La girouette sur laquelle Alain Croix fait une fixette

16/11/2013 – 18H00 Nantes (Breizh-info.com) – Alain Croix n’aime rien tant que les détails désagréables pour la Bretagne ; on se gardera d’entrer dans les explications psychologiques de ce tropisme. Le récent et colossal Dictionnaire de Nantes lui a permis de le déployer à son aise, puisque l’ouvrage a été rédigé sous sa direction. Comme promis, en voici un exemple curieux tiré de l’article Girouettes.

« Jusqu’au 17e siècle au moins », assure cet article signé de l’historien, les girouettes de Nantes « se caractérisent par leur forme de main, avec une explication traditionnelle qui se transmet alors depuis trois siècles » : pour dénoncer la vénalité des Nantais qui l’avaient livré à Charles de Blois en 1341, Jean IV, une fois victorieux, les aurait obligés à arborer des girouettes en forme de main.

L’important n’est pas que l’histoire soit vraie ou non. En revanche, écrit le Dictionnaire, « il est exceptionnel qu’une transmission orale soit aussi longue, d’autant plus qu’elle est colportée par le très savant dominicain Albert le Grand qui en discute avec Dubuisson-Aubenay, voyageur qui nous a laissé un extraordinaire récit de son voyage en Bretagne en 1636 ». Ce récit est évoqué pas moins d’une douzaine de fois dans le Dictionnaire. Alain Croix est censé faire autorité en la matière puisqu’il a participé à La Bretagne d’après l’Itinéraire de monsieur Dubuisson-Aubenay, ouvrage remarquable publié en 2006 aux Presses Universitaire de Rennes.

Des sources incertaines

Mais qu’écrit en réalité Dubuisson-Aubenay ? D’abord que parmi la vingtaine d’églises qu’il mentionne à Nantes, il a vu cette forme de girouette sur quatre clochers (Saint-Saturnin, Saint-Nicolas, les Clarisses et Saint-Tussain), c’est-à-dire qu’elle est exceptionnelle et non caractéristique. Ensuite et surtout, qu’Albert le Grand lui a dit avoir lu cette explication dans un manuscrit d’un chroniqueur de Jean IV — or on sait que les chroniqueurs médiévaux avaient pour règle de mettre leur seigneur en valeur et pas forcément de décrire la « vérité vraie ».

Ainsi, (a) un propagandiste de la fin du 14ème siècle affirme une chose dans un manuscrit aujourd’hui perdu, (b) un érudit du 17ème siècle relate avoir lu cette chose dans ledit manuscrit, (c) un voyageur du 17ème siècle rapporte les propos de l’érudit, (d) un historien du 21ème siècle en conclut que cette chose a fait l’objet d’une « transmission orale » pendant trois siècles. C’est l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours.

Ajoutons que le « très savant » Albert le Grand (1599-1641) est surtout connu comme l’auteur d’une Vie des saincts de la Bretaigne armorique, dans laquelle  il ne montre pas un grand souci  d’exactitude historique. « On ne peut s’empêcher de lui reprocher un manque absolu de critique, et une facilité extrême à accueillir tout ce qu’une crédulité aveugle a fait admettre, pour rendre merveilleuse la vie de certains saints », note ainsi Guy-Alexis Lobineau dans Les Vies des saints de Bretagne (Paris, Méquignon Junior,  1836).

Dubuisson-Aubenay lui-même s’est montré plus sceptique que le père dominicain et que l’historien contemporain. Conscient qu’on lui rapporte parfois des fariboles au cours de son voyage, il relativise : « toutesfois il est vray » qu’il a lui-même vu une girouette identique hors de Nantes, en un lieu où l’explication n’était pas valable.

Fascinantes

Dans son épais récit de voyage, Dubuisson-Aubenay évoque deux fois les girouettes nantaises en forme de main, comme il le fait de nombreux autres détails. Alain Croix a trouvé une anecdote analogue dans un récit d’un voyageur italien anonyme de 1609. « Ce détail fascine les voyageurs », en conclut une note de La Bretagne d’après l’Itinéraire de monsieur Dubuisson-Aubenay. Il serait plus juste de dire qu’il a intéressé deux voyageurs et qu’il fascine Alain Croix.

Une autre note du même ouvrage signale cependant que l’érudit nantais Pierre Biré donne une explication différente, « voyant dans cette main un antique signe de l’hospitalité des Namnètes ». Plus exactement, dans son Episemasie, ou Relation d’Aletin le Maryr, Pierre Biré écrit ceci : « on a mis & posé à la pointe des clochers des églises de S. Saturnin, S. Nicolas & de Sainte Claire dudit Nantes, une main de cuivre qui dédiée à la Déesse Venus, signifie l’amour, l’affection et la dévotion que les habitants dudit Nantes, ont de tout temps eu & porté à cette glorieuse & sacrée Vierge mère de Dieu ». L’explication n’est pas forcément plus plausible, mais il est intéressant de noter (a) que Pierre Biré mentionne limitativement trois clochers, déjà cités par Dubuisson-Aubenay, (b) que son ouvrage a été publié à Nantes en 1637, l’année suivant le passage de ce dernier, (c) et surtout qu’il dit l’avoir rédigé d’après un manuscrit fourni par… Agirouette2lbert le Grand !

Tout cela ne dit pas pourquoi trois ou quatre clochers nantais portaient au 17ème siècle une girouette en forme de main, ni si ce détail a la moindre importance. Mais cela montre que l’analyse faite par Alain Croix est complètement hors de propos : il n’y a ni forme caractéristique, ni « explication traditionnelle », ni « transmission orale ».

Crédit photo : Decan, licence CC via Wikimedia
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Une réponse à “La girouette sur laquelle Alain Croix fait une fixette”

  1. […] dernière, comme une bouteille à la mer de naufragés intellectuels, par les historiens de gauche Alain Croix, André Lespagnol et Fanch Roudaut, et reprise par divers médias. Son incipit, assez cocasse au […]

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