Le magazine Challenges – proche de la gauche – croit tout savoir sur le « big-bang territorial » promis par Valls aux français et aux élus. La preuve, cette « carte secrète » du projet qui serait actuellement examiné par le gouvernement. Si ce projet semble favorable à une Bretagne réunie, d’autres logiques s’affrontent en Bretagne même et à Paris autour d’un redécoupage hautement stratégique.
Selon la version du magazine, le projet ferait le bonheur de la Bretagne et de la Normandie – les deux seraient réunifiées – tandis que la Vendée irait au sud, dans un ensemble Poitou-Aquitaine et l’Anjou dans un grand Val de Loire. Les Bretons auraient pourtant tort de crier victoire trop tôt, ou de se démobiliser après la manifestation du 19 avril pour la réunification administrative. Car leur cause est loin d’être gagnée. Même si elle converge avec les points de vue de certains membres du gouvernement.
Équation à plusieurs inconnues
Redécouper est cependant un exercice compliqué, qui oblige à prendre en compte des réalités économiques, historiques, sociales, politiques et géographiques. Moins de régions coûte moins cher – c’est la logique économique à laquelle tient le gouvernement qui espère ainsi économiser plusieurs milliards d’euros annuels en dotations globales de fonctionnement. Mais de trop gros ensembles seraient très difficiles à faire fonctionner. C’est le risque d’une méga-région Aquitaine-Poitou-Limousin. Par ailleurs, il faut essayer d’atteindre une carte homogène. Or le projet de restructuration, quel qu’il soit, devrait laisser l’ile de France et la Corse intacte… qui cohabiteront avec des régions provinciales vastes, et beaucoup plus peuplées que la petite Corse et ses 310.000 habitants.
Les facteurs historiques et sociaux sont aussi à prendre en compte. Les régions auxquelles les français sont le plus attachés sont celles qui ont une réalité historique. Ainsi un sondage récent (LH2 pour la presse régionale et France Bleu) prouve que 84% des Alsaciens, 83% des Bretons et des Franc-Comtois sont attachés à leur région et refusent qu’elle disparaisse. Ce pourcentage n’est que de 22% en Pays de Loire, collectivité qui a pourtant dépensé des centaines de millions d’euros depuis trente ans pour sa propagande. Mais qui n’a jamais su dépasser le flou originel de son identité.
Dans le contexte politique actuel – et les élections à venir, sénatoriales et européennes en 2014, régionales et cantonales en 2015 – le gouvernement ne peut aussi risquer de se mettre à dos un nombre croissant de français, mais aussi d’élus. Or, pour compliquer la tâche de Valls, le même sondage précise que si les Français sont majoritairement favorable à un redécoupage territorial (68 %), 54 % d’entre eux rejettent la fusion de leur région avec une autre et 51 % sont contre le rattachement de nouveaux départements. En gros : oui au redécoupage, mais pas chez moi. Cette situation est quelque peu différente, mais non moins compliquée pour la Bretagne, d’autant plus qu’elle se mêle aux luttes d’influences entre élus bretons de gauche, au gouvernement et sur le terrain.
Sac de nœuds autour de la Loire-Atlantique
A première vue, la situation paraît simple. Il existe une région avec quatre départements – l’actuelle Bretagne administrative – et, dans l’entité régionale voisine, les Pays de Loire, une Loire-Atlantique historiquement bretonne et dont près du deux tiers des habitants (63% d’après le sondage LH2) sont favorables à un retour en Bretagne. Au sein des Pays de Loire, 22% seulement des habitants sont attachés aux limites de leur région telle qu’elles existent.
Ajoutons à cela que la Loire-Atlantique est la porte d’accès routière à la Bretagne, et que le département concentre presque toute la capacité bretonne de production d’électricité, un potentiel industriel et scientifique important, le plus grand port maritime du nord-ouest de la France et une ville d’importance, Nantes. Bref, la réunification aurait des atouts économiques majeurs pour la Bretagne, en plus de résoudre une injustice historique d’ampleur et de resserrer les liens économiques, sociaux et historiques étroits que la Loire-Atlantique continue d’entretenir avec sa région d’origine.
Seulement, la région des Pays de Loire est si biscornue que si la Loire-Atlantique quittait l’ensemble, la Vendée se retrouvée de facto coupée du reste de l’ensemble. Bref, il faudrait redécouper. Autre problème : elle avait été créée pour assurer un « arrière-pays » à la ville de Nantes, et éviter de résoudre la question de la prééminence entre la capitale historique de la Bretagne et Rennes. Et au passage échapper aux lamentations des élus et dignitaires républicains privés de leurs gras bénéfices et autres hochets dorés. Redécouper, voire supprimer la région mettrait automatiquement le gouvernement aux prises avec un problème politique important… d’autant plus que l’opposition de droite est elle aussi fervente supportrice des Pays de Loire. Pour les mêmes raisons que la gauche.
La puissance de Rennes contre l’unité de la Bretagne
Au sein du gouvernement, l’inquiétude de Rennes trouve son porte-voix en la personne de Marylise Lebranchu… confirmée à son poste de ministre de la Réforme de l’Etat par Manuel Valls. Celles-ci sont aussi portées par l’ancien maire de Rennes Daniel Delaveau. Né à Châlette sur Loing dans le Loiret, celui-ci n’a rien de breton. Et il s’inscrit d’ailleurs dans la tradition des maires de Rennes anti-nantais, par conviction ou par crainte de voir Rennes devenir une simple banlieue de Nantes.
Rennes a 208 000 habitants, contre 287 000 à Nantes. Son aire urbaine 679.000 contre 884 000 pour celle de Nantes. Dans le système français, les métropoles sont poussées à la compétition et à la croissance sans fin de leurs populations et de leurs prérogatives, qui échappent peu à peu à leurs habitants, mais aussi aux communes qui les composent, voire au département comme à Lyon. L’incapacité du système politique à penser réseau et collectif plutôt que puissance exacerbe les compétitions et les tensions entre les villes. Avec comme conséquence des milliards d’euros perdus dans l’affichage ostensible des « signes extérieurs de richesse » : c’est à qui aura son aéroport, ses tramways, son métro, ses bus à haut niveau de service ou son tram-train. Bref, nos élus ont la même logique que ces pauvres du tiers-monde qui mettent un écran plasma HD dans l’unique pièce de leur taudis : ça en jette donc ils sont respectés.
Dans ces conditions, l’inquiétude qui taraude les partisans de la force et de la puissance de la métropole rennaise c’est surtout, surtout, de ne pas se retrouver dans la même entité régionale que Nantes en cas de redécoupage régional. Tout en donnant plus d’arrière-pays à Rennes. Selon des sources proches du dossier, le projet défendu par le camp des rennais, sur le terrain et dans le gouvernement, est à peu près le suivant : la Bretagne doit donc rester amputée, mais s’étendre d’Ouessant à Deauville, en englobant la Basse-Normandie, à laquelle serait jointe la Mayenne pour donner un peu de cohérence à l’ensemble. Nantes de son côté pourrait garder l’Anjou et annexer le Poitou qui lui servirait de réservoir de main d’oeuvre et d’arrière-pays agricole. On comprendra aisément que pour tout ce charcutage, l’avis des Bretons, des Normands et des Poitevins n’a pas été demandé. Mais ce projet sauvegarde les intérêts des deux métropoles nantaise et rennaise et pourrait obtenir aussi l’aval de l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault et de ses fidèles, ainsi que des pontes des Pays de Loire.
Cependant le projet rennais n’est pas le seul sur le ring. D’autres élus bretons et les Bonnets rouges demandent, eux, une réunification de la Bretagne, du fait de l’histoire, mais aussi des avantages économiques évidents que le retour de la Loire-Atlantique apporterait à la Bretagne (cf. supra). La capitale du nouvel ensemble pourrait être à Nantes, mais les compétences seraient partagées notamment pour éviter un déséquilibre en défaveur de l’ouest de la Bretagne – une des grandes inquiétudes soulevées par le mouvement des Bonnets Rouges issu pour l’essentiel de la Basse-Bretagne. La réunification, soutenue depuis des années par les militants de la cause bretonne, bénéficie aussi d’un large consensus dans la population, et trouve notamment un écho dans les revendications du Conseil Général du Morbihan.
Récemment, le Conseil régional de Bretagne a créé la sensation en réitérant son vœu pour la réunification administrative de la Bretagne. Or, il est bien peu probable que le nouveau président du CR de la Bretagne administrative ait pris une décision qui met en difficulté l’ancien Premier Ministre – ô combien ennemi de l’unité bretonne – sans en avoir référé à Jean-Yves le Drian, très proche du président et confirmé à son poste. L’unification de la Bretagne ne le laisserait pas de glace. Assez habile pour surfer sur le mouvement des Bonnets Rouges – et le regain d’attention qu’il a généré parmi les Bretons pour leur avenir – il pourrait entrer dans l’Histoire en réunifiant la Bretagne et avoir assez de poids pour contrer le projet Lebranchu. Et ce d’autant plus qu’une réunification serait électoralement beaucoup moins risquée pour le gouvernement qu’une dissolution pure et simple de la Bretagne pour la plus grande gloire de Rennes.
Le Grand Ouest : solution de facilité, vraiment ?
Il y aurait encore une solution qui semblerait pouvoir permettre au gouvernement de satisfaire les partisans de la réunification tout en évitant les jérémiades des élus. Il s’agit banalement du « Grand Ouest » tel qu’il est défendu par les élus de gauche et de droite en Pays de Loire pour l’essentiel, et qui aurait pour objectif de mettre dans le même ensemble la Bretagne, les Pays de Loire, et la Basse-Normandie ou le Poitou-Charentes selon les scénarios, voire les deux. Mais ce n’est pas une solution aussi simple et politiquement peu risquée comme cela le semble au premier abord.
Depuis l’arrivée de Ségolène Royal au gouvernement, la dissolution du Poitou-Charentes ou son rattachement à quoi que ce soit a du plomb dans l’aile. Surtout que, si dans un grand ensemble Poitou-Limousin-Aquitaine, c’est Poitiers qui fait la liaison et qui peut espérer jouer un rôle, un Poitou rattaché à une région dominée par les métropoles bretonnes (Nantes, Rennes, Saint-Nazaire) en deviendra tout simplement la banlieue.
La situation n’est guère meilleure pour les partisans du Grand Ouest en Normandie. Bien que la réunification se heurtait – là encore ! – aux luttes intestines entre les deux capitales rivales, Caen et Rouen, les élus de droit et de gauche normands ont fini par comprendre la nécessité de s’allier face au risque de voir leurs villes et leurs territoires devenir les banlieues de la Bretagne et de l’Ile de France. Déjà, les départements périphériques de la région sont tombés dans la dépendance des métropoles voisines. L’Eure fait de facto partie du bassin parisien, le sud de la Manche et l’ouest de l’Orne penchent vers la Bretagne. Unies dans un même ensemble territorial, autour d’un pôle et d’un projet métropolitain, d’un grand port maritime, Caen, le Havre et Rouen peuvent exister et repousser les influences grandissantes de Paris et de Rennes.
Enfin un « Grand Ouest » dans son acceptation classique remettrait sur le tapis la question du leadership entre Nantes et Rennes, les jérémiades des élus et le partage des compétences. La pierre angulaire de ce Grand Ouest rêvé par Ayrault devait être l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Mais l’Ayraultport risque de voir son vol inaugural fortement retardé du fait d’une situation compliquée sur la piste d’envol (projetée) entre opposition musclée sur le terrain, guerre de tranchée judiciaire et espèces naturelles protégées qui font de la résistance, tels le campagnol amphibie ou le triton marbré. Privé de son projet phare d’Aéroport du Grand Ouest, le nouvel ensemble territorial n’est guère qu’une construction intellectuelle, qui peut être chassée par une autre.
Redécoupage territorial : les jacobins en embuscade
Au milieu de toutes ces passions politiques et sociales, d’autres attendent leur heure, planqués dans les administrations ou encore les collectivités territoriales. Ce sont ceux qui refusent de vor des élus rendus insolents par la force de leur territoire risquer un jour de disputer à la capitale le droit de prélever leurs propres impôts, enseigner leur propre histoire ou généraliser une autre langue que le français chez eux. Bref, les jacobins. Ils sont communistes ou de droite, attachés à une « tradition républicaine » bricolée à leur goût ou héritiers idéologiques des criminels de 1793, peu importe. Ils sont jacobins.
Les jacobins n’ont pas envie d’une Bretagne forte, dont le grand port maritime et les métropoles – et les villes moyennes constituées en réseaux de compétences, d’entreprises et de science – rapporteraient de l’argent et des citoyens heureux à la France. Les jacobins tremblent à l’idée d’une Bretagne qui après la réunification, demanderait l’autonomie, le bilinguisme, le droit de prélever ses propres impôts et pour finir l’indépendance.
Les jacobins préfèrent des territoires pauvres, chômeurs, résignés, dont les populations ne dépendent que du bon vouloir de l’état central et pour cela s’abstiennent de tout démonter lorsque le même état leur reprend d’une main deux fois plus que l’aumône qu’il leur consent de l’autre. Ils sont incapables de comprendre que des Bretons pauvres cassent tout, et surtout ceux qui veulent aggraver leur misère. Les jacobins sont peureux, partisans du moindre effort, voire du conservatisme forcené, même s’ils se disent « forces de progrès ». Les jacobins sont mous, et dans leur mollesse trouveront des alliés parmi tous ceux qui sont prêts à oublier – s’ils l’ont jamais su – que ce sont les Bretons qui ont le plus cru dans la France. Et qu’en versant leur sang sur tous les champs de bataille du globe de 1488 à nos jours, ce sont ceux qui ont vraiment tout sacrifié pour que la France devienne une puissance mondiale.
Ces jacobins, sont-ils une puissance occulte, omniprésente et omnisciente ? Non. Il y a-t-il déjà une carte toute faite du big-bang territorial ? Non. Il y a-t-il une échéance limite ? Non. Le gouvernement compte sur la bonne volonté des régions de gauche – une fusion contre l’abandon du gel de leur dotation territoriale, ce qui pourrait permettre aux élus socialistes de multiplier les cadeaux à leurs électeurs – et lorsque les régions auront presque toutes basculé en 2015 ou 2016, il imposera sa carte à la droite. Mais celle-ci dépendra pour l’essentiel de la capacité des populations concernées à se faire entendre. Celles qui seront le moins capables de poser le rapport de force seront mangées. Alors souvenons-nous et faison passer le mot : les jacobins ne sont forts que de nos lâchetés.
Stefan Guillou.
3 réponses à “Big-bang territorial : à quelle sauce la Bretagne sera-t-elle mangée ? [Tribune libre]”
Pour peser sur les débats, il faut être vu. D’où l’importance d’aller à la manif du 29. Sinon, l’article m’a fait verser une larme sur le sort de la pauvre petite Vendée, qui serait bien désemparée et seulette en cas de dissolution des Pays de Loire ! Devra-t-on sans arrêt répéter qu’avant la Grande Révolution la Vendée s’appelait… Bas-Poitou, ce qui indique assez sa capacité de retour à la région de Marie-Ségolène ? Du reste des Pays de Loire, il ne reste plus alors que l’ensemble Maine-Anjou, à réunir à une région Val de Loire (Tours, Blois, voire Orléans ?) dont la notoriété est assurée avant même d’exister administrativement.
Le fossé historico-culturel entre Normands et Bretons empêchera à jamais un pseudo-région Nord-Bretagne – Basse-Normandie : les Normands vont s’entendre entre eux, c’est plus que normal, et lorgnent vers la Picardie plutôt que vers la Bretagne si j’en crois les dernières infos.
Quant à la région Grand Ouest, c’est un fantasme nantais – où l’on confond hardiment mégapole et mégalopole…
Bonjour, j’habite l’île de la Réunion. Le pb de réunification ne se pose pas vraiment ici, enfin pas pour l’instant!!!
Mais je suis avant tout Breton car Nantais. N’en déplaise au Rennais qui nous martèlent sans cesse ce bannissement. D’ailleurs il n’y a que pour les Rennais et ses alentours que Nantes n’est pas en Bretagne.
Allez faire un tour dans le Morbihan, le Finistère ou les Côtes d’Armor, on ne le vous crache pas au visage que vous êtes Nantais et pas bretons. Bref, c’est une querelle d’incultes..
Pourquoi économiquement les opposer, plutôt que d’en faire des pôles d’excellence. Par exemple,
Rennes est une très grande ville universitaire ou j’y ai moi même suivi mes études. Ce pourrait être un pole scientifique à l’instar d’une silicone Valley.
Nantes et St Nazaire ont des ports, des savoir faire en aéronautique, construction de bateaux…etc
Profitons de cette aubaine de réunification pour être encore plus ambitieux, plus performant face à des Bordeaux ou Toulouse, plutôt que de compter nos petits pions chacun de notre côté, ayant pour effet de nous rabougrir. Économiquement le reste de la Bretagne à besoin de ces 2 puissance économiques que sont Rennes et Nantes.
Messieurs les politiques, le message des français est de plus en plus clair. Cessez de privilégier vos intérêts, mettez vos ego, vos petits pouvoirs de côté et battez vous pour nous, pour l’intérêt GÉNÉRAL et refaite briller notre FRANCE.
Par-contre je confirme qu’un rapprochement Bretagne Normandie me parait historiquement improbable bien que nous ayons le cidre en commun. Mais ça suffit pas!!!!.
Le seul avantage serait le retour du Mont St Michel chez nous.
Devezh mat. Kenavo. Tanguy
Attention aux extensions sans limites des « aires urbaines » lesquelles dévorent les terres agricoles par paquets de 10 équivalents aéroports en France sans que personne ne s’en offusque … L’Ile de France, la Vallée de Seine, le Val de Loire, les espaces fertiles des Flandres, le delta du Rhône … etc voient leur patrimoine agronomique fondre comme neige au soleil !