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Interview de Fabien Régnier, éditions du Nemeton (Keltia Magazine)

11/01/2014 – 08H00 Bretagne (Breizh-info.com) – Nous vous avions fait part voilà quelques jours de la sortie du numéro 29 de Keltia Magazine. L’occasion pour nous de rencontrer le responsable de ce magazine et des éditions du Nemeton, Fabien Régnier.

Breizh-info : Pouvez vous présenter votre maison d’édition et votre équipe ?

Fabien Régnier : Les Éditions du Nemeton ont été créées en 1997 à partir de la petite publication que j’avais fondée 7 ans plus tôt : La Tribune Celtique, qui avait permis d’élargir l’idée celtique à une prise de conscience d’appartenance à une culture dépassant les frontières régionales et nationales. L’idée reposait non seulement sur cet élargissement à l’ensemble de la diaspora celte, mais également sur l’intégration de tous les fondamentaux d’une culture authentique : passé (Histoire, archéologie, musiques traditionnelles, spécialités gastronomiques, artisanat, contes et légendes, traditions populaires, toponymie…),présent (scène musicale contemporaine, créations, expos, conférences, concerts, festivals, phénomènes de société ayant trait à la culture celtique, cinéma, événements…) et futur (prospective, objectifs concourant à réunir les conditions nécessaires à une renaissance culturelle, etc.).

Une équipe s’était progressivement spontanément constituée, à partir de lecteurs partageant ces préoccupations. Nous voulions nous rôder, nous former et assurer notre viabilité financière pour donner un jour à la communauté celtique le vrai magazine qui lui manquait et dont La Tribune Celtique n’était que la phase expérimentale, même si nous y mettions tout notre coeur. Nous étions évidemment tous bénévoles et animés uniquement pas notre passion commune pour cette culture étouffée et marginalisée, bien malmenée par l’Histoire dans tous les pays où elle avait jadis rayonné. Nous pûmes ainsi, au bout de sept ans de labeur, constituer la société d’édition qui allait rendre possible l’existence de ce futur magazine. Mais la route fut longue encore puisque ce n’est qu’en 2006 que nous avons été en mesure d’atteindre l’objectif que nous poursuivions depuis si longtemps.

C’est en effet à ce moment que nous nous sommes sentis prêts. Une très solide équipe avait été formée avec des spécialisations complémentaires et tout ce qui serait nécessaire à l’existence du magazine avait été testé et expérimenté, tant sur le plan technique que sur celui des relations avec les acteurs de la vie culturelle celtique, un peu partout. Un réseau de correspondants locaux avait également été constitué, ce qui permettait d’offrir une information d’ensemble qu’aucune autre publication ne pouvait réaliser. Certains s’étaient formés comme techniciens, d’autres comme maquettistes, d’autres comme responsables de rubriques : musique, artisanat, archéologie, gastronomie, mythologie, littérature, arts graphiques, festivals, conférences, expos, monde associatif, etc. Un tissu relationnel avait également été mis en place avec des dizaines d’éditeurs publiant des ouvrages se rapportant à notre culture, afin de les faire connaître. Nous étions en rapport avec près de 300 festivals celtiques dans toute l’Europe, ainsi qu’avec des sociétés savantes. Bref, c’était très complet et sans équivalent. Et, cerise sur le gâteau, il y avait une ambiance formidable, avec des gens qui n’étaient pas prêts à lâcher pied, quelles que soient les difficultés rencontrées.

Breizh-info : Le n°29 de Keltia Magazine est sorti en janvier dans les kiosques, pouvez vous le présenter ?

Fabien Régnier : Comme les précédents numéros, il est extrêmement varié. On y trouve développés tous les thèmes que j’ai évoqué plus haut, c’est-à-dire en définitive tout ce qui constitue une culture vivante, dynamique et multiforme. Nos lecteurs pourront ainsi découvrir beaucoup de choses, qu’elles soient nouvelles (découvertes archéologiques, programme de concerts, de festivals, de colloques, d’expos, de voyages, de littérature, de CD, de BD, etc.) ou anciennes mais très méconnues (les mabinogion, les grandes dames celtes de l’Antiquité, Guenièvre…) et bien d’autres choses encore. Jadis, notre démarche était encore incomprise des milieux scientifiques qui jugeaient que nous accordions une trop grande place à des éléments ludiques comme la musique, la gastronomie ou les BD.

Mais depuis quelque temps, de très nombreux scientifiques ont franchi le pas et apportent leurs compétences et leur notoriété au service de Keltia et donc de la cause celtique. Ils ont, comme d’autres milieux, réalisé qu’une culture, pour être vivante, ne doit pas se limiter aux vitrine des musées et forme un tout. Aujourd’hui, la plupart des plus grosses pointures scientifiques nous appuient mais nous faisons en sorte que leurs écrits ne soient ni austères ni rébarbatifs, de manière à mettre ces connaissances à la portée de tous les passionnés de culture celtique, même s’ils ne sont pas familiarisés avec ces notions scientifiques.

Breizh-info : Quelle est l’audience du magazine ? D’où vous est venue l’idée de le lancer ?

Fabien Régnier : Le magazine tire à environ 11 000 exemplaires. Sa diffusion se fait au niveau national par un diffuseur professionnel et touche entre 2500 et 3000 points de vente. Le reste est vendu sur les très nombreux stands que nous tenons dans des festivals celtiques, ce qui nous permet en outre d’aller au devant de nos lecteurs et de les rencontrer. C’est extrêmement enrichissant car de ces contacts émerge une très réelle prise de conscience culturelle commune, de manière parfois très fraternelle. Nos équipes tournent en Bretagne, dans d’autres régions hexagonales, mais aussi en Wallonie, en Suisse et dans les Alpes italiennes, régions où la renaissance celtique est impressionnante. Cette activité de stands nous permet d’équilibrer les comptes.

Quant au lancement du magazine, j’ai déjà dit plus haut comment il s’est patiemment élaboré au terme d’un processus qui a pris un peu plus de quinze ans, puisqu’il s’est amorcé en 1990. L’idée d’un magazine au service de la communauté culturelle celtique au sens large s’est peu à peu imposée puisque dès 1996, il y eut une première tentative avortée (Planète celte), bientôt suivie par d’autres en 1998, 2000, 2001 et 2004. Toutes furent des échecs et aucune ne put dépasser le n° 4 ou 5. Nous ne voulions évidemment pas connaître ce sort-là. Mais ces tentatives malheureuses, loin de nous ébranler, n’ont fait que nous encourager à persévérer, car d’une part nous étions beaucoup mieux impliqués culturellement que ces éphémères magazines, ne serait-ce que par les multiples contacts noués avec les festivaliers, les artisans, les archéologues, les musées, les musiciens, etc., d’autre part, notre but, contrairement aux autres, n’était pas d’en vivre.

Nous étions bénévoles et nous le sommes restés. C’est un formidable atout car l’intégralité du produit des ventes passe dans le magazine lui-même et dans le développement des moyens que nous voulons mettre au service de notre expression culturelle. Nous avons donc pu tenir — et avec quelle ardeur!– là où d’autres ont très vite épuisé leurs moyens financiers. Et puis, vous savez, on ne sort pas d’un processus d’élaboration aussi long pour laisser tomber ensuite aux premières difficultés. Au contraire, elles nous stimulent.

Breizh-info : Vous éditez également des livres , pourriez-vous présenter vos plus gros succès ?

Fabien Régnier : Nous éditons assez peu d’ouvrages car le magazine nous accapare. Nos principaux titres sont « La Pierre de Souveraineté (la Pierre de Scone au regard de la mythologie celtique) » et une « Chronologie celtique, des origines à nos jours ». Mais nous sommes surtout devenus distributeur de très nombreux éditeurs spécialisés dans la matière celtique (dont plusieurs petits éditeurs que nous pouvons ainsi aider de notre mieux), aussi bien pour des ouvrages scientifiques que pour des BD ou des beaux livres.

Nous distribuons également de nombreuses productions artisanales celtes, ce qui nous permet d’aider des artisans qui ont beaucoup de difficultés à continuer leur activité, mais aussi, par la même occasion, de créer un réseau de distribution auprès d’un public qui peine à trouver ces objets artisanaux. Car l’art celtique, en dehors de la musique, est très pénalisé en France et ne dispose pas des galeries d’art ou des circuits de distribution qui permettraient de lui donner la place qu’il mérite. Il est donc nécessaire d’agir également en ce sens.

Breizh-info : Quel regard portez-vous sur d’autres magazines parlant de la Bretagne ou des Celtes en général ?

Fabien Régnier : Nous sommes solidaires de toutes les publications qui se donnent pour but de défendre la culture celte, qu’elle soit bretonne ou plus générale. Malheureusement, ces dernières années ont été fatales à plusieurs d’entre elles et c’est très dommage (je pense évidemment en premier lieu à nos amis de Breizhmag et d’Armor magazine). Il faut s’entraider car nous devons donner à notre culture la place qu’elle mérite, à égalité avec d’autres qui, pour l’instant, sont mieux loties que nous et pèsent plus. Nous devons donc tous être solidaires. La diversité des thèmes abordés est une réelle richesse dont tous les Bretons et tous les Celtes profitent. Mais il y a également d’autres modes d’expression, comme les « web radios » par exemple, où les Celtes commencent également à s’investir. C’est évidemment un plus qu’il ne faut pas négliger non plus. Et Breizh Info montre par ailleurs avec efficacité qu’Internet peut jouer ce rôle essentiel, complémentaire de la presse.

Breizh-info : Vous proposez une version numérique de Keltia : pensez vous que le numérique soit l’avenir ? que le livre ou le magazine soit menacé ?

Fabien Régnier : Cela fait en effet près de quatre ans que nous proposons, en plus du magazine « papier », une version numérique. Pour l’instant, ce type de support reste encore très marginal et ne représente que 2% des ventes de Keltia. Mais c’est surtout une assurance sur l’avenir, à l’heure où la distribution de la presse est menacée et régresse, tous titres confondus. D’autant que certains libraires ne jouent pas le jeu et n’exposent pas Keltia, bien souvent par ignorance et par méfiance vis-à-vis de la culture celte. Il nous faut bien trouver des parades à ce type de problème. Le numérique constitue donc une forme de réponse à cela. Il permet aussi de répercuter auprès des lecteurs une baisse importante des frais d’édition, de diffusion et de port liés à l’édition « papier », que nous n’avons évidemment pas sur le numérique.

Breizh-info : Quelle est votre vision de la Bretagne dans 30 ans ?

Fabien Régnier : Je suis optimiste. Je pense que notre culture ne cessera plus de progresser et qu’elle sera de mieux en mieux perçue, comprise et acceptée. Elle a failli périr mais en fin de compte, elle a su se donner les moyens de relever la tête et de s’affirmer. Elle est la meilleure réponse que nous puissions apporter aux multiples défis du monde actuel, dont certaines tendances en cours préfigurent l’avenir. Je suis également convaincu que des personnes qui savent qui elles sont et d’où elles viennent sont mieux armées que d’autres, pour assumer leur destin et pour résister efficacement à ce que d’autres voudraient leur imposer, sans que cela leur corresponde. Bien entendu, des zones d’ombre importantes existent, en particulier sur le plan économique et sur l’avenir de la langue. Mais là encore, une forte conscience culturelle permettra de redonner un nouvel élan fondé sur des solidarités actives.

Et puis j’espère évidemment que nous saurons un jour parvenir à la réunification, malgré les sales coups que nous concoctent les officines centralistes.

On le voit bien en ce moment, la Bretagne est devenue la seule région capable d’inventer de nouvelles formes de lutte qui, tout en élaborant des solutions d’avenir, permettent de réagir à des maux actuels en restant ancrées dans une tradition historique. C’est passionnant et cela prend valeur d’exemple pour d’autres régions. Non seulement la Bretagne n’a donc pas dit son dernier mot mais, en s’appuyant sur une très vaste prise de conscience celtique, elle a un exceptionnel avenir devant elle.

Sur ces bonne paroles, je vous souhaite à toutes et à tous une excellente année 2014. Bloavez mad!

Fabien Régnier

www.keltiamagazine.com/

Photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

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