05/08/2014 – 07H00 Nantes (Breizh-info.com) – Intitulée« Jaurès vivant », le conseil général (PS) de Loire atlantique, organise dans ses locaux, jusqu’au 21 septembre, une exposition en forme d’hommage. Mais tout n’est pas dit sur le grand homme.
Pour mettre en avant le « parcours d’exception » de Jaurès, de nombreux panneaux illustrent le «parcours d’un homme aux nombreuses facettes » : le philosophe, le poète, le critique d’art, le grand intellectuel, le compagnon de lutte des ouvriers, le combattant de la laïcité, le leader socialiste réformateur (déjà), le journaliste, le militant des droits de l’homme, le fondateur de L’Humanité, l’orateur infatigable, le républicain sans faille…
Photos, citations, extraits de discours, tout est dit sur la vie et l’œuvre du fondateur de L’Humanité. Ou presque. Ainsi l’expo oublie de rappeler que, la veille de Noël 1894, Jean Jaurès fût expulsé de la Chambre des députés. On lui reprochait des propos antisémites tenus à la tribune. Le parlementaire avait en effet dénoncé « la bande cosmopolite » de son collègue député Joseph Reinach. Jaurès collaborait alors, avec Guesde, Viviani et Millerand, à La Petite République qui fut l’un des premiers grands quotidiens socialistes. Le journal s’attaquait à « Rothschild, le tout-puissant milliardaire, ce roi de la République bourgeoise ».et dénonçait en 1895, les « Juifs rapaces comme cette bande de Rothschild qui écrasent l’Europe entière de leur tyrannie et de leurs milliards (…) ces financiers cosmopolites ».
Ces épisodes, qui font désordre aujourd’hui, ne surprennent pas ceux qui connaissent la carrière du tribun Jaurès, mais surtout le poids de l’antisémitisme au sein du socialisme français du XIXe siècle, de Pierre Leroux, à Fourier, de Toussenel (auteur d’un brûlot intitulé « Les Juifs, rois de l’époque ») à Proudhon qui parle de « cette race qui envenime tout » ou à Blanqui.
Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le développement du mouvement ouvrier et du syndicalisme a entrainé la création de multiples organisations, journaux et revues qui ont souvent pour point commun de faire le parallèle entre les méfaits du capitalisme et l’influence des juifs.
Jaurès n’y manque pas en écrivant le 7 juin 1898 : « La race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n’est pas par la fièvre du prophétisme, manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d’extorsion. ».
Un panneau de l’exposition nantaise évoquant l’affaire Dreyfus rappelle qu’au début de celle-ci Jaurès « est persuadé comme tout le monde (sic) que Dreyfus est coupable ». Ce n’est que dans les derniers mois de 1898 que Jaurès deviendra dreyfusard en menant une active campagne en faveur du capitaine. Il apportera un concours très actif à sa libération et à sa réhabilitation.
Lorsqu’il fonda, en 1904, le quotidien L’Humanité, Jaurès eut l’appui du banquier Louis Dreyfus, et des Rothschild, ce que le panneau consacré à ce journal oublie de rappeler.
De même, la violence des attaques de Jaurès contre le capitalisme, le monde de la finance, spéculative, l’argent roi est très atténuée dans l’exposition. Le ralliement du PS à la doxa libérale n’y est sans doute pas pour rien. La figure de Jaurès « reste dans le XXIème siècle d’une surprenante actualité » conclue le texte de l’exposition. Nul doute que nombre de visiteurs partageront cet avis. Mais sans doute pas pour les mêmes raisons.
Claude Bily
Photo : DR
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Une réponse à “Exposition » Jaurès vivant » à Nantes : quelques ombres au tableau”
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