La garde des Sceaux caricaturée en guenon : le monde politico-médiatique français s’enflamme. Aucun des sujets du moment (révolte fiscale, interventions militaires en Afrique, négociations sur le nucléaire iranien, etc.) ne paraît le passionner autant.
Ces braves gens n’ont pas toujours été aussi sensibles. Voici une vingtaine d’années, le Bébête Show, sur TF1, montrait tous les jours le président de la République sous la forme de la grenouille Kermitterrand. À ses côtés, on pouvait voir Michel Rocard en corbeau, Jack Lang en chèvre et le leader communiste Georges Marchais en Marchie la cochonne. Et puis, déjà, un primate : Ouistiti Giscard des Singes. L’ex-président de la République n’a pas eu droit aux mêmes sollicitudes que l’actuelle ministre de la Justice. Jeanne Moreau proclamait-elle alors que « nous sommes tous des singes français » ? Pas sûr, mais elle a la mémoire qui flanche…
Jean-Marc Ayrault a promis les foudres de la justice aux contrevenants. Il marche sur les traces de Jean-Marie Le Pen, qui s’était rebellé : l’émission le représentait comme un vampire à fort accent teuton et coiffé d’un casque à pointe. Il avait gagné son procès. Le Bébête Show l’avait alors transformé en « Pencassine », sous le costume popularisé par la BD Bécassine. Plus d’un quidam ni plus ni moins obscur que les ennemis de Christiane Taubira a aussi représenté M. Le Pen en chimpanzé ou en gorille sans encourir les foudres du Premier ministre.
Caricaturer ses adversaires en singe est évidemment déplorable, mais c’est un grand classique de la politique au moins depuis Darwin. Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, a même consacré un livre entier au thème L’Homme est-il un grand singe politique ? (Paris, Odile Jacob, 2011). Il y décrit François Hollande en orang-outang « calme, paisible et réfléchi » et Nicolas Sarkozy, alors président de la République, en macaque rhésus qui « ne supporte pas la contradiction ». Pourquoi seul le rapprochement entre Mme Taubira et une guenon soulève-t-il l’indignation ?
La question se pose aussi à l’étranger. Ainsi, aux États-Unis, où règne la liberté d’opinion, il n’est pas rare de voir des hommes politiques caricaturés en primates. C’est souvent arrivé à George Bush du temps de sa présidence. Cela n’a jamais soulevé de grands remous. Mais quand, lors de la campagne électorale de 2008, une entreprise s’est mise à vendre une poupée-singe intitulée « The Sock Obama » présentée comme un jouet « mignon et câlin », la presse l’a aussitôt condamnée pour racisme. Dans ce pays où l’un des grands partis a pour emblème un éléphant et l’autre un âne, on n’est pas forcément ami des bêtes.
Erwan Floc’h
Crédit photo : [cc] Benchilada via Flickr. Pencassine : extrait de la couverture de Le Bébête Show, L’Album
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