27-01-2014 – 09H00 Rennes (Breizh-info.com) – Le 31 mai 1968, Georges Pompidou, alors Premier ministre, reçoit à Matignon le bureau du Celib conduit par René Pleven. Evidemment, Joseph Martray, secrétaire général du comité, est du voyage.
« L’attitude est favorable face aux demandes bretonnes, parce que le pouvoir craint un embrasement de la Bretagne. C’est un oui de principe – encore un peu flou – à quatre demandes : Le plan routier breton, un port pétrolier à Brest, un port en eaux profondes à Roscoff » raconte l’historien Jean-Jacques Monnier (Magazine Bretons, décembre 2013)
S’il était encore de ce monde, Joseph Martray sourirait en lisant ces lignes. Car la crainte de » l’ embrasement de la Bretagne » par le pouvoir tient de la légende.
Si Georges Pompidou a fait preuve ce jour-là de tellement de compréhension à l’égard des revendications bretonnes, c’est pour d’autres raisons. Elles n’ont rien à voir avec les évènements de mai 68.
En effet, depuis les élections législatives de 1967, une cassure est apparue entre Pompidou et De Gaulle. Ils ne jouent plus dans la même cour. Le premier a l’oreille du grand patronat qui ne souhaite pas voir des innovations législatives modifier la gouvernance des entreprises, tandis que le second rêve de mettre en place « la participation ».
Pompidou s’emploie donc à freiner les ardeurs du général en la matière. Celui-ci tempête devant l’inaction de son Premier ministre ….
Jusqu’à ce qu’arrive mai 68. A ce moment-là, le Premier ministre comprend que ses jours sont comptés. Pour pouvoir lancer sa fameuse « participation », De Gaulle doit mettre en place un autre chef de gouvernement.
D’autant plus que le président de la République désapprouve la noblesse avec laquelle, selon lui, son Premier ministre a géré l’agitation étudiante. Le bail de Georges Pompidou, commencé en avril 1962, va donc s’achever.
Mais M. Pompidou n a pas l’intention de retourner à la banque Rotschild. Il a pris goût au pouvoir et se verrait bien succéder à De Gaulle à l’Elysée. C’est même devenu sa grande ambition. Ses derniers jours à Matignon seront donc consacrés à préparer l’après De Gaulle. Si ce dernier a toujours travaillé à rassembler les Françaises et les Français autour de sa personne, sans distinction de couleur politique, Pompidou croit à une approche plus classique de la politique : la gauche et la droite s’opposent. La stratégie de « rassemblement » chère au général n’est pas sa tasse de thé.
L’âge de Charles de Gaulle – 75 ans à l’époque – et l’hostilité des élites à sa politique économique et sociale, mais aussi étrangère (Québec, Israël, Vietnam), incitent Pompidou à penser qu’il est temps de préparer la suite. Avec son entourage, il estime que le départ du général n’est plus qu’une question de temps.
Cette conviction conduit le Premier ministre a recevoir, toutes affaire cessantes, le bureau du Celib. Non point pour faire des fleurs à la Bretagne, mais pour « recruter » René Pleven, écarté du pouvoir depuis l’arrivée aux affaires de Charles De Gaulle le 1er juin 1958. Le général avait en effet des comptes à régler avec le président du conseil général des Côtes-du-Nord depuis la IVème République et le RPF.
En effet, la droite, telle que la conçoit Pompidou, recouvre les gaullistes et les centristes. Or à l’époque, qui dit centriste dit, en particulier, René Pleven, grand homme de la Bretagne.
Pompidou a besoin de lui.
Nul ne saura ce qu’ ils se sont dit mais il est facile d’imaginer la teneur de la conversation : la succession de De Gaulle, les conditions de ralliement de Pleven à Pompidou et, accessoirement, le financement de la mouvance centriste …
Une fois installé dans le bureau du Premier ministre, René Pleven lit la liste des revendications présentées par le Celib. Au grand étonnement de Joseph Martray, Pompidou répond par l’affirmative à chacun. Les autres membres de la délégation, la Bretagne et ses problèmes, au fond, le Premier ministre s’en fiche. C’est Pleven qui est l’objet de toute son attention. Il n’a d’yeux que pour lui.
En quittant Matignon, étonné par la facilité inattendue avec laquelle les revendications du Celib ont été acceptées, Martray regrettera de n’avoir pas présenté une liste plus longue. Car évidemment, c’est lui qui avait préparé les demandes lues par Pleven.
Après son départ du gouvernement, Pompidou s’emploiera à scier la branche sur laquelle est assise De Gaulle : en particulier avec les déclarations de Rome et de Genève. Son heure arrivera le 27 avril 1969 lorsque De Gaulle sera battu au référendum portant sur la « participation » et la « régionalisation ». René Pleven apportera sa pierre à la défaite du général en faisant campagne contre le projet présenté par celui-ci. Il votera non, « parce qu’il était régionaliste », disait-il. Tandis que M. Martray se prononçait pour le oui.
L’arrivée de Pompidou à l’Elysée permit à M. Pleven de reprendre une carrière ministérielle interrompue en 1958. Une belle récompense pour le député de Dinan : ministre de la Justice. Ce fût l’âge d’or du Celib, avec son président devenu grand manitou à Paris. Les portes des ministères s’ouvraient devant Joseph Martray lorsqu’il venait défendre ici ou là un dossier.
Et puis honneur suprême : les assemblées générales du Celib se tenaient au Parlement de Bretagne, à Rennes. Grâce à l’influence du ministre-président …
Dommage pour l’histoire et la connaissance que Jean-Jacques Monnier n’ait jamais pu interroger Joseph Martray …
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