Christophe Guilluy s’est fait connaître en 2013 avec la publication d’un livre intitulé Fractures françaises dans lequel il livrait les conclusions de ses recherches géo-démographiques, lesquelles recoupent les découvertes de Michèle Tribalat concernant le processus de séparation des populations qui est en cours en France depuis vingt ans. Le géographe vient de publier un nouvel ouvrage, destiné à faire date, intitulé « La France périphérique » dans lequel il précise sa pensée.
Une France façon « peau de léopard »
Depuis plus de deux décennies, les couches sociales autochtones les moins favorisées quittent les métropoles pour deux raisons : la hausse continue du prix des loyers et des logements du fait de la colonisation des centres villes par les populations aisées qui profitent de la mondialisation d’une part et l’installation massive dans les banlieues de ces métropoles de populations immigrées avec lesquelles elles ne souhaitent pas cohabiter d’autre part. Les bobos voient dans ce processus de séparation la marque de la xénophobie maladive du peuple français. Christophe Guilluy écrit à ce sujet : « Processus universel, la peur de l’immigration concerne tous les individus, quelle que soit leur culture ou leur origine » et il rappelle que dans tous les pays, sans exception, subissant une immigration significative,Comment les populations natives considèrent qu’il y a trop d’immigrés. Ce réflexe n’est pas plus une spécificité française qu’européenne, russe ou argentine : il est universel.
Le résultat de cette séparation démographique en cours est l’apparition d’une France constituée de trois types de territoires : les centres des métropoles qui sont habités par les privilégiés bourgeois – les « bobos »-, les banlieues de ces métropoles dans lesquelles vivent les populations immigrées qui ont remplacé les populations ouvrières et employées autochtones lesquelles sont désormais installées dans la périphérie lointaine des zones métropolitaines au contact ou au sein même des zones rurales.
Ces couches exilées des métropoles ont progressivement reconstitué dans les villages de la périphérie une sociabilité spécifique. La séparation n’est pas que géographique ; elle est aussi culturelle et désormais politique. Pour l’auteur, «la volonté d’éviter les quartiers et plus largement les territoires des grandes villes où se concentre l’immigration participe à la sédentarisation des populations dans des territoires économiquement peu dynamiques. Si les logiques économiques et foncières ont contribué à l’éloignement des ménages modestes dans l’espace, les stratégies d’évitement favorisent désormais un processus d’enracinement qu’aucune politique publique ne pourra endiguer ».
Ré-enracinement, relocalisation, rejet de l’hyper-mobilité chère à Jacques Attali, caractérisent cette France périphérique qui refuse de plus en plus clairement le mode de vie « hors sol » » que veut lui imposer une bourgeoisie « qui se vante de consumer sa vie entre deux aéroports avec pour seule patrie un ordinateur portable » (Jean-Claude Michéa).
Conséquences politiques de la séparation des populations
La France périphérique dont les « experts » pensaient qu’elle était silencieuse, pour ne pas dire qu’elle était muette et décérébrée, est le lieu d’une contestation radicale de la classe politique et des politiques menées depuis quarante ans. Ces « experts » pensaient que la contestation viendrait des « quartiers », ces banlieues des métropoles qui sont des lieux de transit des populations immigrées, lesquelles profitent des miettes du festin mondialiste.Une fois de plus ils ont eu tort comme ils ont eu tort d’enterrer le Front national à de multiples reprises. Les « périphérique », après avoir voté avec leurs pieds en se séparant géographiquement de la bourgeoisie métropolitaine et des populations immigrées, sont désormais entrés en résistance idéologique et politique au système mondialiste. Ils ont compris qu’ils étaient les perdants, les oubliés, les laissés pour compte de la mondialisation qui en Europe a un nom : l’Union Européenne. « Politiquement, ces territoires sont ceux de la contestation. Dans un contexte de forte abstention, on observe une dynamique du vote FN. Ce constat confirme que si le contexte socio-économique pèse fortement, la question identitaire est aujourd’hui centrale pour les habitants qui se perçoivent comme les perdants de la société multiculturelle ».
Selon Eric Zemmour (Itélé, 3 octobre 2014), des sondages non publiés indiqueraient que Marine Le Pen obtiendrait, à ce jour, 30% des voix au premier tour d’une élection présidentielle. Si c’est le cas, l’UMP va être contrainte d’adopter une stratégie de centre gauche pour attirer les électeurs déçus par le parti socialiste (dans un tel scénario, Marine Le Pen serait présente inévitablement au second tour). Compte tenu de cela, Alain Juppé serait sans doute le meilleur candidat face à Marine Le Pen parce qu’il pourrait, plus facilement que Sarkozy, recueillir le vote des électeurs de gauche au second tour. S’inscrivant déjà dans cette perspective, le maire de Bordeaux a déclaré la semaine dernière qu’il était opposé à toute limitation de l’immigration. La prochaine élection présidentielle, polarisée par la présidente du FN, contraindra la droite à tenir un discours plus libertaire – en conformité d’ailleurs avec sa vraie nature – destiné à séduire les franges les plus libérales de l’électorat socialiste.
On peut donc faire le pari que les ténors de l’UMP vont désormais tenir un discours dans lequel toute référence à notre histoire, à nos racines et à nos traditions disparaîtra totalement. l’UMP, qui est déjà presque entièrement gagnée à l’idéologie libérale-libertaire, et qui est de moins en moins concernée – comme sa clientèle bourgeoise – par la question de l’immigration va afficher de plus clairement son vrai visage, ce qui ne va pas manquer de troubler les contingents d’électeurs « périphériques » qui votent encore pour ses candidats. On se rapproche sans doute du moment, évoqué par Christophe Guilluy, où l’UMP et le PS vont se rapprocher au point de devenir indistincts.
Le géographe envisage même la possibilité de la formation d’un nouveau duopole opposant les libéraux de droite et de gauche aux patriotes qui refusent la mondialisation, l’européisme bruxellois, le capitalisme financiarisé, l’immigration et la disparition des frontières : « Libéralisme économique et sociétal (à l’exception de la frange catholique de la bourgeoisie traditionnelle), ouverture au monde, sont ainsi partagés par l’essentiel de ces catégories supérieures. Tenantes du pouvoir économique et culturel, elles sont aujourd’hui les derniers soutiens des grands partis et surtout du modèle économique dominant. Rempart auto-désigné au « populisme », elles interdisent de fait la visibilité des aspirations des catégories populaires. Compte tenu des évolutions politiques, il n’est pas improbable que ce continuum socioculturel contribue demain à un rapprochement entre la droite modérée et le parti socialiste. Ce grand bloc politique libéral pourrait d’ailleurs s’appuyer sur la nouvelle organisation territoriale qui renforcera le pouvoir des métropoles ».
La sortie des Français « périphériques » – les fameux « sans-dents » – de leur mutisme abstentionniste change totalement la donne politique ; les dernières élections ont toutes été marquées par une croissance importante de l’électorat frontiste, précisément dans les zones ‘’périphériques’’. Ainsi les campagnes bretonnes, jusqu’à présent très réservées à l’égard du Front National, se mettent à voter fortement pour ses candidats. Pour l’auteur, « cette France périphérique, potentiellement majoritaire, participe à l’introduction de la question identitaire dans le débat public. Elle porte la dynamique FN en contribuant à l’explosion de l’UMP. En réalité, loin des débats gauche/droite, la France périphérique portera la question de l’alternative économique au modèle de l’économie mondialisée, la relocalisation, l’introduction du protectionnisme mais aussi celle de la circulation des hommes et donc de l’immigration ».
Christophe Guilluy a raison de dire que ce sont souvent les électeurs qui imposent la ligne politique des partis pour lesquels ils votent. C’est manifestement le cas du Front National qui, de parti libéral pro-américain, est devenu hostile au libéralisme et aux Etats-Unis. Marine Le Pen a fait preuve de beaucoup d’intuition et, à la différence des caciques de son parti, elle a compris les mutations en cours dans les profondeurs de la France et ce qu’attendaient les Français de la périphérie. Le potentiel électoral majoritaire de la France périphérique lui impose désormais de maintenir le cap de la défense des valeurs et des intérêts des « petites gens » d’origine autochtone (et immigrée ancienne).
Ce cap est inconciliable avec celui de l’UMP qui est, a contrario, celui de la défense des intérêts de la bourgeoisie mondialisée et/ou bénéficiaire de la mondialisation. Les spéculations concernant la nécessité ou l’inévitabilité d’un rapprochement entre UMP et FN sont désormais privées de toute pertinence.
Bruno Guillard
Christophe Guilluy. La France périphérique, Editions Flammarion, 185 p. 18 €
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