La célèbre série de bandes dessinées Alix, à l’origine réalisée dès 1948 par Jacques Martin (1921-2010), se déroule à l’époque de Jules César. Elle se caractérise par un souffle épique et une recherche de l’exactitude historique. Héros de la série, le jeune homme Alix Graccus, d’origine gauloise, devient le fils adoptif d’un riche romain. S’il devient l’ami de César, il reste tiraillé entre son origine gauloise et son adoption romaine. Ses aventures se déroulent principalement à Rome, en Gaule, en Mésopotamie, en Afrique et en Asie Mineure. Mais deux tomes, créés par les successeurs de Jacques Martin, se déroulent en terre celtique.
Dans le tome 28, intitulé La cité engloutie, Alix et Enak recherchent en Armorique, sur ordre de Jules César, une garnison dont Rome reste sans nouvelles. Mais en pleine forêt armoricaine, ils sont assaillis par une horde de guerriers gaulois. Ceux-ci proviennent de la cité fortifiée de Tarania, située sur la pointe du Raz. Il s’agit du dernier foyer de résistance celte à l’envahisseur romain. Des druides y transcrivent en secret la mémoire des celtes sur des parchemins pour éviter que celle-ci ne disparaisse à jamais… Certes le scénariste Patrick Weber présente la civilisation celte sans commettre trop d’erreurs. Mais l’intrigue manque de moments forts. Le dessin de Ferry déçoit également. Si les décors se révèlent justes, les personnages restent figés.
Dans le tome 33 (Britannia), qui vient de paraître, Alix et Enak s’embarquent pour la Grande-Bretagne.
Au sein d’une troupe de légionnaires romains, Alix et Enak longent les côtes du nord de la Gaule. Ils parviennent à Port Itius où Jules César a édifié un immense camp militaire. Sept légions s’apprêtent à embarquer sur des centaines de navires pour traverser la Mare Britanicum (la Manche). César entend ainsi envahir l’île de Britannia (île de Bretagne) pour éliminer les celtes qui viennent en aide aux gaulois, mais aussi pour s’emparer de leurs richesses.
Pour mener à bien son entreprise, César s’est allié à deux britons. D’une part Mancios, jeune prince de Camulodunon (Colchester), aide l’armée romaine à conquérir l’île contre l’assurance de récupérer son trône qui lui a été usurpé par Cassinos, un chef de guerre ambitieux. D’autre part Viridoros, marchand rustre mais particulièrement bien informé. Mais après le débarquement de l’armée romaine, Viridoros empoisonne Mancios. César envoie alors Alix et Enak en éclaireurs vers les terres du terrible Cassinos. Ils vont rencontrer la belle druidesse Breccca, noble et émouvante qui, comme les romains, a pour ennemi Cassinos…
Ce tome 33 est l’un des meilleurs depuis le décès de Jacques Martin. Ecrit conjointement par Mathieu Bréda et Marc Jailloux, le scenario insiste sur le choc des civilisations entre celtes et romains. Alix se fait ainsi houspiller par un prisonnier gaulois : « les cheveux blonds d’un Celte, mais le cœur pourri d’un Romain ! ».
Pourquoi faire venir Alix en Grande-Bretagne ? Marc Jailloux s’explique : « j’étais en vacances en Ecosse. Son climat et son paysage m’ont inspirés. J’ai lu la Guerre des Gaules et j’ai appris que César avait tenté par deux fois de conquérir Britannia… Je ne voulais pas laisser croire au lecteur que les Romains allaient tomber nez-à-nez avec des tribus de sauvages britons. Les récentes découvertes archéologiques ont permis de tordre le coup à pas mal d’idées reçues. Fini, le druide sur son arbre, il y avait des temples en bois qui les abritaient. Nous avons récoltés pas mal d’informations sur les villes, les maisons et ce qu’on pouvait y trouver comme meubles à l’intérieur ».
Bréda précise pourquoi il a donné tant d’importance à une druidesse : « la civilisation romaine était profondément patriarcale, et même si quelques romaines ont marqué l’Histoire, dans l’ensemble, elles n’avaient pas beaucoup de droits. C’était tout le contraire chez les Celtes… il y eut la Reine Bodicée qui fut une grande figure de révolte contre les Romains ».
Mais le scenario ne correspond pas exactement à la conquête de César telle qu’on la connait. Certes, on peut reconnaître, à travers le nom de Cassinos, le chef celte brittonique Cassivellaunos, qui s’opposa à l’invasion de Jules César et finit par capituler en 54 av. J.-C. Cependant, on ne retrouve pas le récit exact des deux expéditions de Jules César en Bretagne (en 55 av. J.-C. et 54 av. J.-C.). C’est donc l’histoire imaginaire d’une invasion de la Bretagne par Jules César… Mais comme l’explique Bréda, « une fois la réalité historique établie, au scénariste de modifier cette réalité lorsqu’il l’estime nécessaire, pour créer une bonne histoire et de bons personnages. A mon sens, la finalité d’Alix n’est pas de faire un cours d’Histoire didactique mais de fournir du divertissement vraisemblable historiquement ».
La reconstitution des paysages et bâtiments est particulièrement réussie. Ce dessin signé Marc Jailloux reste très fidèle au trait de Jacques Martin, adepte de la ligne claire. Marc Jailloux sait donner du mouvement aux scènes d’action. La magnifique colorisation est signée Corinne Billon.
Alix, aux Editions Casterman,
Tome 28, La cité engloutie, 10,95 euros.
Tome 33, Britannia, 10,95 euros.