28/02/2014 ‑ 12H00 Paris (Breizh-info.com via Bdvoltaire) –Le journal en ligne Boulevard Voltaire a interrogé Pascal Eysseric, rédacteur en chef de la revue Elements, à la veille d’un colloque qui s’est déroulé samedi dernier, sur l’Europe Puissance notamment.
Une interview que nous reproduisons ici, tant elle nous semble importante.
Aujourd’hui, tout le monde critique l’actuelle construction européenne, mais tous les partis politiques en présence sont, peu ou prou, pour cette même construction européenne. Alors, Europe fédérale, confédérale ? Europe des nations ? Ou encore Europe fondée sur la coopération de nations souveraines ?
Vous avez cité quatre formes juridiques d’organisation de notre continent. Pourquoi pas ? En auriez-vous cité quarante, quatre cents, ou même quatre mille que vous n’auriez réglé aucune des tares originelles de l’Europe de Bruxelles. Tous les cinq ans, à l’occasion des élections européennes, c’est le type même de questionnement qui gangrène les débats et fait s’affronter les « souverainistes » et les « européistes ». Il faut se défaire de l’illusion institutionnaliste pour s’attaquer au fond du problème : à savoir les priorités existentielles auxquelles l’Europe refuse de répondre. Le colloque « Europe-marché ou Europe-puissance » que la revue Éléments organise ce samedi 26 avril ne sombrera pas dans le juridisme. Nos intervenants ne décideront pas in abstracto de la meilleure constitution possible dans le meilleur des mondes possibles. Notre position est la suivante : la crise de l’Europe est identitaire avant d’être institutionnelle ou économique. Sans frontière ni symbole, cette Europe n’est porteuse d’aucun projet de société autre que ceux du libre-échange et de la consommation.
Dès sa naissance en 1973, le magazine Éléments, comme le courant de pensée qu’il incarne depuis quarante ans, a été de tous les combats pour l’identité et la souveraineté de la civilisation européenne. Que pensez-vous des arguments des souverainistes qui dénoncent la construction européenne ?
Il s’agit souvent d’analyses fondées aux conclusions fausses, que nous avons toujours cherché à reprendre et à approfondir. Toutes les critiques que les souverainistes adressent à l’Union européenne pourraient aussi bien être adressées aux États-nations eux-mêmes : centralisme technocratique, effondrement du politique, soumission aux marchés financiers, atlantisme, haine de soi, universalisme, etc. L’impuissance de l’Europe n’est jamais que celle de ses nations. N’importe lequel des gouvernements français en place depuis trente ans aurait signé le traité transatlantique, même si l’Union européenne n’existait pas. Pour sortir de l’impasse, il faut penser simultanément ce qui jusqu’ici n’a été pensé que contradictoirement. C’est la phrase importante du grand écrivain Georges Bernanos que nous avons fait nôtre : « L’Europe est moins ébranlée par des forces antagonistes qu’aspirée par le vide. La civilisation européenne s’écroule et on ne la remplace par Rien. » Le discours souverainiste d’un Paul-Marie Coûteaux, présent lors de notre colloque, m’effraie largement moins que le discours euro-atlantiste dominant de la classe politique. Le professeur Gérard Dussouy avance d’ailleurs l’idée paradoxale selon laquelle ayant plus d’attachement à l’État et moins d’inhibitions politiques que beaucoup d’autres Européens, ce sont les partisans français de la souveraineté qui devraient être le fer de lance de la souveraineté européenne au lieu d’en être les contempteurs comme aujourd’hui.
L’Europe, telle qu’actuellement conçue, va droit dans le mur. Faut-il revenir aux États-nations ?
Le mal serait encore plus grand. Les États européens, vieillissants et déclinants, seraient livrés avec leurs seules armes pour se défendre dans la compétition mondiale. Face à la vitalité des États-continents émergents, leurs souverainetés nationales ne pèseraient pas lourd. L’Europe doit fonder la doctrine de sa propre survie. Dans un monde en mutation, dont le centre de gravité se déplace vers l’Asie et l’océan Pacifique, l’Europe est pour l’instant un « géant qui n’arrive pas à lacer ses souliers ». Les enjeux fondamentaux ne peuvent plus être affrontés de nos jours qu’à l’échelle continentale. Quel pays européen, même parmi les plus grands, peut prétendre réguler le système financier ? Faire face à la déferlante migratoire ? Aux défis environnementaux, aux pandémies à venir, aux trafics qui se déploient à l’échelle planétaire ? Pour reprendre Alain de Benoist, un auteur que vous connaissez bien sur Boulevard Voltaire, l’alternative, ce n’est pas l’Europe ou les États-nations ni les nations ou le mondialisme sans visage, mais bien l’Europe ou l’insignifiance, l’Europe ou la sortie définitive de l’histoire.