24/02/2014 ‑ 08H00 Bretagne (Breizh-info.com) – On connait les travaux du géographe Christophe Guilluy. Spécialiste des classes populaires, il a théorisé l’existence de deux France : la France des métropoles (gentrification et immigration) et la France périphérique (les « petits blancs »). Selon lui, en banlieue, près de 90% des Français musulmans ont voté pour François Hollande au second tour de la présidentielle. Autre constat de M. Guilluy : « la France qui a du mal à boucler les fins de mois, cette population qui vit avec environ 1 000 euros par mois » représente, en ajoutant les retraités et les jeunes « près de 65% de la population française ».
Auteur d’un ouvrage très remarqué (Fractures françaises, François Bourin Editeur), Christophe Guilluy a renouvelé les analyses sur les attentes des classes populaires qui « réagissent à une insécurité sociale et culturelle ». A le lire, « c’est une contre-société qui s’organise, par le bas ».
Après les élections municipales, le champion de la « nouvelle géographie sociale » affine son analyse sur l’état de crise politique et sociale du pays. « La révolte gronde dans ce que j’appelle la France périphérique, c’est-à-dire les territoires qui sont à l’écart des grandes métropoles : bourgs, petites villes, la plupart des villes moyennes, une partie du périurbain et le monde rural.
« C’est une immense partie du territoire qui accueille 60% de la population et 80% des nouvelles catégories populaires : ouvriers, employés, petite classe moyenne en voie de paupérisation, jeunes et retraités issus de ces catégories.
« Depuis quelques années, toutes les radicalités sociales et politiques viennent de cette France périphérique. Les Bonnets rouges, par exemple, ne partent pas de Nantes, Brest ou Rennes, mais de Carhaix et du fin fond du Finistère. De même, la carte des plans sociaux est calée sur cette France de petits bourgs souvent méconnus ». (Le Nouvel Observateur, 17 avril 2014)
Les Bonnets rouges appellent, cependant, quelques observations complémentaires. A coup sûr, l’espèce d’isolat géographique qui caractérise le « fin fond » de la péninsule bretonne joue un rôle dans la révolte des Bonnets rouges. Mais il ne faut pas négliger le rôle de catalyseur joué par Christian Troadec, meneur d’hommes, tribun, forte personnalité qui sait parler aux « vraies gens ». Sa capacité à fédérer des groupes, que tout opposait la veille, autour d’une idée forte : la défense des intérêts bretons, pèse lourd dans la dynamique du mouvement. Il n’est pas sans rappeler un autre personnage, également haut en couleur, qui mobilisa les campagnes de Haute-Bretagne sous la IVe République : Henri Dorgères.
Sans Christian Troadec, pas de Bonnets rouges. Il suffit de considérer les difficultés rencontrées par le « collectif » pour s’étendre vers le pays gallo pour s’en convaincre. Avec un second Troadec en Haute-Bretagne, les cinq départements s’embraseraient. Mais en l’absence d’un leader local, c’est calme plat – exception faite de quelques actes de chouannerie contre les portiques écotaxe.
En effet, la désespérance sociale – qui nourrit le vote FN – est aussi forte en Ille-et-Vilaine et en Loire-Atlantique que dans le Finistère. Et le rejet du système UMP + PS y fait autant de ravages ; on pourra le vérifier lors des prochaines élections européennes où le niveau de l’abstention pourrait être très élevé.