Hanté par son double romanesque, Conan Doyle a bel et bien essayé d’en finir avec son héros, le célèbre Sherlock Holmes, devenu au fil de ses enquêtes plus populaire que son créateur. Au point même que les contemporains de Conan Doyle, en boudant ses romans historiques, lui firent comprendre sans ménagement qu’on attendait de lui qu’il soit le marionnettiste de Sherlock Holmes. Terrible désillusion de Pygmalion pour un écrivain emprisonné dans l’ombre de son génial détective.
En demeure de faire revivre Sherlock Holmes sous la double pression de son public et de ses embarras financiers, Conan Doyle publie en 1901 le chef d’œuvre de sa série, le chien des Baskerville. Un roman, un vrai. Sherlock Holmes, ressuscité après avoir péri aux chutes du Reichenbach, a le droit à tous les égards car jusque-là Conan Doyle ne lui avait consacré à dire vrai que des nouvelles.
Dans les premières lignes du roman la légende noire des Baskerville nous transporte dans une malédiction de famille glaçante avec laquelle Conan Doyle joue ; de sorte que son lecteur balance entre la fable et la vérité qui entoure la lignée maudite des Baskerville. Ressort dramatique vieux comme le roman mais diablement efficace.
La branche damnée des Baskerville prend racine avec l’aïeul Hugo, un petit seigneur tyrannique du comté du Devonshire que la dépravation pousse, un soir de beuverie, à prendre maîtresse par la force dans l’une des métairies de sa juridiction. La fille du paysan séquestrée dans le château s’évade si bien que Hugo, fou de rage, lâche sa meute et la poursuit dans une folle chevauchée. Les compagnons de Hugo les retrouveront dans la brume de la lande, tous deux morts. Un chien qu’on eût dit sorti de l’enfer trône sur la dépouille de Hugo, un bout de sa gorge entre ses dents.
L’histoire du roman s’amorce vraiment lorsque brutalement la malédiction familiale frappe à nouveau.
On est de retour au siècle victorien, Charles de Baskerville, paisible lord replié sur ses terres du Dartmoor au cœur du Devon, qui aime couvrir de sa bienfaisance naturelle les rares habitants du comté, meurt dans l’allée des ifs de son manoir au cours de sa balade digestive. Crise cardiaque. Le médecin est stupéfait de voir la figure convulsée de son patient, quel choc émotionnel Charles de Baskerville a-t-il pu bien subir pour avoir succombé à une telle terreur ?
Pour faire dire à Sherlock Holmes que le chien des Baskerville est l’affaire de sa vie, le défi le plus énigmatique que le destin lui ait jamais lancé, Conan Doyle a dû ressentir une pleine satisfaction à nouer son intrigue, laquelle, en effet, nous tient en haleine de bout en bout.
Le dénouement est à la hauteur d’une enquête trépidante où le maître de la déduction affronte une intelligence supérieure comme il les aime dans sa superbe suffisance, égale à son rival de toujours le professeur Moriarty. Il n’en fallait pas moins si Conan Doyle voulait relancer son héros sur les rails du succès après dix ans d’absence.
La postérité du roman Le chien des Baskerville tient pour beaucoup à la méticulosité de la trame narrative, remarquable de concision, d’enchaînements, d’action et de logique: aucun temps mort, aucune incohérence dans la résolution de l’énigme, une redoutable machine romanesque huilée à la mythologique lande du Dartmoor. Car il est là l’autre secret de fabrication de Conan Doyle : savoir choisir en fond un décor naturel qui puisse être le grand personnage inanimé de son roman… ici, la lande . La lande du Devonshire est commune à d’autres pays de l’aire celtique, à ceci près que celle de ce comté reculé du sud-ouest de l’Angleterre s’étale sur des kilomètres sans une maison à l’horizon, terre désolée de granite recouverte d’une fine pellicule d’herbes rases, creusée de tourbières et de laquelle s’élèvent çà et là de curieux blocs plats de granite empilés qui forment comme des colonnes étranges au milieu d’autres monolithes. Dans sa traque échevelée de la bête fabuleuse, à travers la lande, Holmes choisit d’établir sa planque dans l’une de ces huttes circulaires de l’âge néolithique qui clairsèment ce paysage.
La nuit, la lande du Devon prend des allures cauchemardesques, que se passe-t-il donc dans les entrailles du marécage de Grimpen ? Faites-y hurler une grosse bête comme le chien des Baskerville et le frisson vient vous saisir plus encore qu’un blockbuster hollywoodien… y a pas de mal. Un conseil, ne vous attardez pas sur la lande à l’heure «où s’exaltent les puissances du Mal».
A.B.
Le chien des Baskerville, Livre de poche, traduit de l’anglais par Bernard Tourville ( traduction conseillée)
*Cascade du canton de Berne où dans un duel à mort Holmes affronte le professeur Moriarty
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