussi bien dans le monde politique que dans l’opinion publique. Cela fait 45 ans que le Mouvement Normand lutte pour l’unité de la Normandie : c’est donc un grand espoir qui naît enfin. Nous considérons qu’il s’agit de la réparation d’une grande injustice et nous allons sortir de la situation de l’après-guerre, période durant laquelle la Normandie connut l’immobilisme, sinon le déclin.

Breizh-info.com : Si les Normands peuvent se sentir satisfaits, il n’en est pas de même des habitants de maintes autres régions : la méthode utilisée par le Gouvernement vous paraît-elle en cause ?

Didier Patte : Il faut d’abord considérer que la fusion des régions normandes était la plus facile et la plus évidente à réaliser. Cela ne remettait pas en cause l’intégrité d’une autre région comme dans le cas du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne qui désarticule la région des Pays de la Loire. De même, il ne s’agissait pas de la juxtaposition de deux entités dissemblables comme Auvergne et Rhône-Alpes. Il y a une identité normande commune, ainsi que de nombreuses structures administratives et économiques déjà unifiées : Comité Régional du Tourisme, Chambre Régionale d’Agriculture, Chambre Régionale des Comptes. J’en passe, on en compte une trentaine… Sur la méthode, je ferais observer qu’un Etat centralisé comme la France ne peut se décentraliser que par un acte délibéré du sommet…

Breizh-info.com : N’est-ce pas contradictoire avec l’esprit même de la décentralisation ?

Didier Patte : Apparemment oui ! Mais nous ne sommes pas sur une page blanche : nous avons derrière nous des siècles de centralisation et la France est un Etat-Nation, non une Nation-Etat. L’impulsion décisive vient du haut : c’est un fait… Qu’après des années de décentralisation, les évolutions viennent d’en bas, on peut l’espérer. Nous sommes partisans d’un pouvoir régional fort… dans un second temps. Pour l’instant, il faut que l’Etat accepte de son propre mouvement de se débarrasser de certaines de ses prérogatives, non régaliennes évidemment, pour qu’enfin se mette en mouvement un vrai principe de subsidiarité.

Breizh-info.com : Cette position n’est pas très révolutionnaire…

Didier Patte : Elle est pragmatique et tient compte du fait qu’il faut assumer l’histoire, toute l’histoire et qu’il serait inopérant de nier l’héritage des siècles de centralisation. Il faut faire évoluer le système au nom de l’efficacité. C’est un discours que peuvent entendre même les pires Jacobins. Il ne s’agit pas non plus de singer des exemples étrangers : l’évolution vers la décentralisation par la régionalisation sera française et non imposée par l’Europe. C’est la condition de sa réussite, sinon il y aura une crispation qui donnerait l’occasion aux Jacobins de se racornir sur un modèle dépassé. On peut dire que la politique de décentralisation a été engagée par le Général de Gaulle en 1968 – 69. Difficilement. En moins de cinq décennies, par étapes – et vous avez lesquelles -, avec des hésitations, des retours en arrière, de multiples freins, mais qu’est-ce que cinquante ans par rapport aux trois ou quatre siècles de centralisation forcenée ? Personnellement, j’ai trouvé le temps long pour en arriver à l’Acte III de la décentralisation en train de s’accomplir, mais, au regard de l’histoire, qu’est-ce que le temps d’une génération ?

Breizh-info.com : Vous semblez distinguer les concepts de décentralisation et de régionalisation : expliquez-vous !

Didier Patte : La régionalisation ne se conçoit pas sans la décentralisation, mais le choix de la région comme échelon chef de file de la décentralisation me paraît essentiel. A condition que la région repose sur un contenu historique, identitaire et pas seulement économique. Au nom du primat de l’économie, on pourrait justifier – et, encore, cela reste à démontrer – des ensembles technocratiques comme Grand Ouest, Grand Nord – Ouest, Grand Est, etc. … Bref, la France à huit régions. Et l’on peut reprocher au projet actuel de réforme territoriale de mélanger les concepts de « régions vraies » (la Normandie) avec des ensembles plus ou moins disparates (Midi – Pyrénées + Languedoc – Roussillon). Partir de la « région vraie » implique d’ailleurs que les régions à prendre en considération peuvent être dissemblables quant à la superficie : qui peut contester la réalité de l’Alsace et celle de la Normandie ? L’esprit de système français veut ignorer de telles réalités. C’est dommage. Ce peut être la cause d’un rejet dans l’opinion publique du projet gouvernemental… sauf en Normandie !

Breizh-info.com : Il n’y a pas que la taille des régions dans les dispositions présentes et à venir de l’Acte III de la décentralisation entrepris par le Gouvernement…

Didier Patte : Effectivement et nous sommes au milieu du gué. Un aspect important reste à préciser : la dévolution de la compétence générale (hors prérogatives régaliennes réservées à l’Etat) aux seules régions. Il faut que soit reconnue à la région la notion de « chef-de-filat », ce qui implique que les autres échelons du millefeuille territorial ou bien disparaissent ou bien soient subordonnés à la région, y compris les métropoles…

Breizh-info.com : Quand vous parlez de « disparitions d’échelons dans le millefeuille territorial », pensez-vous aux départements ?

Didier Patte : En tant que régionaliste, je ne suis pas un fanatique du département, mais, là aussi, j’assume l’histoire. Les départements existent, notamment dans l’esprit des citoyens. Mais je souhaite qu’ils évoluent profondément… si l’on ne peut les remplacer par les « pays », cher à Loiez Laurent… Si l’on doit garder le département, je pense, premièrement, qu’il devient une partie de la région (et non une partie de la nation), ensuite qu’il devient un regroupement de communautés de communes en zones rurales et d’agglomérations urbaines, enfin que ses prérogatives soient strictement définies (services sociaux, aménagement du territoire de proximité par délégation de la région chef de file en la matière).

Breizh-info.com : Pour l’instant, ce n’est pas clair dans le projet gouvernemental…

Didier Patte : Exact. Nous sommes, je le répète, au milieu du gué. Essayons présentement de réussir la fusion de la Normandie. Le cas de la Normandie est exemplaire : de la manière dont nous réussirons la réunification de la Normandie, ce sera un enseignement pour toutes les autres régions, où les situations sont souvent plus complexes. La fusion de la Normandie sera une réussite si tous les terroirs normands se sentent impliqués dans l’opération. Ce qui veut dire que la fusion ne doit pas se faire au seul bénéfice de la Métropole Rouen – Normandie. D’abord, la Normandie est polycentrique et, s’il fallait faire le choix d’une Capitale, nous opterions pour un ensemble métropolitain normand Caen – Le Havre – Rouen, avec répartition des fonctions entre ces trois agglomérations. Rouen est indiscutablement capitale historique et l’Etat en région (la Préfecture régionale) y aura son siège, mais le Conseil régional sera mieux placé à Caen, dont le département, le Calvados, est entouré par les quatre autres départements normands. Et, surtout, nous ne voulons pas oublier les petites villes et les territoires ruraux. Pour que la fusion de la Normandie permette l’unité de la Normandie, il faut que l’ensemble se sente concerné et contribue au nouveau dynamisme normand.

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

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Une réponse à “Réunification. L’exemple Normand, entretien exclusif avec Didier Patte”

  1. Ann dit :

    Merci pour l’itv, propos très intéressant, raisonné, pragmatique. Ce mot revient assez souvent. Les pragmatismes d’un Corse ou d’un Breton sont cependant différents de ceux d’un Normand.
    Bonne nouvelle pour les Normands en tout cas !

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