04/06/2014 ‑ 08H00 Quimper (Breizh-info.com) – Alors que les élections européennes se sont déroulées il y a maintenant plus d’une semaine, retour sur un vote qui pourrait avoir changé pour longtemps la vie politique en Bretagne (avec notamment la gifle rurale prise par le PS, la montée du Front National et la percée du courant autonomiste breton dans le Finistère) . Pour commenter ces élections, nous avons interrogé Ludovic Jolivet, nouveau maire de Quimper, afin de recueillir ses analyses à froid du scrutin
Breizh-info.com : Quels sont vos commentaires sur les élections européennes. Que pensez-vous notamment de la victoire du PS à Quimper ?
Ludovic Jolivet : Ce que vous appelez la « victoire » du PS à Quimper mérite d’être relativisé. Gilbert Gramoullé, porte-parole de l’opposition quimpéroise, s’est contenté de dire : « Nous résistons bien ». Avant de reconnaître : « Notre score n’est pas non plus satisfaisant ». Je n’ai jamais fait partie de ceux qui, pour reprendre les termes de Gilbert Gramoullé lui-même, pensent que le PS « se dirige vers un précipice sans fond ». Parce que je crois que ce ne ce serait pas bon pour notre République, néfaste pour notre cohésion sociale, négatif pour notre avenir commun. Je ne suis pas sectaire et il n’a jamais été dans mon caractère de miser sur la politique du pire. Je crois vraiment qu’il y a des urgences, que ces urgences sont au plus près de nous. Que nos concitoyens, que nos entrepreneurs ont besoin d’être rassurés, encouragés, appuyés… Je m’y emploie.
Tout cela me paraît essentiel. Mais s’il faut revenir sur les résultats de l’élection européenne, je constate d’une part que le paysage politique finistérien, contrairement à ce qui se passe dans bien d’autres territoires, n’est pas profondément bouleversé. Il y a certes une poussée du Front national qu’il serait malvenu de nier. Il y a certes un autre type de vote contestataire, protestataire, celui lié au mouvement des Bonnets rouges qu’il serait également inopportun de sous-estimer. Au-delà de la progression, relative mais réelle du Front national, notamment dans les zones rurales mais pas seulement, nous ressentons une incompréhension. Incompréhension vis-à-vis de l’Europe. Non pas telle qu’elle est : fondatrice de la paix, de la réconciliation et du progrès. Mais de la façon dont elle peut être perçue : trop conciliante, trop ouverte, peut-être même trop naïve. Je ne dis pas que tout cela correspond à la réalité parce l’administration et les élus européens sont pour la plupart compétents et beaucoup plus durs dans les négociations qu’une partie de l’opinion ne l’imagine, mais il nous faut bien tenir de compte de cette impression générale qui favorise un vote marqué par le désaveu des élites européennes, qui semblent lointaines ou déconnectées, ou l’incompréhension des véritables enjeux, pourtant décisifs. Parce que si l’Europe continue de se couper de ses citoyens… nous risquons une rupture durable entre élus et électorat.
Breizh-info.com : Le Front national et Christian Troadec dans le Finistère semblent se partager le gâteau électoral dans les campagnes notamment. Comment l’expliquez-vous ?
Ludovic Jolivet : Il n’y a pas de gâteau en politique. Ni en ville ni dans les campagnes. Il n’y a que des engagements, auxquels on se tient, ou pas. Je ne crois pas que l’on puisse surfer ainsi sur les malaises, sur les crises. La mission, le mandat, que l’on a en tant qu’élu est d’imaginer des solutions et de les mettre en œuvre. Le désengagement massif, d’une ampleur qui dépasse presque l’imagination, de l’Etat est une réalité. Je ne m’intéresse, avec mon équipe, qu’aux réalités et à l’avenir. Ce sera dur, douloureux d’y faire face. Nous aurons des choix à faire. Nous les ferons sans rien céder sur les services publics qui sont essentiels pour la population, fondamentaux pour la cohésion sociale, respectueux du juste équilibre en termes d’efforts entre les trois fonctions publiques : Etat, hospitalière, territoriale. Les désengagements de l’Etat vont nous contraindre à des décisions difficiles. Nous les effectuerons dans un esprit de large concertation. Personne ne sera pris au dépourvu. Je regrette que la majorité précédente, qui était bien au courant de tout cela, n’ait rien fait pour anticiper ce changement de paradigme, de logiciel qui nous est aujourd’hui imposé dans la conduite de nos politiques publiques d’investissement et de développement.
Breizh-info.com : Y-a-t-il des alliances possibles à venir avec ces deux mouvements (FN/Troadec) ?
Ludovic Jolivet : Je ne crois pas qu’il faille considérer l’élection européenne comme une prise de température réellement significative de l’état de l’opinion publique française. Je regrette que nous n’ayons pas, collectivement, plus d’envie, pour une Europe qui a protégé notre agriculture, notre pêche, avec bien sûr des insuffisances, des insatisfactions, des frustrations, des décisions à appliquer particulièrement douloureuses… Mais nous avons encore notre mot à dire à ce sujet, en lien avec les professionnels, avec les filières, pour défendre des activités constitutives de notre territoire. Je regrette aussi que l’Europe soit perçue par beaucoup comme une ennemie, une gêne, un empêchement. Nous, ici, dans le Finistère, nous sommes un point d’entrée, une porte d’accueil.
Qui mieux que nous peut être Européen ? Je peux comprendre les réactions viscérales anti-européennes qui se manifestent hélas par des scores jusqu’ici jamais atteints en Cornouaille mais je les regrette et ne les partage pas. Je les entends parce que je crois que l’UMP a manqué de clarté, de solidité, de fermeté dans l’expression de son engagement européen. Cet engagement ne signifie pas que tout va bien. Il y a beaucoup à faire, et c’est peu dire, quant à la sécurisation de l’espace européen, notamment via une véritable mise en œuvre des obligations liées à l’espace Schengen, mais cet engagement européen fait partie de notre avenir. Nous ne pouvons ni l’éviter, ni nous dérober, ni le contourner.
Dans ce contexte, la réunion, le rassemblement, tout à fait naturel et cohérent, de la Bretagne historique, le retour à une Bretagne à cinq départements, me paraît souhaitable, possible et nécessaire. Il correspond à une communauté de vie et de destin. Il s’inscrit dans une logique historique et une perspective économique et culturelle favorables, équitablement, à nos territoires.
Breizh-info.com : l’échiquier politique breton est-il bouleversé ?
Ludovic Jolivet : Je ne pense pas qu’il le soit. Si l’on prend l’exemple de la ville de Quimper, le score réalisé par le Front National est de 12%, contre 2,2% en 2009. C’est une augmentation spectaculaire. Mais qui est visé ? On ne sait pas vraiment : le fonctionnement de l’Union européenne, les défaillances de l’exécutif national… ? Le PS se maintient à 20%. Le total obtenu par l’UMP, l’UDI et le MoDem associés au sein de la majorité municipale quimpéroise est de l’ordre de 30%. Cela constituerait un score très honorable s’il s’agissait d’une élection à deux tours comme la municipale. Sans compter la dispersion énorme due à la profusion de listes et aux pertes de voix provoquée par l’important niveau d’abstention. Mieux vaut rester prudent dans l’analyse à l’échelle de la Cornouaille comme à celle de la Bretagne. Il y a de l’impatience, de la colère, du ressentiment. Qui pourrait le nier ? Certains de nos fleurons – l’agroalimentaire, le BTP… – sont gravement menacés. Les partis de gouvernement en payent le prix. Mais il ne faut pas non plus oublier ce qui va bien.
Breizh-info.com : Quel bilan tirez-vous de votre arrivée à la tête de Quimper ?
Ludovic Jolivet : Je suis à la tête d’une équipe qui est présente sur le terrain, disponible et accessible. Je ne vais pas vous jouer le coup de l’héritage. Il n’y a plus mal loti que nous. En revanche, ce que je regrette, ce sont les dernières années du mandat de mon prédécesseur, obnubilé par ses activités parisiennes, où certains dossiers on été suivis avec une attention moins soutenue. Ce que je regrette aussi, et qui n’a pas été suffisamment anticipé, ce sont les conséquences massives des désengagements de l’Etat, qui vont nous contraindre à des ajustements, des aménagements, des reports, voire des décisions radicales en matière d’investissements. Tout cela était connu et aurait pu être tranché auparavant. Mais nous assumerons ! De toute façon, notre budget est tenu d’être à l’équilibre.
Nous voulons trois choses : pas d’augmentation d’impôt, des investissements productifs en faveur de l’emploi, le maintien des services publics essentiels pour la population. L’ampleur des désengagements de l’Etat est telle qu’il nous faudra faire des choix dans le respect de l’intérêt général.
Sur le plan budgétaire, les années à venir seront tendues. Mais nous tiendrons le cap pour ce qui concerne nos axes prioritaires, à Quimper et Quimper-Communauté : l’emploi et le développement économique ; Quimper capitale culturelle de la Bretagne ; Quimper exemplaire en matière d’urbanisme et d’innovation architecturale…
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