31/05/2014 – 09H00 Normandie (Breizh-info.com) –Au cœur de la Normandie, un coteau inspiré porte une vigne improbable. Poussée dans ses retranchements physiologiques, en lutte permanente pour conquérir sa maturité, cette vigne du défi est l’œuvre d’un notaire féru de viticulture, tenaillé par l’envie de faire son propre vin. A l’instar de son vignoble, l’homme est tout aussi invraisemblable. Erudit, le verbe délié, au port élégant, probable vestige de sa notabilité passée, Gérard Samson affublé d’un chapeau « mitterrandien » détone dans le monde vigneron. Pétri de droit, son profil de « rat de bibliothèque » le prédispose à fureter dans le « Fonds normand », dans lequel il retrouve l’emplacement précis du vignoble de Grisy, au sud de Caen. La carte de Cassini (1776), géographe de Louis XV, confirme sa notoriété locale et surtout une véritable antériorité que peu de vignobles seraient en peine de revendiquer.
Les recherches archivistiques aiguillonnent la fibre vigneronne de Gérard Samson qui voit dans l’historicité de ce lointain vignoble l’apanage d’un terroir privilégié. A l’évidence, le coteau incliné en forme triangulaire condense les atouts d’une situation exceptionnelle. A commencer par l’exposition Sud-Sud-Est, à même de capter du matin jusqu’au soir un ensoleillement optimal. La pente du coteau assure le ressuyage du sol, alors que tout le milieu environnant se confond dans la monotonie paysagère de la plaine normande, sans la moindre éminence. S’ajoute une aérologie typique des situations de relief isolé, avec un mini phénomène de Foehn (courant d’air chaud descendant) très favorable sur l’arrière-saison, pour obtenir un surplus de maturité. Sur les flancs du coteau, le calcaire du jurassique affleure et laisse entrevoir la pureté de la roche dans un blanc quasi immaculé. Le regard devine aisément la pertinence du lieu de plantation par ce contraste saisissant entre la plaine limoneuse, (impropre à la vigne car trop fertile) et la butte esseulée. Loin de se réduire à une croyance mystique, le terroir légitime et pérennise les conditions d’existence d’un vignoble en butte à un milieu peu favorable.
En 1995, le notaire plaque sa confortable étude pour redonner vie au vignoble normand mis en sommeil depuis des siècles. Dans l’establishment viticole, les regards sont goguenards voire condescendants à l’endroit de ce notable qui s’improvise vigneron. C’est méconnaître la solide culture œnologique et l’extrême pugnacité de Gérard Samson qui garde de son ancien métier un redoutable sens de l’organisation, bien utile dans une telle entreprise. Après de multiples vicissitudes, le vin des Arpents du Soleil convainc .Longtemps restés dubitatifs sur la renaissance de la vigne en terre de pommiers, les normands semblent de plus en plus fiers de ce regain. Comme pour toute création de vignoble, le temps est un allié, seule l’expérience des millésimes aide à la compréhension du terroir car la vigne est une plante à « mémoire » qui s’ajuste progressivement aux contraintes du milieu. Fort de de ce recul, Gérard Samson appréhende de mieux en mieux les caprices du temps normand avec des vins en constant progrès.
Enserrée dans une clôture, protégée sur ses flancs par un bois et une haie bocagère, la parcelle d’un seul tenant complantée en cinq cépages différents, profite essentiellement de la pente du coteau. Ces derniers se disputent moins de 5 hectares, aussi la production du domaine s’écoule avec une extrême parcimonie sur des volumes très confidentiels*.
Sans conteste, après dégustation de la gamme, l’auxerrois se détache. L’obscur cépage dévoile à la faveur d’un grand millésime ensoleillé (2009) une noblesse inédite. En Côtes de Toul, son caractère aimable mais sans grande complexité n’a guère servi sa cause et il ne se grandit pas davantage dans l’edelzwicker, vin d’assemblage alsacien.
En conséquence, Gérard Samson peine à réprimer sa fierté à l’évocation du résultat obtenu. Le calcaire du Jurassique révèle l’auxerrois comme un cépage intensément minéral. Avec une prime à la garde lorsque le temps délie son expression sur des notes pétrolées rappelant les senteurs de naphte. La découverte du domaine réserve bien d’autres surprises, à l’image de ce surprenant Muller-Thurgau (croisement entre le Sylvaner et le Riesling)et la présence du melon de bourgogne (cépage du muscadet) , particulièrement dense et mature ! Même l’inattendu pinot noir ne démérite pas, le vin est plein et fruité, bien que le style se cherche encore dans l’ajustement de l’élevage.
Au-delà du jugement porté sur la qualité, la folle entreprise de plantation de ce notaire reconverti en vigneron, inocule à la dégustation un plaisir indicible : celui de goûter à la passion d’un homme qui ressuscite le vin en Normandie !
*Les vins du domaine sont conditionnés dans des bouteilles de 50 cl.
Raphno
Gérard Samson – Les Arpents du Soleil
Chemin de Grisy – 14170 Saint Pierre sur Dives
Tel : 02 31 40 71 82
Photos : DR
Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.