Le désarroi de la presse française de gauche est presque touchant. Ça a commencé début novembre avec les Bonnets rouges. Certes, il y avait déjà eu La Manif pour tous, mais LMPT, ça ne comptait pas vraiment. C’était toujours la même histoire mille fois ressassée, une procession de réacs cathos, jeunes filles en jupe plissée et garçons bien peignés. Qui défilaient au surplus derrière une égérie improbable à la bille de clown. Et puis, le prétexte était quand même bien mince. Pourquoi interdire aux homosexuels de se passer la bague au doigt si personne ne contestait leur droit à des gestes autrement moins romantiques ?
Les choses sérieuses, donc, ont commencé début novembre. Bon, c’étaient des Bretons qui défilaient. Fait-on une révolution avec des Bretons ? Ce sont gens disciplinés. Par communes entières, ils sont tombés au champ d’honneur sans murmurer voici un siècle. Ils votent à gauche presque comme un seul homme. Mais tout de même, ce sont des Bretons : on ne les comprend pas vraiment, ces gens-là, il faut toujours s’en méfier un peu. Ils votaient à droite il n’y a pas si longtemps. Et surtout, voir manifester ensemble ouvriers et patrons, là, on ne comprenait pas du tout.
Or voilà qu’à présent ça sort de partout. Complot fasciste ? Cette explication classique éviterait de se fatiguer les méninges. Mais, Manuel Valls aura beau minorer le décompte des manifestants dans des proportions grotesques, on voit bien qu’il y a beaucoup de monde sur le pavé. Dire que les fascistes peuvent mobiliser les foules serait quand même ennuyeux.
Faute d’explication satisfaisante, il ne reste qu’à prendre de haut ce ramassis disparate, comme l’a fait Le Monde sur la largeur de sa Une dimanche dernier. D’ailleurs, tout le monde voit bien que ces gens sont un patchwork. Éternels réactionnaires, dieudonnistes de banlieue, néo-royalistes aux cheveux ras, identitaires bouffeurs de cochon, sectateurs du Christ-roi, il y en a pour tous les goûts. Et encore, on est en hiver. Qu’est-ce que ça sera au printemps, quand ressortiront les jupes plissées ? Cette macédoine étrange est à traiter par le mépris.
Les plumes de gauche s’y emploient, même s’il leur manque un Flaubert pour présenter les hordes contestataires façon Tentation de Saint Antoine. Mais ce qu’elles ne voient pas, c’est qu’une telle convergence n’est pas neuve. Les manifestations d’il y a quarante ans juxtaposaient vieux rad-soc, jeunes socialistes aux dents longues, communistes mal déstalinisés et surtout pas pérestroïkés, jécistes et jacistes tendant la joue gauche, admirateurs des khmers rouges, du président Mao, de Fidel Castro et de tout ce que le monde comptait à l’époque comme pourvoyeurs de charniers et de camps de concentration, anarchistes hallucinés, néo-éleveurs de chèvres du Larzac, bref, tous ceux qui, après 1981, formeraient l’armature intellectuelle du peuple de gauche et dont sont issus la plupart des éditorialistes aujourd’hui déboussolés.
Le bouillonnement actuel n’est pas différent. Il en sortira un nouveau monde, difficile à prédire aujourd’hui. La seule chose certaine est que le paradigme français de la deuxième moitié du 20ème siècle a un pied dans la tombe. La génération du papy-boom ne perd pas seulement ses dents et ses cheveux : ses concepts et ses valeurs aussi foutent le camp. Ils sortent de la vie comme un post-soixante-huitard en sort ! Le 2 novembre 2013, la manif des Bonnets rouges à Quimper a commencé par une pluie de chrysanthèmes jetés sur les CRS. On distingue mieux à présent le sens de ce présage funèbre.
Erwan Floc’h
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Une réponse à “Des chrysanthèmes pour les idées du papy-boom [tribune libre]”
Bon billet
Cependant, je pense que faire à peu près comme le Larzac soit la voie la plus logique pour tous ces « patriotes ». Revalorisation de régions et de savoir-faire français, autonomie vis-à-vis du système financier et économique… C’est dommage que l’analyse n’aille pas plus loin. Y’a tout de même quelques pistes jetées dans ce sens par E&R…