Le vignoble expérimental du château de la Ragotière : une anomalie en Muscadet

La loi relative aux appellations d’origine (1935), fondatrice de notre vision du vin, assigne aux terroirs  un encépagement imposé, que « les usages loyaux et constants » consacrent  comme les plus adaptés  aux conditions de culture en vigueur. Depuis lors, un  cadre réglementaire des plus vétilleux n’aura de cesse que de corseter  toutes les velléités  d’expérimentation qui  attentent à l’ordre immuable de la tradition viticole. Les prémices de cette évolution se  retrouvent dès le XVIème siècle.  En 1395, Philippe le Hardi,  pourfendeur  patenté du gamay, bannit de  la Bourgogne  le « plant déloyal » accusé d’œuvrer à la perte du noble pinot noir. Avec son édit, il inaugure l’emprise de la force publique sur la sphère vitivinicole. Telle  une   loi d’Airain, la réglementation du droit de plantation, protège, sous les auspices  d’une tradition  immémoriale, l’indéfectible lien entre un cépage et son  sol. Ainsi au sein du Muscadet, la  contestation de la suprématie du melon de bourgogne  s’identifie clairement à un  crime de « lèse-terroir ».

Dans le système actuel, seul le cépage élu peut prétendre au firmament de la hiérarchie viticole et se revendiquer de l’appellation d’origine protégée, quand bien même sa qualité ne servirait pas la grandeur du terroir…En conséquence, tout vigneron désireux de  s’écarter de la ligne officielle du cépage, prend le risque de   déchoir sa production  dans le purgatoire obscur des vins de pays ( IGP indication géographique protégée) ou de la faire sombrer dans le « fond de cuve » des vins de France.

A la lumière de ce rappel, la hardiesse de Michel Couillaud prend davantage de sens. L’idée germe au début des années 90, las de la routine, il  entreprend d’acclimater des cépages pour le moins « exotiques », au  cœur d’un  vignoble des plus conservatistes. Afin de donner corps à ce projet résolument iconoclaste, cet esprit séditieux se met en recherche des candidats à la future transplantation. Le viognier est pressenti, en dépit des mises en garde des vignerons du Condrieu (sa terre d’élection))  sur le tempérament capricieux du cépage. La parade réside dans le surgreffage du greffon (partie fructifère) sur des vieux plants (partie racinaire) de melon de Bourgogne, aux fins  de lui donner un surcroît de résistance. L’opération hautement technique est confiée à des pépiniéristes mexicains. Michel Couillaud jette également son dévolu sur le petit manseng, avec l’envie d’infléchir le registre très liquoreux du cépage du Jurançon vers des tonalités plus minérales, léguées par le terroir de micaschiste.

De façon assez prévisible, les institutionnels  (comité interprofessionnel et syndicat vitivinicole)  opposent leur incompréhension et œuvrent au discrédit du projet, dépeint comme la lubie farfelue d’un illuminé .Devant ce refus, le vigneron franc-tireur  ne  désarme pas et argue d’un droit à tester la greffe de cépages étrangers pour le  bénéfice d’études conduites par l’Institut Français du Vin  et  de la Vigne (IFV). De haute lutte, dans le cadre d’un périmètre purement scientifique, l’autorisation de complanter  est  finalement accordée  sur une surface de 2.5 hectares.

Bien évidemment, le temps passant, la mobilisation de la recherche qui conditionnait la création du vignoble aura tendance à s’émousser, pour ne plus avoir d’objet…

Mais le subtil contournement du droit de plantation a laissé quelques traces. La  profession peine à cacher son agacement  à l’égard de cette parcelle rebelle, ravivant  sans doute les inimitiés sur un domaine qui s’est taillé un solide succès à l’exportation.

S’ajoute à la crispation, la réputation des cuvées ultraconfidentielles  recherchées par les amateurs avertis. Leur notoriété  accrédite l’idée nocive que d’autres cépages gagneraient à être plantés sur les terres du melon.

Une mention particulière au viognier, qui parvient sur des rendements très réduits  (15 hl/hectare) à préserver le parfum du cépage grâce à  l’entremise d’un nez enjôleur de raisin frais, invoquant clairement sa filiation rhodanienne.

Moins charnu que ses homologues sudistes, quoique le millésime 2009 montre une surprenante opulence, le charme de la cuvée  repose sur l’exubérance aromatique du viognier, tempérée par  la fraîcheur océanique de son nouveau terroir.

Toutefois, la perle très convoitée et tant attendue  des aficionados reste le petit-manseng. La vendange guette le passerillage* du raisin lors de l’arrière-saison, sur la fin du mois d’octobre. Dès lors, Toute la famille se mobilise à l’occasion d’une cueillette familiale  dédiée au  vin porte-drapeau du domaine. Une récolte manuelle  très attentive, sélectionne  les raisins flétris et ratatinés par le soleil.

Au gré des années, son profil est changeant. Succède au caractère confit des  2009 et 2010,  un millésime 2012* acidulé, remarquable d’équilibre .Le nez opère un charme quasi immédiat sous l’effet de senteurs acérées d’ananas, fluide et léger, l’amateur appréciera sa finale  d’une grande netteté, sans le lest du sucre. Outre son caractère insolite, ce vin ouvre un style unique, en rupture avec le  liquoreux classique.

Saluons une démarche d’autant plus anachronique et méritoire, si l’on se rappelle  que, le temps ou la vigne pissait ses rendements pléthoriques  sous le régime de l’appellation d’origine n’était pas si loin…

Raphno

Frères Couillaud, Château de la Ragotière, Grande  Ragotière, 44330 La Regrippière -Vallet

*Passerillage sur pied  : Technique consistant à laisser sécher le raisin au soleil  et à retarder au maximum sa récolte.

Le petit-manseng 2012 : Tirage extrêmement limité  de 1200 cols.

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

 

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Une réponse à “Le vignoble expérimental du château de la Ragotière : une anomalie en Muscadet”

  1. pschitt dit :

    Infraction aux traditions immuables ? Si le climat n’est pas immuable, il faudra bien que les traditions changent, hélas. Dans un demi-siècle, nous boirons peut-être (fût-ce par la racine) le jus du petit-manseng en lieu et place de celui d’un melon de Bourgogne chassé par le réchauffement climatique.
    Il serait bon de préciser que les Couillaud produisent aussi un muscadet de très haut niveau.

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