L’absence de ligne politique : une force pour les Bonnets rouges ?

06/01/2014 – 06H00 Carhaix (Breizh-info.com) – Bien des critiques pleuvent sur le mouvement des Bonnets rouges ; il en est une qui mérite davantage de réflexion que les autres, car elle revient régulièrement : le collectif « vivre, décider et travailler en Bretagne » n’aurait pas de «ligne» ! Effectivement, il s’agit avant tout d’un rassemblement nourri par la crise économique et sociale, qui a surgi au fin fond d’une péninsule appelée Bretagne.
Petits patrons et ouvriers se sont retrouvés du même côté de la barrière. Difficile à comprendre — et à admettre — pour les élites parisiennes, qu’elles soient politiques ou syndicales. Nécessité faisant loi, patrons et ouvriers ont compris l’urgence de s’unir alors que leur monde — celui de l’agroalimentaire — fait naufrage.

À coup sûr, le succès des manifestations de Quimper (2 novembre) et de Carhaix (30 novembre) s’explique par l’absence de ligne. Ainsi, on peut ratisser large et regrouper les individus peu — ou pas — politisés désireux de défendre leurs emplois et leurs droits de vivre au pays. Les vraies gens, le vrai peuple breton, qu’une « ligne » claire et nette rebuterait et dissuaderait de participer à ce mouvement contestataire.
L’adoption d’une « ligne » entraînerait l’implosion de ce rassemblement.
D’après la préfecture, ils étaient 15 000 à Quimper et 17 000 à Carhaix, ces orphelins de la « ligne ».
Pendant ce temps, les privilégiés qui se flattent de suivre une « ligne », étaient 600 à Rennes, une centaine à Dinan ou encore 500 à Quimper. Leur ligne : « ensemble contre le racisme ».
Une semaine plus tôt, sept centrales syndicales avaient uni leurs efforts pour reprendre la rue, parait-il, face à la montée des Bonnets rouges. Avec deux leaders nationaux en tête de cortège à Lorient, Laurent Berger pour la CFDT et Thierry Lepaon pour la CGT, la recette fut maigre : seulement mille personnes. Ailleurs, on ne fit guère mieux : trois mille à Rennes, mille à Saint-Brieuc, trois mille à Morlaix. Conclusion : les succursales bretonnes des machines parisiennes ne connaissent pas le succès en ce moment.

Si on se réfère au peu d’ardeur de leur patron (Chérèque hier, Berger aujourd’hui) à défendre les intérêts des travailleurs — en Bretagne, en Lorraine et ailleurs —, on comprend mieux pourquoi la dynamique des Bonnets rouges l’emporte sur la sclérose des bureaucraties syndicales.

Le succès de Quimper a inspiré à Didier Le Corre, rédacteur en chef du magazine Bretons, un éditorial dans lequel l’essentiel est dit sur ce mouvement qui « suscite méfiance et perplexité » (décembre 2013). Un « éclairage » équilibré qui ne correspond pas forcément à la lecture que beaucoup de médias ont faite de ce fest-deiz. Mais l’« hétéroclite » n’impressionne pas M. Le Corre : « puis, vint le moment de l’incompréhension à l’énoncé des composantes de cette manifestation. Y figuraient des gens de droite, de gauche, du centre, de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Tout et son contraire : le MEDEF et le NPA, Breizhistance et le Bloc Identitaire, Force Ouvrière et des patrons…. et puis des militants culturels, associatifs et tout simplement des gens : salariés, artisans, marins… Voici l’ensemble qualifié d’hétéroclite par la presse nationale.
Hétéroclite? Non, au contraire, formidablement homogène puisqu’il représente à peu de choses près la totalité des tendances de la société d’aujourd’hui. En ce sens, la manifestation de Quimper est une grande première. Non seulement elle est uniquement dans l’histoire de France — n’y a-t-il eu jamais un seul rassemblement où extrême gauche et extrême droite ont défilé ensemble? —, mais elle est aussi formidablement moderne, car elle est la première à illustrer la fin d’une fracture systématique gauche/droite qui a de moins en moins de sens dans une société eurorégentée et globalisée ».

En vérité, cette question a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Ainsi, au sommet de l’État, François Hollande a estimé » que « Quimper n’a pas joué en faveur des Bonnets rouges. On ne va pas tarder à se rendre compte que cette manifestation a été le début de la fin pour eux (…). Il s’agit d’un rassemblement hétéroclite qui ne permet pas une continuité » (Canard enchaîné, 13/11/2013).
Un mois plus tard, c’était Carhaix…
Venue à Lanester pour la fête de l’Huma, Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, voyait les choses avec les mêmes lunettes : « les Bonnets rouges sont un mouvement qui va être éphémère alors que nous essayons de construire dans la durée ». (Le Télégramme, 01/12/2013).
Mais lui fait plus fort que Hollande puisque, le jour même de cette déclaration imprudente, Christian Troadec réunissait 17 000 personnes à Carhaix.

Du côté du NPA, on fait preuve de davantage de lucidité : « Les syndicats veulent diviser ce mouvement que l’on diabolise volontiers. Mais, s’il est hétéroclite, c’est parce qu’il représente un peuple qui se relève », affirme Mathieu Guillemot, leader local du NPA, responsable du pôle ouvrier des Bonnets Rouges.  » (le Figaro, 30/11/2013).
Les journalistes de la presse régionale ne pouvaient que suivre le mouvement dans le questionnement concernant le caractère « hétéroclite » du mouvement. Christian Troadec assume  : « On revendique clairement d’avoir des gens différents qui s’associent pour défendre notre région. Faire en sorte que l’on retrouve en son sein tous les visages de la Bretagne. Il est vrai, du coup, que je rassemble des gens de tous horizons ; les ouvriers, les chefs d’entreprise, les marins, les commerçants, les artisans, les paysans… »  (Le Télégramme, 30/11/2013).

C’est peur être en dehors des figures médiatiques des Bonnets rouges que l’on va retrouver les meilleures définitions du mouvement. À un journaliste de Libération qui l’interroge sur cette fameuse absence de ligne et sur le caractère hétéroclite de la boutique, François Hélias, patron d’une PME de transports routiers de Concarneau, fait une réponse presque poétique. « Cette révolte, c’est surtout celle de la base, des seconds couteaux ». « La beauté du mouvement ?  Mettre ensemble des gens par nature incompatibles » (libération, 2911/2013).

Avec un petit dénominateur commun — la défense des intérêts bretons —, les Bonnets rouges peuvent continuer à rassembler des forces importantes. Tant que Christian Troadec échappera aux discours formatés, tendance ENA, il plaira au peuple breton, car il sera compris par lui. Mais succomber à la normalisation et commencer à parler comme France Inter signifierait le début de la fin. Le mouvement perdrait alors sa saveur et son attractivité, donc cesserait de faire peur à Paris.

Christian Troadec tiendra-t-il la distance ? Se transformera-t-il en un Édouard Martin breton ? Sera-t-il récupéré tôt ou tard par le PS ? Se voir réserver la circonscription de Châteaulin pour 2017 pourrait être tentant….

Le mouvement de Pierre Poujade (union et défense des commerçants et artisans) développait-il une ligne bien structurée ? À part un antiparlementarisme sommaire et une hostilité foncière envers les représentants de l’État — en particulier les agents du FISC —, le programme apparaissait bien vide, en dehors d’un appel à la réunion des états généraux, le peuple étant supposé remettre le pays sur les rails. Ce mouvement se disait « apolitique ». Pourtant, aux élections législatives de janvier 1956, cette « équipe d’amateurs obtint des résultats stupéfiant la classe politique : près de 2,5 millions d’électeurs, soit près de 9 % des inscrits et 12 % des votants. Avec à la clé, 52 députés, grâce à la représentation proportionnelle. C’est ainsi qu’à Rennes, un certain Nerzic, pâtissier de son état, entré en politique suite à un contrôle fiscal, se vit propulsé au Palais-Bourbon.

Photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2013, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

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