25/11/2013 – 08h00 Lorient (Breizh-info.com) – Dans son dernier livre « voyage dans l’au-delà : les Bretons et la mort », Bernard Rio explique les relations singulières que les Bretons entretiennent avec la mort et les morts. Il renouvelle complètement la célèbre Légende de la Mort écrite par Anatole Le Braz au XIXe siècle.
Spécialiste de l’environnement et du patrimoine, Bernard Rio est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages chez différents éditeurs. Il a notamment contribué à la partie celtique du « dictionnaire critique de l’ésotérisme » publié par les PUF sous la direction de l’ethnologue et universitaire Jean Servier. Bernard Rio vit en Bretagne et collabore à la presse magazine.
Nous l’avons interviewé afin qu’il présente son ouvrage plus en détail :
Breizh-Info : Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre parcours et vos publications ?
Bernard Rio : Après avoir travaillé dans la presse quotidienne régionale et hebdomadaire régionale où j’ai assumé des fonctions directoriales, je me suis tourné vers la presse magazine. Depuis une dizaine d’années, je privilégie la recherche et l’écriture dans deux registres en particulier, l’environnement et le patrimoine. J’ai publié une quarantaine d’ouvrages chez différents éditeurs : Le Rocher, Le Télégramme, Glénat, Rando-éditions
… Mon dernier ouvrage s’intitule « Voyage dans l’au-delà : les Bretons et la Mort ». Il vient de paraître aux éditions Ouest-France.
Breizh-Info : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur cette relation si particulière ?
Bernard Rio : Ce livre résulte d’une longue collecte de témoignages, de faits et d’images accumulés depuis une vingtaine d’années, de rencontres et d’interrogations personnelles. Mon environnement familial m’a probablement et naturellement influencé, je pense notamment aux histoires racontées par ma grand-mère originaire de Branderion qui avait la particularité de « voir », c’est-à-dire d’être avertie de la mort de ses proches. Elle racontait ses histoires sans leur conférer un caractère sensationnel, car la fréquentation des morts et l’existence d’un autre monde parallèle étaient pour elle des évidences.
Plusieurs décès et obsèques dans mon entourage ont également suscité des interrogations quant à la pérennité de certains rites et à la disparition de certains autres. Par ailleurs, je me suis rendu compte que les anciennes pratiques funèbres étaient de moins en moins compréhensibles tout en s’avérant de plus en plus nécessaires pour accepter l’idée de la mort, je pense par exemple à la veillée, au repas de funérailles.
Il m’importait donc de redonner du sens à ces rites et pratiques afin de les partager avec mes contemporains
Breizh-info : En ces mois noirs, ces « miz du», la relation des Bretons avec la mort est encore plus sensible. Quelle est la singularité de la relation qu’ont les Bretons avec la mort ?
Bernard Rio : Il existe en Bretagne des relations particulières avec la Mort que je n’ai observées nulle part ailleurs. Outre le personnage de l’Ankou, avatar du dieu celte Ogmios, il y a le bag noz, c’est-à-dire la barque des morts dont Procope cite déjà l’existence au Ve siècle.
De même les saints Diboan, Abibon, Tu-pe-tu- Genefort qui sont les avatars d’un autre dieu celte Sukellos et sont invoqués à la vie et à la mort. La liste de ces particularismes est longue, pour ne citer qu’un dernier exemple : Kidu, le chien noir dans lequel le recteur de Bégard enfermait les âmes damnées et qu’il menait pour le noyer dans le Yeun Ellez, le marais de Brasparts…
Cette spécificité bretonne est à la fois culturelle et religieuse. Bien que la plupart des ossuaires aient été « nettoyés » et que les cimetières aient été déménagés à la périphérie des bourgs, la mort semble irrémédiablement enracinée dans le paysage, la société et la culture des Bretons. Cette perception de la mort est une permanence, le résultat d’une fréquentation voire d’un apprentissage de l’au-delà, peut-être même d’une inclinaison que nous retrouvons aussi bien dans la littérature de langue française avec François-René de Chateaubriand que dans la poésie bretonne de Yann-Ber Calloc’ h, de même dans la culture populaire. Il suffit de questionner les ethnologues et collecteurs des traditions populaires pour mesurer la place de la mort et des morts chez les vivants… Depuis l’Antiquité, en passant par le Moyen Âge, il est permis d’évoquer une continuité culturelle. Celle-ci est flagrante dans les collectages du XIXe siècle.
Elle était d’ailleurs ostensible et acceptée par la population qui se référait davantage à des traditions protohistoriques qu’aux préceptes de l’Église catholique romaine. Aujourd’hui, une rupture pourrait être perceptible dans l’espace et dans le temps. Le Breton ne meurt plus chez lui.
Les enterrements sans sacrements se multiplient et la crainte de passer pour un primitif superstitieux réfrène désormais quiconque de confier ses visions et perceptions de l’autre monde à ses proches… Cette distanciation est évidente, mais paradoxalement la proximité avec l’au-delà demeure ! Il suffit parfois d’une conversation, suivie d’une explication symbolique des croyances, pour libérer le non-dit ! La parution du livre en septembre a d’ailleurs libéré la parole et je reçois de nombreux témoignages corroborant mon propos.
Breizh-Info : au fil des siècles, cette relation a évolué. Quelles relations ont aujourd’hui les Bretons du 21e siècle avec l’Ankou ?
Bernard Rio : Les relations de nos contemporains avec la mort s’inscrivent dans un continuum. Elles perdurent bien que de moins en moins acceptées par une société à la fois laïque et hygiéniste, où la part du sacré et de l’irrationnel est perçue comme un atavisme rétrograde. Par exemple, l’existence du mell beniguet, le marteau bénit utilisé dans le pays vannetais pour libérer l’âme du défunt a été considéré comme une pratique barbare à la fois par les esprits cartésiens et le clergé catholique.
Or cette pratique originale subsiste au Vatican avec l’usage d’un petit marteau en argent utilisé par le camerlingue pour déclarer la mort du pape, de même les brahmanes vont pratiquer l’ouverture du 7e shakra du défunt avec un marteau symbolique avant de procéder aux funérailles. Cet exemple est révélateur de la complexité culturelle des rites funèbres en Bretagne. C’est à la fois la dimension symbolique des rites et la permanence des pratiques dans la Bretagne contemporaine que j’ai voulu d’abord étudier puis partager publiant cette enquête.
Breizh-Info : y a-t-il des phénomènes nouveaux à signaler ?
Bernard Rio : Le monde évolue, mais, sur l’échelle du temps, ce que nous appelons autrefois n’est que l’instant d’hier. Aujourd’hui, les Bretons poursuivent les dévotions sur les tombes, continuent de croire et de voir les « âmes errantes » les Anaon, le « messager de la mort » l’Ankou se manifeste toujours ainsi qu’en attestent des témoignages récents collectés dans toute la Bretagne.
Les intersignes peuvent désormais se manifester par le biais de la technologie : téléphone, ordinateur, appareil photo numérique… Les morts savent s’adapter aux modes des contemporains, ainsi l’auto-stoppeuse fantôme qui est apparue en Bretagne voilà une vingtaine d’années peut être considérée comme une variante moderne de la dame blanche !
Les rites, les pratiques et les phénomènes « surnaturels » perdurent donc. Il importe toutefois de redonner un sens à cet ensemble de croyances qui ne relève pas de la fiction ou de la psychiatrie, de retrouver une cohérence à la fois cultuelle et spirituelle qui ne s’apparente nullement à un sensationnalisme.
Breizh-Info : Avez-vous d’autres projets pour la suite ?
Bernard Rio : Après la mort en Bretagne, je vais publier son pendant dans quelques semaines, à savoir les rites et pratiques de vie.
Cet ouvrage préfacé par Michel Maffesoli, professeur à la Sorbonne, s’intitule : « le cul bénit, amour sacré et passions profanes » aux éditions Coop Breizh. Je revisite les mégalithes et les chapelles pour dévoiler une Bretagne érotique et amoureuse. Le livre est abondamment illustré avec notamment des images de sablières sculptées.
C’est en quelque sorte une évocation de la « grande déesse » et du « Bon Dieu », sous les traits de la sirène tentatrice et du centaure lubrique, du démon de midi et de l’ange amoureux. Je crois qu’il est possible de parler du sexe et de l’amour sans céder à la vulgarité. Cet ouvrage traite à la fois d’un art sacré et d’une religion populaire, des croyances et des mythes, pour restituer une cohérence à l’amour originel. C’est à la fois un livre du désir et du plaisir sur les liaisons sacrées entre l’humain et le divin. Ce livre sera présenté le 7 décembre à la librairie Coop Breizh à Quimper (29).
Breizh-info : donnerez-vous des conférences prochainement ?
Bernard Rio : J’étais le 19 novembre au Musée de Bretagne à Rennes et je suis invité le mardi 3 décembre par l’université permanente de Nantes et l’académie de Bretagne et des pays de Loire pour une conférence sur « Voyage dans l’au-delà ». Je dois également intervenir le 8 février à la médiathèque de Lanester (56) et le 19 février à la librairie Dialogues à Brest (29).
Bernard Rio, « Voyage dans l’au-delà : les Bretons et la mort » éditions Ouest-France, 28€