Le président du Mexique Calles, un athée franc-maçon, ayant lancé une persécution catholique sans précédent, une grande part du peuple catholique se souleva de 1926 à 1929. Ces Cristeros, comme on les a appelés, ont subi une guerre sanglante, la Christade, de la part d’un ennemi sans foi ni loi. Un film leur rend hommage. Une histoire pour tous, longtemps occultée, que l’on peut enfin voir en France.
Hors des cercles pieux catholiques les plus militants, la Christade reste peu connue en France, ou noyée dans la masse considérable des guerres civiles subies par la Nouvelle-Espagne de 1810 à 1920. Cette ignorance compte probablement parmi les causes de la non-distribution du film en France. Le film, sorti en 2012 aux Etats-Unis et au Mexique où il a fort bien marché, a fait un flop en Espagne (150.000 dollars de recette) et aucun grand distributeur n’a voulu s’occuper d’une œuvre qui menaçait de ne pas être rentable. Véritable raison ou prétexte ? Il sort en France 15 à 20 films par semaine, dont de très nombreux échecs commerciaux, sans que cela dissuade apparemment producteurs et distributeurs. Saluons toutefois la détermination de M. Hubert de Torcy, le directeur de Sajeprod, le courageux distributeur français. Il est enfin possible grâce à ses efforts de voir dans des salles françaises les Cristeros, deux ans après sa sortie. Parfois, surtout en province, il faut tout de même chercher les lieux de projection avec persévérance, tant ils demeurent restreints. Si M. de Torcy nie tout boycott organisé, au sens plein et entier du terme, il est difficile de contester une réticence pour le moins de beaucoup de directeurs de cinémas à programmer les Cristeros. Ainsi, les salles du groupe Mk2 ne le diffusent-ils pas, vraisemblablement pas un hasard, après le précédent du refus (revendiqué) de Mk2 de laPassion de Mel Gibson. Le film ne serait projeté que dans 61 salles dans toute la France, dont une seule à Marseille par exemple. Cela ne l’empêche pas de très bien démarrer, à guichets fermés dans de nombreux cas.
La rhétorique du parisianisme
Si l’on ne peut donc pas parler proprement de censure, on constate une hostilité marquée d’une partie de la critique, et une volonté organisée de discréditer le film. Y compris dans la presse dite catholique. Sans qu’il y ait de cabale homogène. La Vie et Le Monde des religions publient par exemple des recensions bien informées sur le plan historique et plutôt louangeuses. Mais chez ceux qui font réellement l’opinion sur la question, l’attaque est concertée, fielleuse ou méprisante. Elle utilise tous les arguments. Par exemple, le Monde reproche à ce « blockbuster » un prix de tournage extrêmement élevé, sept millions d’euros. Pour mémoire, en 2011, trente et un films français ont eu un budget supérieur, certains coûtant deux, trois ou quatre fois plus cher. Voyons maintenant l’argument critique. Télérama : « L’Américain Dean Wright gâche ce sujet en le noyant dans un banal film d’aventures, ponctué de scènes édifiantes, d’un dolorisme presque kitsch ». Le Nouvel Observateur : « le cinéaste Dean Wright (crédité aux effets spéciaux de « Narnia ») fait dans la grandiloquence. Musique emphatique, postiches capillaires ultra voyants, amples mouvements lyriques de caméra… Il joue la carte de l’opératique ampoulé (…) guimauve manichéenne (…) ». Le Monde : « Cristeros, de par son infinie platitude, ne servira pas à grand chose. Sauf à donner une idée des ressources surprenantes de la propagande catholique au Mexique. »
Le sale boulot de la Croix
Ici le quotidien de référence de la gauche parisienne mêle la politique à la critique cinématographique et montre ainsi le bout de l’oreille. Bizarrement, c’est la Croix qui mettra les pieds dans le plat. Elle commence ainsi son article : « Visiblement le lancement en France de Cristeros, sorti en 2012 au Mexique et aux États-Unis, bénéficie d’une promotion appuyée, qui n’est pas sans provoquer un malaise. Car certains n’hésiteront pas à relier ce film au contexte tendu de l’an dernier en France, en y voyant une invitation à combattre le gouvernement… comme les catholiques mexicains l’ont fait, entre 1926 et 1929, pour défendre la liberté de culte. »
Que des catholiques fassent la promotion d’une œuvre qui n’a bénéficié d’aucune publicité provoque un « malaise » chez cet étonnant quotidien catholique. Sa cible est manifestement la Manif pour tous, et plus généralement le public chrétien qui n’entend laisser piétiner les valeurs chrétiennes par les politiciens « laïcs ». Cette obsession politique est reprise dans un article connexe de la Croix, où il est fait dire à un historien interviewé, Jean Meyer Barth, à propos du film : « La charge idéologique, catholique, conservatrice est beaucoup trop lourde ; la preuve en est qu’aux États-Unis la droite républicaine la plus récalcitrante a essayé d’utiliser le film contre Barack Obama, dans le cadre de la campagne électorale : « Voyez ce que Calles a fait au Mexique ; cela nous arrivera avec Obama. ». La préoccupation de la Croixn’est pas la valeur historique ni esthétique de Cristeros mais l’utilisation politique qui pourrait en être fait contre Hollande ou Obama.
La fin de l’article vaut aussi d’être citée : « forçant le trait sur la brutalité des soldats de l’armée fédérale, ce film oublie l’interdit évangélique de toute forme de violence, y compris pour défendre le Christ. De ce fait, ce Cristeros tient davantage du western que du film d’inspiration chrétienne. » Sans nous appesantir sur l’argument théologique faux, notons le déni de réalité manifeste et volontaire que contient la phrase : car l’ historien Meyer Barth établit aussi, dans l’interview déjà citée, la brutalité des soldats de l’armée fédérale et l’inhumanité assumée du président Calles responsable de la guerre civile.
Sans rechercher l’effet facile, on comparera ces méthodes au tapage mené autour de la Vie d’Adèle, ode à la gloire des amours lesbiennes, très bien diffusée, et scandaleusement classée « tout public » par les autorités compétentes. On a encore en mémoire les commentaires dithyrambiques qui l’ont saluée, malgré quelques notes discordantes de rares critiques honnêtes, bien qu’amoraux, moquant mezzo voce l’ennui prodigieux de l’œuvre de M. Kechiche.
Une œuvre réussie
Et le film, que vaut-il ? Le critique de Réinformation.tv, avouons-le, avait une crainte : devoir écrire du bien d’un pensum pieux, au nom du communautarisme catholique. Or, le spectateur ne s’ennuie pas une seconde. Une telle œuvre repose sur une somme de contraintes, qui imposent des choses parfois difficilement compatibles : la fidélité à l’Histoire, un point de vue favorable aux catholiques qui n’occulte pas la logique de leurs adversaires, l’hommage aux martyrs sans sortir d’une présentation réaliste – en évitant donc les anges visibles et l’abus des cloches de Pâques pour la bande sonore – la volonté d’exhaustivité sans devenir pour autant trop long pour le spectateur… La si difficile alchimie de ces contraintes antagonistes fonctionne parfaitement dans le film. Le travail du réalisateur, Dean Wright, tout comme le jeu des acteurs, tout s’enchaîne parfaitement, avec une émotion d’autant plus vive qu’elle est formellement contenue. Pas de surjeu, de cris, ou a contrario de quasi-indifférence inhumaine, du moins chez les catholiques, tout ceci est très juste.
A notre avis, l’acteur le plus convainquant est celui qui incarne le rôle le plus difficile, par lequel tient la narration, le méchant, le président Calles, déclencheur des persécutions ; son jeu sobre rend parfaitement compte de sa volonté en apparence calme, mais parfaitement fanatique et déterminée, accompagnant la persécution d’un souci de légalisme absolu – multipliant donc les lois au besoin. De même, les libéraux, pris entre deux feus, sont fidèlement rendus. Ils ne croient pas à la Messe, sans approuver pour autant les persécutions, et moins encore les atrocités qui les accompagnent ; leurs principes devraient les amener au nom de leur liberté religieuse à défendre les Cristeros. Mais ils s’en abstiennent dans leur grande majorité, car on ne meurt pas pour le libéralisme, puisqu’en ce système tout est relatif ; le tout s’accompagne aussi d’évidente lâcheté.
Le modèle de la troisième république
Pour le spectateur français, la comparaison vient immédiatement à l’esprit avec les Vendéens, victimes du pouvoir antichrétien persécuteur des Conventionnels de 1793-95, sujet sur lequel il reste un grand film à tourner. Le rapprochement est aussi naturel avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat provoqué en 1905 par vingt ans de politique « anticléricale », source d’inspiration directe pour les Révolutionnaires mexicains des années 1920 : heureusement, cette persécution évita en France le bain de sang, sur intervention du radical Clemenceau en 1906 après les premiers morts. Elle n’en fut pas moins, sous le masque de l’anticléricalisme une féroce guerre civile et religieuse anticatholique menée tambour battant par le Grand Orient de France.
Au Mexique, les mêmes forces sont allées plus loin dans leur logique. Les catholiques mexicains sont bien présentés, avec la diversité des attitudes, des tempéraments, et pour tous la fermeté face à la persécution sanglante. Les protestations pacifiques, les manifestations, face à des antichrétiens déterminés comme Calles ne mènent à rien, ni le jeu électoral, à l’évidence truqué. Les négociations diplomatiques du Vatican n’aboutissent à rien non plus. Face à des agressions de plus en plus violentes, la fermeture des églises et l’expulsion ou l’assassinat des prêtres, il ne reste plus que le devoir d’insurrection. La chose est plus facile à dire qu’à faire. Elle excite encore davantage la rage des persécuteurs ; nul n’envisage sereinement la mort probable de ses proches, ou l’inévitable ravage de son pays par la guerre civile. Tout ceci est fort bien montré.
Les catholiques sont héroïques, mais avec leurs doutes, leurs sensibilités, qu’ils surmontent. Les jeunes époux, les fiancés, s’aiment, avec une pudeur propre à leur milieu et à l’époque qui tranche heureusement sur l’étalage du cinéma contemporain. Le spectateur regarde un film pleinement catholique et le ressent. Les martyrs, authentiques, documentés, ont été canonisés tardivement sous Jean-Paul II ou Benoît XVI pour des raisons diplomatiques, l’Etat mexicain se considérant l’héritier direct des persécuteurs. Les scènes de martyres insoutenables bénéficient d’ellipses : on n’en montre que le début, avec parfois la revue des instruments de torture, et le résultat final, un catholique qui n’est plus que plaies sanglantes et marche au milieu de souffrances atroces, à la mort, et donc au Ciel. Le martyr du vieux prêtre incarné par Peter O’Toole, dernier rôle de l’acteur, fusillé en habits sacerdotaux, émeut particulièrement. La guerre a été atroce, on avance souvent le chiffre de quatre-vingt-dix mille combattants tués plus cent cinquante mille civils massacrés par les gouvernementaux, parce qu’ils étaient soupçonnés à tort ou raison de soutenir les Cristeros. Les faits sont montrés sans désir de minimiser ni complaisance morbide, là encore sur ce point essentiel triomphe un esprit authentiquement catholique.
En dessous de la réalité
Certains puristes ont reproché quelques adaptations narratives. Elles sont inévitables dans un spectacle de fiction. En outre, honnêtement, qui connaît vraiment les détails de la Guerre des Cristeros en France pour les remarquer et s’en offusquer ? Toutefois, les grandes étapes du conflit respectent l’Histoire, comme les personnages principaux et leurs rôles. L’esthétique empruntée au western convient à des paysages du Nord du Mexique très semblables à ceux d’au-delà du Rio Grande. Les enjeux historiques et géopolitiques sont justement rendus. Calles (1877-1945), radical mexicain, au pouvoir de 1924 à 1928, veut construire un Etat socialiste athée ; il est prêt à renoncer un temps au socialisme pour obtenir le soutien, c’est-à-dire des armes surtout, de Washington, et l’obtient (il a reçu en outre dix millions de dollars du Klu Klux Klan pour éradiquer le papisme). L’abandon des Cristeros par les autorités romaines au profit d’un compromis des plus fragiles et boiteux en 1929 reste seul un peu flou dans le récit, vraisemblablement par souci catholique du respect du Saint-Siège ; respecter le Vatican ne devrait impliquer pourtant une amnésie sur des erreurs réelles de la diplomatie vaticane. L’occasion d’établir une République authentiquement catholique au Mexique a été manquée, au profit d’une vague tolérance tout juste respectée par les athées de Mexico, dont les descendants directs sont revenus au pouvoir aujourd’hui. La mort héroïque du général Enrique Gorostieta Velarde (1889-1929), militaire sceptique à la retraite converti par l’insurrection, est bien montrée. Mais il manque la rupture en 1931 du compromis de 1929 et l’assassinat de plusieurs milliers de Cristeros désarmés. Cristeros raconte une histoire pour tous, il ne force pas le trait, bien au contraire.
Ce beau film rappelle qu’il existe en France un marché pour des films catholiques – puisque c’est le langage que les matérialistes comprennent. Et il invite à se documenter sur la lutte des catholiques mexicains, exemplaire à bien des égards. On comprend, quand on se penche sur elle, la grande peur des bien pensants d’aujourd’hui et le mal qu’ils se donnent pour discréditerCristeros : le président Calles, ses principaux affidés, son programme, ses interlocuteurs aux Etats-Unis, en qui il trouva un soutien efficace et fidèle, tout cela est maçon, maçon de la tête aux pieds, maçon jusqu’au bout des ongles. Oser dire que l’idéologie de la « tolérance » peut engendrer le pire fanatisme et les pires massacres est un crime inexpiable aux yeux des puissants du jour.
2 réponses à “Cristeros, une histoire pour tous [chronique cinéma]”
Merci pour votre article, pour ma part j’ai été très touchée par ce film et par cette histoire tragique que je ne connaissais pas.
Les articles du monde et de la Croix surtout m’ont ulcérée par leur malhonêteté intellectuelle.
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