Dès qu’il est question de redécoupage régional, un thème réapparaît : celui des « régions puissantes qui comptent à l’échelle européenne ». Et l’on cite en référence l’Allemagne, l’Espagne, L’Italie. C’est un thème typiquement technocratique : la « puissance » des régions, et donc, on suppose, leur prospérité, repose sur deux piliers : une population nombreuse et un territoire étendu.
Historiquement, l’idée est née avec la création du Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT) en 1960 puis de la DATAR en 1963. Les milieux gaullistes de l’époque croyaient aux vertus de la planification (le Commissariat général au plan a été créé par de Gaulle dès 1946). Forgés par la Deuxième guerre mondiale, ils vivaient encore dans l’idée que l’URSS était un succès – or son administration était articulée sur une quinzaine de républiques socialistes soviétiques (Arménie, Biélorussie, Estonie, etc.). Quand la réalité soviétique est devenue patente, il était trop tard : la planification à la française s’était institutionnalisée. Dotée de fonctionnaires et de dignitaires, elle était devenue intouchable.
À sa manière, d’ailleurs, le mouvement breton a contribué à diffuser le thème des « régions puissantes qui comptent à l’échelle européenne ». Yann Fouéré avec L’Europe aux cent drapeaux ou Yann Poupinot avec Les Bretons à l’heure de l’Europe ont cherché à mettre les tentations technocratiques au service du sentiment identitaire.
Depuis que Manuel Valls, dans son discours de politique générale, a annoncé une réduction de moitié du nombre de régions, le thème des « régions puissantes qui comptent à l’échelle européenne » revient en force. Et les planificateurs en chambre donnent à nouveau de la voix : la Bretagne, c’est trop petit, pour faire pendant aux régions allemandes, espagnoles ou italienne, il faut au minimum additionner Bretagne et Pays de la Loire.
Chose curieuse, nul n’évoque jamais les « régions britanniques ». Et pour cause : le Royaume-Uni est composé de quatre nations (Angleterre, Écosse, Irlande du Nord, Pays de Galles) qui ont chacune leur propre découpage administratif. Tant en superficie qu’en population, la Bretagne, Loire-Atlantique comprise, représente à peu près deux fois et demie l’Irlande du Nord et une fois et demie le Pays de Galles.
L’Allemagne, pays favori des comparaisons, compte seize Länder. On cite volontiers la Bavière, 12,5 millions d’habitants sur un territoire grand comme deux fois la Bretagne ou la Rhénanie du Nord-Westphalie, à peu près de la taille de la Bretagne mais presque quatre fois plus peuplée. On oublie tout aussi volontiers que la Bretagne est plus grande que treize des seize Länder et plus peuplée que onze d’entre eux !
La comparaison avec l’Italie est encore plus surprenante. Les tenants des « régions puissantes qui comptent à l’échelle européenne » songent bien sûr à la Lombardie (10 millions d’habitants) ou au Latium (près de 6 millions d’habitants). Mais treize des vingt régions italiennes sont moins peuplées que la Bretagne, deux autres (Émilie-Romagne et Piémont) l’étant à peu près autant. Pas une seule région italienne n’a une superficie supérieure à celle de la Bretagne.
L’Espagne, enfin, compte dix-sept communautés autonomes. Toutes sauf quatre (Andalousie, Catalogne, Communauté de Madrid et Communauté de Valence) sont moins peuplées que la Bretagne. Seules cinq d’entre elles (Castille-et-Leon, Andalousie, Castille-La Mancha, Aragon, Estremadure) sont plus étendues que la Bretagne.
Erwan Floc’h
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