La fin de la mondialisation, par François Lenglet

Le journaliste de télévision François Lenglet est connu pour les positions libérales et libre-échangistes qu’il nous a assénées pendant de longues années. Mais le temps passe et les choses changent, de plus en plus rapidement. Il avait écrit en 2007 un essai intitulé « La crise des années trente est devant nous » dans lequel pointait déjà une certaine désillusion à l’égard de la doxa libérale. Son dernier livre intitulé « La fin de la mondialisation » (éditions Fayard – Septembre 2013) est symptomatique d’un bouleversement idéologique qui ne fait que commencer. Il n’est pas le premier à douter de l’idéologie libérale (car il s’agit bien d’une idéologie), quelques économistes tels Jean-Luc Gréau, Gérard Lafay ou Jacques Sapir se sont déclarés en faveur du protectionnisme ; Henri de Bodinat, qui fût professeur à HEC, était un néo-libéral affirmé avant de tourner casaque ( « Les sept plaies du capitalisme » – éditions Léo Scheer – 2012 ) mais François Lenglet est le premier journaliste qui affiche sa renonciation au crédo libre-échangiste.

L’imposture libre-échangiste

Avec son nouvel ouvrage il franchit le Rubicon et dénonce très clairement les mensonges concernant les bienfaits supposés du libre-échangisme (suppression de toutes les limitations, barrières et taxes en matière de commerce international), ce que d’autres avaient fait longtemps avant lui, je pense naturellement au regretté Maurice Allais qui avait tout dit dès 1999 dans son ouvrage intitulé «La mondialisation : la destruction des emplois et de la croissance » ou encore à un autre « Prix Nobel d’économie », Paul Samuelson, qui en 2004 a remis en cause les effets prétendument bénéfiques de la mondialisation et a souligné que les bénéfices engrangés par certains étaient peut-être moindres que les pertes subies par d’autres en terme de disparition d’emplois et de pertes de revenus. Mais, il est vrai que Samuelson et Allais étaient vieux et qu’ils ne comprenaient plus rien à l’économie moderne, c’est du moins ce que disaient tous les économistes du « courant dominant » ainsi que la quasi-totalité des journalistes et politiciens.

L’intuition de Samuelson a été confirmée par l’étude Linkage de 2005 qui a établi que les gains annuels globaux dus à la mondialisation libre-échangiste étaient de 290 milliards de dollars seulement (l’activité mondiale était alors de l’ordre de 50000 milliards de dollars) dont 90 pour les pays en voie de développement y compris la Chine et 15 milliards d’euros pour la France, pays dans lequel l’évasion fiscale des très riches et des multinationales se situe à hauteur de 80 milliards d’euros par an. En fait, si on déduit les gains de la Chine, les gains des autres pays en voie de développement sont …négatifs ! On peut en conclure que le libre-échange ne profite pas aux PVD hormis la Chine et quelques autres petits pays. Si les bénéficiaires de la mondialisation ne sont ni les PVD, ni les classes défavorisées et moyennes des pays développés, qui sont-ils ? Les plus riches des pays développés et de certains pays en voie de développement, évidemment, comme l’avait clairement énoncé Maurice Allais. En fait, la mondialisation libre-échangiste, économique et financière, ne sert qu’à enrichir dans des proportions extravagantes des gens immensément riches qui sont indifférents aux souffrances endurées par les peuples. Notons au passage que c’est cette caste mondialisée qui possède les médias chargés de nous intoxiquer et qui « tient » donc la classe des politiciens.

Le retour récurrent du protectionnisme

Un long chapitre de son livre est consacré à la succession récurrente des phases d’enthousiasme libre-échangiste et des phases de retour au protectionnisme faisant suite aux crises qui achèvent systématiquement les premières. Depuis le dix-neuvième siècle, au moins trois séries de ce type ont eu lieu et nous reproduisons régulièrement les mêmes erreurs, comme si chaque génération ignorait les errements de la précédente, ce qu’avait bien vu J.K. Galbraith (cf son livre sur la crise de 1929). Les phases de protectionnisme permettent de panser les plaies des économies nationales, de reconstituer les outils de production et d’augmenter les salaires jusqu’à ce que, une génération plus tard, tout le monde ayant oublié ce qui était arrivé, le délire libre-échangiste s’empare à nouveau des élites. Pour essayer de mettre un terme à ce cycle qui génère tant de souffrances, il serait temps d’enseigner, comme le conseillait Galbraith, l’histoire des crises économiques.

Le protectionnisme est le plus souvent bénéfique

La propagande libérale accuse le protectionnisme de mener à la guerre, ce qui n’a jamais été confirmé. Ainsi en 1933, les Allemands, traumatisés et en partie clochardisés par la crise de 1929 qui était une conséquence de la folie libre-échangiste et chrématistique des années vingt, ont fait l’erreur de confier le pouvoir à Hitler dans l’espoir d’échapper au retour de la politique libérale calamiteuse menée pendant les années précédentes. Retournant la théorie selon laquelle c’est le protectionnisme qui a provoqué la conquête du pouvoir par les nazis et donc la deuxième guerre mondiale, François Lenglet écrit que c’est la folie libérale qui est responsable de cette catastrophe et pas le protectionnisme dont les premières mesures ont été mises en place plusieurs années après le début de la crise que ce soit aux Etats-Unis ou en Allemagne. Il note que c’est d’ailleurs la politique protectionniste menée par Schacht qui a permis le redressement de l’Allemagne en quelques années, malheureusement ! Il en va de même aux Etats-Unis qui ne sont sortis du protectionnisme qu’en 1946, après avoir retrouvé une grande santé économique.

Le protectionnisme ne doit être considéré que comme un outil qui convient bien dans certaines situations et moins dans d’autres. Il doit être utilisé de manière pragmatique et il ne se confond pas avec l’autarcie. Les échanges économiques sont le plus souvent très utiles mais ils doivent être utiles à toutes les parties. Il est des situations dans lesquelles il est indispensable de protéger tout ou partie seulement d’une économie et d’autres situations qui imposent une ouverture plus grande des frontières. Le problème du libre-échangisme est d’être une religion devenue indiscutable. Mais la force de l’évidence contraint le monde entier, depuis 2008, à prendre du recul par rapport à lui. Partout de sournoises mesures protectionnistes se mettent en place. Partout ? Non, partout sauf en Europe où les gourous de Bruxelles veillent au grain et au respect de l’orthodoxie libérale.

François Lenglet note que contrairement à ce que disent et écrivent les néo-libéraux, les pays développés ont connu bien plus de périodes de protectionnisme que de périodes de libre-échange et que les premières ont été bien plus bénéfiques que les secondes. Qu’il s’agisse des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Japon ou de l’Allemagne, les grandes puissances industrielles ont bâti leurs industries à l’abri de solides protections douanières.

Que faudrait-il faire ?

A l’heure où nous devons penser à reconstruire nos industries ravagées par la concurrence des pays à bas salaires, il est évident que cela ne sera possible que si nous protégeons nos industries renaissantes par des taxes compensant les dumpings salariaux, sociaux, fiscaux, environnementaux et monétaires pratiqués par certains pays en voie de développement dont principalement la Chine. Il est permis de penser que le bon périmètre de ce nouveau protectionnisme serait un marché européen (pas nécessairement à 27 ; les 5 ou 6 principales économies européennes suffiraient), mais dans l’état actuel des choses, rien n’est possible bien que les peuples y soient favorables (dont 70% des Français qui sont les champions en la matière mais même les Britanniques sont désormais presque majoritairement de cet avis).

Pour empêcher les effets néfastes de la finance spéculative, il est urgent de réinstaller des contrôles aux frontières (depuis la récente expérience chypriote, nous savons que cela est possible) et d’assécher les paradis fiscaux, en commençant par ceux qui sévissent au cœur de l’Europe, mais la volonté de nos dirigeants n’est pas très affirmée sur ce sujet non plus. Il semble bien que, malheureusement, les pays de l’Union Européenne seront les derniers à prendre les décisions qui s’imposent.

Ce livre, qui n’est pas un maître-ouvrage, est par contre un bon livre de vulgarisation ; il est, plus encore, un révélateur des changements en cours dans le monde de l’économie. Ainsi, le temple du libre-échangisme, l’OMC, a reconnu récemment qu’on avait sans doute poussé trop loin la politique de dérégulation. Commencerait-elle à douter ? Certainement ; d’ailleurs depuis 2008, le « cycle Doha » est purement et simplement à l’arrêt. C’est un signe qui ne trompe pas. Seule l’inénarable oligarchie européenne continue sur sa lancée avec le projet de traité transatlantique qui ravit les nord-américains. Mais une fois encore, nous avons tout à y perdre.

Bruno Guillard

François Lenglet – La fin de la mondialisation – Editions Fayard – 15€

Photo : DR
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  1. […] Publié par : redaction 20 octobre 2013 dans Culture Laisser un commentaire […]

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