Le huitième numéro hors-série de La Nouvelle Revue d’Histoire est en kiosque. Il est consacré au déclenchement de la première guerre mondiale à l’été 1914.
Editorial de Philippe Conrad.
Un siècle s’est écoulé et les Européens sont aujourd’hui en mesure d’évaluer l’ampleur de la catastrophe survenue en août 1914, quand toutes les grandes puissances du continent se sont engagées dans un conflit suicidaire, porteur du « sombre xxe siècle ». Patiemment édifiée au fil du temps long, « la part la plus précieuse de l’univers terrestre » qu’évoquait Valéry est sortie ruinée et impuissante de la « guerre de Trente Ans » engendrée par l’attentat de Sarajevo.
Alors que les États européens dominaient le monde à l’aube du siècle dernier, ils ont vu le centre de gravité de la planète se déplacer outre-Atlantique avant que ne se dessine un « nouvel ordre mondial » américanocentré, puis « multipolaire ». La prise de conscience de ce processus mortifère constitue sans doute l’un des véritables enjeux des célébrations du centenaire de la Grande Guerre et la question des origines de celle-ci est fatalement reposée.
Les vainqueurs de 1918 ne s’interrogeaient guère à ce sujet. Ils l’avaient emporté dans ce qu’ils considéraient comme « la guerre du droit ». La « culpabilité » allemande, affirmée par le fameux article 231 du traité de Versailles, ne faisait pour eux aucun doute, suscitant ainsi chez les vaincus une volonté de revanche porteuse du pire. Mais il serait anachronique de s’indigner aujourd’hui des représentations qui s’imposèrent alors dans l’esprit des peuples, épuisés par les efforts et les sacrifices inouïs qu’ils avaient dû consentir.
Dès les années de l’entre-deux-guerres, un Pierre Renouvin s’efforçait de porter un regard historique dépassionné sur les causes de la catastrophe. Après lui, certains invoquèrent des déterminismes inéluctables : l’engrenage des alliances, la course aux armements ou les rivalités impérialistes furent successivement avancés… La recherche universitaire a ensuite retenu une approche « anthropologique » du conflit, en privilégiant les témoignages des combattants, les représentations de la violence « consentie ou contrainte » ou l’imaginaire de la guerre tel qu’il s’est construit chez les civils de l’arrière… Les conditions dans lesquelles le conflit avait pu se déclencher n’étaient pas remises en cause et la distinction classique entre les « forces profondes » – mises en lumière par Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle – et le déroulement de la crise de juillet 1914 conservait toute sa pertinence. L’impuissance de l’Internationale socialiste en ce moment précis était mise sur le compte de l’assassinat de Jaurès. La mobilisation générale russe, combinée avec les impératifs stratégiques définis par le plan Schlieffen, suffisaient pour expliquer la course vers l’abîme.
La question a pourtant été réexaminée avec profit depuis plusieurs années et l’historiographie anglo-saxonne s’est montrée sur ce terrain particulièrement innovante. Pour ne citer qu’eux, Steve McMeekin est revenu sur la part de responsabilité qu’il convient d’attribuer à la Russie dans la marche à la guerre, Christopher Clark a repris dans ses Somnambules tout le dossier en privilégiant l’étude des individus placés aux postes de décision, alors que Margaret MacMillan nous propose une relecture stimulante des crises qui ont préparé l’affrontement général.
C’est une synthèse de ces nouvelles approches que nous proposons aujourd’hui aux lecteurs de la Nouvelle Revue d’Histoire. Ils en tireront le sentiment que rien n’était écrit à l’été 1914 et que la part du hasard, comme celle des faiblesses, des insuffisances ou de l’aveuglement de certains des acteurs principaux se sont révélées décisives. Certes, les conditions d’un conflit d’envergure existaient bien, mais ce qui revient à l’imprévu demeure. Prêts à livrer une guerre perçue comme défensive, les peuples ne la souhaitaient pas mais la poursuite de la lutte, l’acharnement des combats et l’ampleur des sacrifices consentis les ont maintenus mobilisés pendant plus de quatre ans. Comprendre, avec le recul dont nous disposons désormais, ce qui est arrivé en 1914 apparaît comme une condition nécessaire à la prise de conscience d’une Europe aujourd’hui menacée de sortir de l’histoire. Ce retour sur ce qui est survenu il y a un siècle commande ainsi notre perception d’un avenir qui naîtra peut-être de notre lucidité et de notre volonté.
Au sommaire de ce numéro :
Éditorial : L’Eté tragique de 1914
Par Philippe Conrad
France-Allemagne, un antagonismeinsurmontable
Par Philippe Conrad
La Grande Guerre est–elle née des réalités économiques?
Par Pascal Cauchon
Les impérialismes coloniaux fauteurs de guerre
Par RémyPorte
Une guerre née de l’engrenage des alliances ?
Par RémyPorte
La course aux armements en Europe de 1880 à 1914
Par Olivier Lahaie
La Royal Navy face au défi allemand
Par MartinMotte
Les états-majors ont-ils poussé à la guerre?
Par le généralAndré Bach
Sarajevo. L’attentat du 28 juin 1914
Par Frédéric Le Moal
Le gouvernement de Vienne face à la crise
Par Max Schiavon
Poincaré en Russie
Par Philippe Conrad
La Serbie en juillet 1914
Par Alexis Troude
Guillaume Il et l’Europe d’avant 1914
Par Henry Bogdan
Les hésitations britanniques face à la crise européenne
Par Gérard Hocmard
Août 1914. L’échec du pacifisme socialiste
Par Maurice Martin
Été 1914. La papauté face–à la guerre .
Par .Martin Benoist
Exposition : 1914, 100 affiches pour un centenaire
ParVirginie Tanlay
La mémoire de la Grande Guerre
Entretien avec J. – P. Tubergue
Propos recueillis par V. Tanlay
La Grande Guerre dans les livres
ParJean Kappe!