Stéphane Le Foll et Guillaume Garot sont venus hier en Bretagne les mains chargées d’argent. Parmi les annonces mises sur la table : l’enveloppe consacrée à la Bretagne dans le cadre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) sera doublée dans la future PAC (2014-2020), passant de 175 à 368 millions d’euros sur sept ans.
Et pour l’économie bretonne en général, plus d’un milliard d’euros seront débloqués : 450 millions par bpifrance et 555 millions de crédits par l’État. L’agrandissement des élevages pour faire face à la concurrence européenne dans le respect de l’environnement a également été proposé. De quoi satisfaire au moins une partie des patrons et des syndicats bretons. Et éventuellement d’apaiser la colère et les violences en cours actuellement en Bretagne.
Mais derrière ces annonces, qui pourraient à court terme permettre le sauvetage d’une partie de l’agriculture bretonne et de nombreux emplois à la clé – sans remettre une seule seconde en cause le modèle d’agriculture breton pour lequel de nombreux problèmes, y compris environnementaux, ont été soulevés – se pose néanmoins la question de la pérennité de ces propositions.
En effet, il s’agit encore et toujours d’aides, de subventions, de crédits d’impôt de l’Union européenne ou de la France, là où de nombreux Bretons, entrepreneurs dans l’âme, souhaiteraient avant tout avoir les clés des leviers juridiques, fiscaux, économiques et sociaux qui leur permettraient de décider par et pour eux-mêmes des grandes politiques à mener en matière d’agriculture, de pêche, d’environnement etc.
Cela ne peut passer que par un statut d’autonomie pour la Bretagne, proposition qui n’était pas à l’ordre du jour des négociations et qui est irrecevable d’avance dans le cadre de la Constitution française actuelle. C’est pourtant ce que préconise clairement Christian Troadec, maire de Carhaix et figure de proue de la révolte des Bonnets rouges.
Le gouvernement français donne avec cette attribution d’enveloppe, l’impression de vouloir acheter une forme de silence, de paix sociale, par le versement de toujours plus d’argent, afin d’apaiser les tensions grandissantes -des radars automatiques ont brûlé toutes les nuits de la semaine en Bretagne. Mais la mise sous perfusion d’un malade n’est jamais l’acte médical qui entraîne sa guérison à long terme.
C’est d’ailleurs la même méthode qui est employée lorsque les banlieues s’enflamment, essentiellement pour des raisons ethniques et culturelles, avec pour seules réponses des gouvernements successifs les fameux « plans banlieue », qui permettent d’acheter la paix « sociale », mais ne résolvent aucun des problèmes soulevés par ces émeutes ethnico-communautaires (sinon il n’ y aurait plus besoin de plans banlieue).
Un véritable message semble aujourd’hui adressé par les hommes aux mains du pouvoir à tous les citoyens dont les colères économiques, sociales et sociétales se propagent actuellement en France : « révoltez-vous, cassez, faites du bruit, et nous vous donnerons de l’argent…. public que nous n’avons déjà plus. ». Ce message a dû être également reçu 5 sur 5 aujourd’hui à Marseille, où Jean-Marc Ayrault a annoncé le déblocage de 3 milliards d’euros, à destination notamment des quartiers nord de Marseille. « J’ai pris un engagement : celui d’assurer le retour de la République, a déclaré M. Ayrault. La République, c’est d’abord l’ordre public, la sécurité des citoyens, la présence des services publics dans tous les quartiers, l’égalité entre les habitants et entre les territoires ». Au passage, les 4 500 000 Bretons apprécieront sans aucun doute de bénéficier de 3 fois moins d’aides que les 850 000 habitants de Marseille, les premiers se révoltant pour leur survie économique et sociale, les seconds « bénéficiant » des conséquences d’un climat de terreur, de meurtres, de violences et de rackets aux origines bien identifiées. C’est sans doute là la conception qu’a François Hollande de l’égalité républicaine.
La Vème République et ses dirigeants, arc-boutés et attachés vaille que vaille à une vision centralisatrice et bureaucratique de l’économie, cette vision profondément française et jacobine qui a contaminé également l’Europe de Bruxelles, semble aujourd’hui au bord du gouffre. Les Français appliqueront-ils le précepte nietzschéen selon lequel « ce qui tombe, il ne faut pas le retenir, mais au contraire le pousser » ?
Et si nous étions rentrés dans une période pré-révolutionnaire ?
Irène Le Faou.