Lorsqu’il est venu à Rennes le 13 décembre dernier pour signer avec le conseil régional le Pacte d’avenir pour la Bretagne, Jean-Marc Ayrault, qui a toujours refusé de prendre en compte les identités régionales et tout particulièrement l’identité bretonne, s’est engagé à relancer le processus de ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Peut-être a-t-il fait cette promesse en Bretagne, à quelques mois d’élections qui s’annoncent difficiles pour les socialistes, afin d’éviter un désaveu trop cinglant dans une région qui a voté massivement pour François Hollande en 2012 mais qui compte désormais énormément de déçus.
La Charte et ses conséquences
La Charte européenne des langues régionales et minoritaires qui a été rédigée en 1992 à l’initiative du Conseil de l’Europe a pour objectif d’assurer l’avenir des langues régionales et minoritaires, ce qui en soit est tout à fait louable. Les Etats signataires de cette charte s’engagent à promouvoir ces langues et à faciliter leur usage oral et écrit dans la vie publique et privée. Le problème qu’elle pose réside dans l’interprétation qui peut en être faite; en effet, bien que les langues des migrants en soient clairement exclues, il est tout à fait possible d’affirmer, comme l’a fait Bernard Cerquiglini du CNRS dans un rapport remis aux Ministres en 1999, que des langues allochtones telles que l’arabe dialectal et le berbère peuvent être considérées comme minoritaires en France du fait de l’histoire spécifique de la France et de son empire colonial, ce que les thuriféraires de la charte omettent de préciser.
La Charte se prête aux interprétations parce qu’elle utilise deux expressions ambigües (« langues minoritaires dépourvues de territoires » et «langues historiques») sur lesquelles B. Cerquiglini s’est appuyé pour faire son interprétation favorable à la reconnaissance de l’arabe dialectal et du berbère (en plus du romani et de l’arménien occidental).
Le risque qu’une telle interprétation soit faite par le gouvernement actuel qui est incité par ses conseillers à promouvoir l’utilisation de toutes les langues parlées par les populations immigrées – voir les rapports sur l’intégration remis au Premier ministre en décembre dernier – est suffisamment important pour refuser l’application de cette charte ; de plus, si l’arabe dialectal et le berbère obtenaient le statut de langues minoritaires, il deviendrait difficile de ne pas satisfaire les revendications inévitables de tous les locuteurs de langues étrangères installés en France. Cette Charte met en danger l’identité de la France et celles de ses régions ce dont Jean-Marc Ayrault ne se soucie guère.
Le philosophe canadien Will Kymlicka qui a consacré beaucoup de ses travaux au fédéralisme et à la place des différentes cultures au sein d’un pays dans lequel cohabitent des tribus indiennes, des descendants de Français et d’Anglais installés depuis plusieurs siècles et des migrants récemment arrivés, a écrit que seules les cultures indiennes, francophone et anglophone étaient indigènes, à des titres différents il est vrai, et que par conséquent, elles seules devaient avoir un statut officiel parce qu’à la différence des colons anglais et français venus s’installer au Canada dans le cadre des politiques menées par les Etats dont ils dépendaient respectivement, les migrants récents sont venus s’installer à titre personnel et que, de ce fait, ils ne peuvent réclamer des droits collectifs. Ce point de vue est transposable à la France dans laquelle seules les langues autochtones doivent pouvoir bénéficier d’un statut officiel. L’arabe dialectal et le berbère étaient autochtones en Algérie qui a été un département français jusqu’en 1962 mais l’Etat n’a pas imposé aux habitants de ce département de migrer dans la métropole ; les Algériens qui ont migré en France l’ont fait, comme tous les autres migrants, à titre individuel et ne peuvent donc pas revendiquer des droits collectifs.
Vers un référendum ?
Les langues sont des éléments centraux et même souvent essentiels de l’identité des peuples ; elles ont une dimension affective et symbolique très importante. Toute innovation en matière de politique linguistique devrait faire l’objet d’une décision réellement démocratique c’est-à-dire d’un référendum. La Charte, bien qu’elle ait été signée par Lionel Jospin en 1999 est incompatible avec plusieurs points essentiels de la Constitution de 1958, notamment avec son article 2 qui prévoit que « la langue de la République est le français » ; son éventuelle ratification impose une réforme constitutionnelle préalable laquelle ne peut être adoptée que par une majorité des trois cinquièmes au Parlement réuni en Congrès ou par un vote référendaire majoritaire. Ne pouvant espérer une telle majorité qualifiée au Parlement, Jean-Marc Ayrault aura peut-être recours à un référendum qui portera sur l’adoption d’un texte inacceptable à cause des interprétations qui peuvent en être faites et du fait qu’il ne peut être ratifié sans réserve.
Si le gouvernement a un réel souci du devenir de nos langues régionales, il lui est tout à fait possible de préparer un projet de loi visant à leur donner de réels moyens d’existence et de développement dans leurs territoires historiques et de le soumettre à référendum, sans ratifier la Charte européenne, mais en s’en inspirant et en limitant ce projet de loi aux seules langues d’origine strictement autochtone (dans l’esprit de la Charte d’ailleurs).
B. Guillard
Illustration : Mac Yavel/Wikimedia (cc) et Breizh-info.com
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