Les romans historiques se vendent bien. Beaucoup sont médiocres tant sur le fond que sur la forme. Contexte historique approximatif, entaché d’anachronisme, écriture molle et même relâchée… Inutile ici de citer des auteurs, qui encombrent les « têtes de gondole » des espaces culturels. Il vaut mieux parler, parmi les meilleurs, d’Irène Frain, Robert Merle, Van Gulik, Hubert Montheillet, Jean-François Parot, Ellis Peters…
Ici, deux auteurs débutants, sur des registres fort différents. En signant ce « Jeu de quilles d’or », Jean-Pierre Fournier La Touraille se met dans le sillage des feuilletonistes du XIX siècle tel Ponson du Terrail. Il se lance dans un récit échevelé où foisonnent les personnages fictifs ou réels. Son récit se passe sous la Terreur et on voit défiler quelques-uns de ses acteurs, Chaumette, Hébert, Ronsin, Momoro, Westermann dit « le boucher de la Vendée ».
L’intrigue tourne autour du sort réservé au dauphin, proclamé Louis XVII et qui meurt au Temple, de consomption, le 8 juin 1795, à l’âge de dix ans. Une telle mort a suscité une croyance « survivantiste » qui s’est incarnée dans plusieurs faux prétendants dont le fameux Naundorff. L’auteur lance ses réseaux hébertistes, royalistes à la poursuite de l’enfant-roi dans un décor finement reconstitué et il nous mène jusqu’à un dénouement fort bien venu. De la belle œuvre.
* Jean-Pierre Fournier La Touraille, Le Jeu de quille d’or, Plon, 19,90 euros.
« Le Trompettiste de Staline » est un livre sombre qui traite de façon libre de la vie du « jazzman » Eddie Rosner (1910-1976). Ce Juif polonais établi à Berlin acquit sa réputation de virtuose dans les cabarets berlinois, au pire moment pour lui, l’arrivée au pouvoir des nationaux socialistes. Il se réfugia en Pologne puis, à son invasion, gagna l’U.R.S.S. Les Soviétiques le mirent en avant pour leur propagande. Dans un train spécial, Rosner allait d’un bout à l’autre du front pour donner des concerts. Staline en personne le congratula et tout le Comité central assista à une de ses représentations au lendemain de la victoire.
Puis ce fut la descente au Goulag. Accusé d’être un « agent de l’impérialisme », un « ennemi de classe » et, pire, un « musicien décadent », Rosner partit pour les camps sibériens. Libéré en 1954, il reprit péniblement sa place et put même jouer, à Moscou, avec Amstrong, Ellington et Benny Goodman. En 1973, il put enfin retourner à Berlin-Ouest où il mourut dans la misère.
De ce parcours, Anidjar, rédacteur en chef adjoint de l’AFP, tire un récit sec, sans épanchements lacrymaux, remarquable de justesse. Le XXème siècle fut bien le cauchemar des musiciens, embrigadés, manipulés, leur talent essoré jusqu’à la dernière goutte dans les dictatures, dénaturé et falsifié dans les démocraties.
* Patrick Anidjar, Le Trompettiste de Staline, Plon, 17,90 euros.
Jean Heurtin
Crédit photo :DR
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