Les grandes entreprises technologiques – nucléaire, aéronautique et espace, transports, télécom et grandes infrastructures, voire automobiles – sont au cœur du modèle français. Elles ont été choyées. Par l’Etat stratège, d’abord, qui a conçu leur développement, il y a maintenant une… cinquantaine d’années et qui a toujours veillé à leur donner un environnement favorable. Les grandes entreprises technologiques ont aussi bénéficié de ce qui reste d’excellence du système scolaire français : les classes préparatoires et les écoles d’ingénieurs. Et dans l’ensemble, l’Etat les a accompagnées par des financements, une fiscalité avantageuse et un bon environnement juridique. Cela n’a pas été sans inconvénient pour le reste de la société et de l’économie.
Un impôt sur les bénéfices de l’ordre de 10 % en moyenne pour les grandes entreprises, de près de 30 % pour les PME. La polarisation des subventions et aides à la recherche sur quelques secteurs et surtout une politique commerciale très ouverte. Pour vendre des TGV, des Airbus, des centrales nucléaires, des ponts et des autoroutes, il a bien fallu sacrifier toute mesure protectionniste ou crypto-protectionniste. Des pans entiers de l’industrie ont ainsi disparu. Souvent dans le silence sur les causes du phénomène : le poids des grands groupes dans la publicité, voire dans le capital des médias (Bouygues), expliquant la complaisance de la presse vis-à-vis de leurs intérêts.
Dans les années 1960, les intérêts des grandes entreprises technologiques ont pu se confondre avec ceux de la France. Ce n’est plus le cas. D’abord, parce qu’elles se sont progressivement dénationalisées. Par leurs chiffres d’affaires, la localisation de leurs bénéfices et surtout la mentalité de leurs dirigeants. Les super-élites du corps des mines ou de l’inspection des finances étaient profondément patriotes dans les années 1960/1970, elles sont aujourd’hui devenues des relais de la super-classe mondiale à laquelle elles s’identifient et dont elles partagent le mode de vie et les privilèges.
Plusieurs leçons doivent être tirées des affaires Alstom et Peugeot :
– il y a dissociation des intérêts des grandes entreprises (et a fortiori de leurs dirigeants) et des intérêts français ;
– la France ne peut pas vivre éternellement sur ses fleurons des années 1960, il serait temps que l’Etat stratège se tourne vers l’avenir et discerne les futurs secteurs porteurs ;
– il faut davantage autocentrer l’économie française et corriger la mondialisation par un protectionnisme intelligent, des relocalisations et le localisme ;
– tenter de vendre à la Chine des produits qu’elle copiera ne peut suffire à définir la politique commerciale de la France et conduire à acheter sa camelote sans discernement ;
– la préférence nationale, dans les marchés publics notamment, doit retrouver droit de cité comme c’est le cas (avec hypocrisie mais détermination) en Allemagne et aux Etats-Unis ;
– le patriotisme économique doit être promu et la formation des élèves ingénieurs aux humanités ne doit pas être négligée.
Jean-Yves Le Gallou
Président dela fondation Polémia