On l’a oublié, mais il y a très exactement deux siècles, le 31 mars 1814, les troupes russes, autrichiennes et prussiennes pénétraient dans Paris. Escorté par sa garde cosaque, le tzar Alexandre, flanqué du roi de Prusse et du général Schwarzenberg, commandant en chef des Coalisés, défila à cheval dans les rues de la capitale. Si l’accueil de la population fut réservé dans les quartiers populaires, le défilé des troupes d’occupation fut mieux reçu dans les quartiers du centre et sur les Champs Elysées une foule élégante et enthousiaste se pressait pour admirer les envahisseurs. Comment en était-on arrivé là ? C’est de ce sujet que traite le dernier ouvrage de l’historien nantais Jean-Joël Brégeon, Histoire de la campagne de France, 1814 La chute de Napoléon.
« Toute l’Europe marchait avec nous il y a un an ; toute l’Europe marche aujourd’hui contre nous ». Battu à Leipzig en octobre 1813 – la Grande-Armée a été brisée par la défaite et décimée par le typhus – Napoléon a bien conscience, quand il plaide sa cause devant le Sénat le 13 novembre suivant, que les enjeux ont bien changé et que la situation semble perdue. Pourtant son agonie politique va durer 100 jours.
La Campagne de France – « la plus belle campagne de la Vieille Garde » selon la formule de Georges Lenôtre – ne dura que deux mois, du 25 janvier au 30 mars 1814. Loin d’être abattu, Napoléon retrouvera le génie et la combativité de ses débuts pour remporter des victoires improbables et repousser l’échéance. La bataille de France se déroula dans un vaste quadrilatère devant Paris, entre Oise, Marne, Aube et Seine. Bien que réduit à des forces dix fois inférieures à celles des coalisés – Autrichiens, Britanniques, Prussiens, Russes et Suédois -, l’Aigle usera de tout son talent stratégique pour mettre en difficulté l’invasion. Les victoires de Montmirail, Champaubert, Montereau et Reims, émaillées d’actes de bravoure et de sacrifices hors du commun, en témoignent. Elle sera pourtant fatale à l’Empereur qui, au bout du compte, abdiqua à Fontainebleau le 6 avril.
Articulé en treize séquences entrecoupées par autant de témoignages qui composent une micro-anthologie et par la présentation des principaux débats historiographiques l’ouvrage de J.J. Brégeon, s’il traite de la Campagne de France stricto sensu, aborde aussi les autres fronts – notamment de Sud commandé par Soult – mais également les tractations diplomatiques, le rôle déterminant de Talleyrand, les menées des royalistes, le point de vue des Alliés ainsi que celui de ceux qui abandonnèrent ou trahirent l’Empereur.
Au-delà du simple récit, J.J. Brégeon a su en effet associer une vue générale des opérations à une étude du contexte politique. Il aborde aussi bien le contexte extérieur – le jeu diplomatique des ennemis de Napoléon – que le contexte intérieur – la somme des mécontentements et des retournements qui précipiteront la chute du régime impérial.
« Dans cette campagne de 1814, écrit l’auteur, Napoléon apparaît comme un autre Sisyphe. (…) Le supplice de Napoléon eut la brièveté d’une saison. De bataille en bataille, il crut pouvoir repousser les coalisés, reprendre l’avantage et leur imposer une paix négociée qui sauverait l’essentiel. De bataille en bataille, il lui fallut se remettre en jeu et de Saint-Dizier (27 janvier) à une seconde fois Saint-Dizier (23 mars), il conclut un entrelacs de marches et de chocs qui le poussa à l’abdication. Les dieux viennent toujours à bout de Sisyphe. »
Sur une période charnière de l’histoire de notre pays – une de ces années décisives qui témoignent du choc de l’histoire – l’historien Jean-Joël Brégeon nous donne la synthèse historique qu’on attendait. Du très beau travail.
Histoire de la campagne de France, 1814 La chute de Napoléon, Jean-Joël Brégeon, Perrin, 400 pages, 21 euros
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