Il y a comme ça des vieux rêves de plats introuvables qu’on voudrait bien réaliser, des envies culinaires qu’on voudrait bien assouvir, des mets qu’on évoque inlassablement sans jamais en avoir humé l’odeur, apprécié la couleur, testé la saveur. Plats mythiques issus de la rencontre improbable entre ce que peut donner de meilleur une terre, avec sa faune et sa flore et le génie d’alchimiste d’un(e) cuisinier(e).
Tenez, par exemple : le lièvre à la royale. Voilà un plat dont le nom seul vous met l’eau à la bouche. Ca sonne comme une chasse sauvage, une folle équipée nocturne qui se terminerait en majesté…au fond d’une marmite. Saint Hubert et Saint Laurent réunis au paradis des gourmets. Joli programme !
Car préparer un lièvre à la royale, ce n’est pas rien. C’est même tout sauf facile. Inutile de dire qu’aujourd’hui peu de chefs s’y attellent. La recette, il est vrai, n’est pas vraiment genre fast-food. Il faut en effet du temps, beaucoup de temps, pour que le lièvre – un beau gibier – arrive dans votre assiette « à la royale ». Chair et sang de l’animal, vin rouge, chocolat, fruits, épices sont de la partie. Mais bon, on ne va pas tout vous raconter. Sachez quand même que deux ou trois jours de préparation sont nécessaires. Et si vous tenez absolument à en savoir plus, reportez vous aux bons manuels, étant précisé que chaque chef a bien sûr « sa » recette, son petit « plus », celui qui fera la différence. Inutile toutefois d’insister, de leur demander leur truc, d’essayer de leur tirer les vers du nez. Temps perdu : tout ça est rigoureusement top secret. Presqu’autant que le code de l’arme atomique. C’est tout dire.
Donc, après y avoir longtemps pensé, après l’avoir évoqué, imaginé, après en avoir parlé, reparlé, un jour arriva où la décision fut enfin prise. « On » irait déguster la chose. Après plus de quarante ans d’expériences culinaires, d’expéditions lointaines pour découvrir des macaronnés Michelin ou des multi toqués Gault et Millau – certaines ont laissé des souvenirs impérissables – le temps était enfin venu pour l’équipe de découvrir le fameux lièvre.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Une adresse s’est très vite imposée : le restaurant de La Promenade au Petit Pressigny (37) qui a le plat convoité inscrit à sa carte durant la saison de chasse. Niché au cœur d’un petit village au fin fond de la Touraine et à la limite du Poitou, à moins de trois heures de la Bretagne par les routes à péage de la maison Vinci, l’établissement tenu par Jacky Dallais, un disciple de Robuchon, nous tendait les bras. Classé espoir de la cuisine française en 1996 par Gault et Millau, le chef conserve jalousement un macaron Michelin depuis de longues années. A priori, donc, une maison sérieuse.
Disons le tout de suite, il ne faut pas y aller pour le décor, un brin tristounet. Il est vrai que la météo automnale n’arrangeait rien, avec une grisaille tenace qui aura persisté tout ce week-end de novembre. L’accueil, un peu réservé au départ, s’avérera finalement chaleureux et le service compétent et diligent. Plusieurs menus sont au programme et la carte des vins est tout bonnement exceptionnelle, tant par sa qualité que par les prix pratiqués.
Et le plat convoité alors ? Pour ce classique du grand répertoire culinaire, deux approches possibles : effilochée ou chair entière. Le bon monsieur Dallais a opté pour la première : drapé de sa sauce brun-noir, notre lièvre se déguste à la fourchette ou à la cuillère – la serveuse a d’ailleurs enlevé les couteaux, inutiles pour l’occasion. Accompagnée de deux nouilles fourrées au foie gras et d’une sublime purée de pommes de terre, sa majesté arrive sur la table, dégageant un fumet incomparable de gibier avec des notes complexes de sous-bois. Sensuel et sauvage à la fois. L’émotion est au rendez-vous. Dire que c’est bon serait très en dessous de la vérité. C’est bien autre chose. Accompagné d’un superbe Saint Joseph 2010 de chez Jean-Louis Chave, conseillé par l’excellent sommelier, ce lièvre (50 euros à la carte) constitua notre déjeuner. Une tarte aux agrumes (épatante) pour finir, et voilà le rêve enfin accompli. Mersi bras, Monsieur Dallais !
P. Elgey
Restaurant La Promenade
11, rue du Savoureulx
37 350 Le petit-Pressigny
Tél : 02 47 94 93 52
Fermé dimanche soir, lundi et mardi.
Photo : Restaurant La Promenade
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