Guyane. « La population compare ce mouvement aux Bonnets rouges » [Interview]

29/03/2017 – 05h30 Cayenne (Breizh-Info.com) – La grève générale a été déclenchée en Guyane depuis lundi 27 mars 2017. Cela fait suite à de nombreuses semaines de mouvements de protestation divers, aux revendications principalement économiques, sociales, sécuritaires, mais aussi éducatives et sanitaires. Bernard Cazeneuve, le Premier ministre, a annoncé lundi l’envoi d’une délégation interministérielle avec un préalable : que des garanties soient données pour obtenir le « respect de l’ordre républicain ».

Pas de quoi convaincre les acteurs de la contestation – qui n’entendent pas se laisser intimider par le Gouvernement et qui veulent que leurs revendications soient entendues, et appliquées. Une grande marche a eu lieu, ce mardi 28 mars 2017, dans les deux plus grandes villes de Guyane.

Une coordination des collectifs a rendu publique, lundi, une synthèse des revendications encore provisoire :

  • Création d’une cité judiciaire ; mise en place d’un préfet de police ; éradication des squats.
  • Construction de cinq lycées, dix collèges et cinq cents classes de primaire – pour faire face à la croissance démographique.
  • Recrutement de quatre cents intervenants en langues maternelles, des assistants des enseignants du primaire qui permettent de commencer la scolarisation des enfants dans leur langue maternelle, puis de passer au français
  • En matière de santé, ils demandent la transformation du centre médico-chirurgical privé de Kourou en hôpital public, et un soutien exceptionnel pour l’hôpital de Cayenne.
  • Les collectifs proposent aussi une zone franche sociale et fiscale sur dix ans, la construction d’une route pour désenclaver l’intérieur et un réseau téléphonique sur tout le territoire.
  • D’autres revendications concernent l’énergie, l’accès au foncier et la reconnaissance des droits des peuples autochtones.

Pour faire le point sur la situation, pas toujours très bien comprise ou analysée par la presse métropolitaine, nous avons contacté Mathilde Romagnan, journaliste pour Radio Péyi, première radio privée généralisation d’information de Guyane, en pointe dans la couverture de la contestation populaire.

Breizh-info.com : Que se passe-t-il en Guyane concrètement ?

Mathilde Romagnan : Depuis jeudi 23 mars, il y a un blocage de plusieurs points stratégiques dans plusieurs villes de Guyane ( 4 ronds points bloqués sur Cayenne et son agglomération avec des barrages filtrants qui laissent passer les véhicules prioritaires). Sur les autres communes, ce sont les ronds points d’entrée de ville qui sont bloqués.

Breizh-info.com : Il y a donc une paralysie générale ?

Mathilde Romagnan : Oui, mais cela a commencé le jeudi d’avant, au moment de la venue de Ségolène Royal. Au début, ce n’était que les syndicats socio-professionnels (Medef, transporteurs…) qui avaient décidé de bloquer des endroits stratégiques durant sa visite pour l’interpeller. Le mouvement a pris de l’ampleur.

Lundi dernier (le 21) on est allé plus loin avec le blocage du port maritime, puis le blocage des routes dans la foulée (fermeture des écoles ordonnée par le recteur). La grève générale est appliquée depuis lundi, et ce mardi 28 mars, une grande marche est organisée à Cayenne (et une autre à Saint-Laurent du Maroni, à la frontière avec le Surinam. C’est un événement ici , il y a du monde, c’est rare de voir une mobilisation de cette ampleur (plusieurs milliers de personnes) en Guyane. Pour ici, c’est énorme.

Breizh-info.com : Quelles sont les revendications principales ?

Mathilde Romagnan : C’est une agglomération de plusieurs revendications ; ce sont plusieurs collectifs sur des domaines précis qui se sont associés pour généraliser le blocage. Cela avait commencé avec des revendications économiques , et aussi des revendications sur l’insécurité émanant du collectif des 500 frères contre la délinquance. Certains blocages ont commencé pour interpeller Ségolène Royal.

Mais il y a également l’éducation et la santé en matière de revendication.

Pour l’économie, les entreprises demandent un plan Marshall pour la Guyane (taxes spécifiques pour les entreprises, aides pour les créations d’entreprise car il y a 22% de chômage).  Des mesures qui permettraient aux entreprises de se développer, de créer de l’emploi, sur un territoire où c’est difficile. Les entreprises réclament aussi la relance de la commande publique (marché du bâtiment), d’attribuer plus de marchés aux entreprises guyannaises d’abord.

Pour l’insécurité, les demandes sont : plus de moyens pour les forces de l’ordre mais aussi une meilleure gestion de l’immigration.

Breizh-info.com : Par rapport à l’immigration du Surinam et du Brésil ?

Mathilde Romagnan : Les médias nationaux ne retiennent que cette immigration en provenance des pays voisins. Mais 75% des demandes d’asile ainsi que la principale immigration proviennent d’Haïti et de République dominicaine. Les Brésiliens et les Surinamais, ce sont les premières vagues migratoires qui datent d’une vingtaine d’années. La problématique depuis ces deux dernières années, c’est l’afflux de ces demandeurs d’asile.

En septembre 2016, le bureau de la Préfecture chargé de recueillir les demandes d’asile a dû fermer car il y avait trop de demandes. Ces immigrés viennent par le Surinam pour la plupart.

Par ailleurs, dans le seul centre pénitentiaire de Guyane, ce dernier est composé à plus de 50% de détenus de nationalité étrangère. Une des revendications principales du collectif des 500 frères est qu’ils purgent leur peine dans leur pays. Ce sont des criminels liés au trafic de drogue, à l’orpaillage illégal …

Breizh-info.com : Pouvez vous nous en dire plus sur ce mouvement des 500 frères ? Est-il suivi, reconnu ?

Mathilde Romagnan : Il n’est pas perçu de la même manière qu’en Europe…

Breizh-info.com : Oui. Si il avait été le même type de mouvement en Bretagne, la presse l’aurait sans doute qualifié de milice d’extrême droite…

Mathilde Romagnan : Ici, en Guyane, la population compare ce mouvement aux Bonnets rouges. Ils mènent des actions chocs, pour qu’on parle d’eux. Ils sont perçus positivement par les Guyanais car ce sont des gens qui agissent. L’un des portes-parole est un ancien policier.

L’idée de départ, c’était de dire qu’ils étaient les frères des victimes dans les quartiers. Et pour faire prendre conscience que l’insécurité et la violence peuvent toucher tout le monde, y compris votre famille.

Breizh-info.com : Quelle relation ont-t-ils avec les autres mouvements de contestation ? Sont-ils craints ?

Mathilde Romagnan : Non, ils ne sont pas craints. Ils se baladent cagoulés, mais ici, la plupart des gens savent qui ils sont. Ici ils sont considérés comme des personnes qui essaient de faire bouger les choses. Ils sont des interlocuteurs comme les autres.

Au sein des collectifs, entre eux, je ne sais pas comment ils fonctionnent , il y en a une trentaine, plus une trentaine de syndicats.

Au départ, ils avaient été assimilés à une milice, mais ils insistent beaucoup pour dire qu’ils sont pacifistes. Ils sont dans la démonstration de force, pas dans la violence.

Breizh-info.com : Y a t-il un aspect autonomiste, régionaliste dans cette contestation ?

Mathilde Romagnan : Non. Pas officiellement en tout cas. On voit assez peu les autonomistes sur ce mouvement. Ce n’est pas la revendication première. Cela a presque été plus abordé par les médias nationaux que par la population locale.

Breizh-info.com : Quel regard portez vous sur le traitement médiatique qui est fait en métropole ?

Mathilde Romagnan : Il est très métropolitain (rires). Ils ont commencé à s’affoler lorsqu’on a parlé de grève générale. Sauf que le mouvement durait déja depuis 9 jours. Et le blocage avait commencé jeudi, et c’est là que tout a vraiment commencé.

Breizh-info.com : Quelles sont les conséquences économiques immédiates ? Des pénuries ?

Mathilde Romagnan :  Le port est bloqué, donc il n y a pas de bateau qui arrivent. Les magasins, lorsqu’ils sont ouverts, sont bondés. Ce n’est pas la panique, mais il faut faire ses courses tôt. Je pense que les gérants de magasin rationnent pour ne pas tout perdre d’un coup. Il est toutefois difficile d’avoir un bilan global car pas d’interlocuteur unique pour les supermarchés.

Breizh-info.com : Et pour l’essence ?

Mathilde Romagnan :  Il y a une raffinerie sur place. Dimanche, les collectifs ont accepté d’ouvrir les barrages pour laisser passer les camions de ravitaillement des stations. Mais du coup, elles ouvrent à certaines heures, et ne veulent pas être prises d’assaut.

Breizh-info.com : Quelles sont les réponses gouvernementales face à ces revendications ? Comment pourrait-t-il céder, notamment sur la revendication de vider les prisons des délinquants étrangers, sachant qu’il serait dans ce cas obligé de le faire partout en France – ce qui est la revendication, notamment du Front national ?

Mathilde Romagnan : Cette question n’a pas été soulevée pour ce qui est de vider les prisons. Ils étaient plutôt partis sur des accords bilatéraux avec les pays voisins. Pour l’instant, samedi, il y a eu une délégation interministérielle – pas composée de ministre comme son nom ne l’indique pas –  composée de hauts fonctionnaires (ancien Préfet de Guyane).
Pour l’instant, les seules mesures qui ont été prises concernent la sécurité et la santé.

Sur la Santé, l’un des gros points noirs, est le problème du CMCK (Centre médico-chirurgical de Kourou), géré par la Croix Rouge, mais qu’elle envisage de céder à un groupe privé. Cela a fait hurler ici car il est possible que les services ferment et que des emplois soient supprimés. Le problème de Kourou, c’est que vous êtes à 1h de Cayenne et 2H de Saint-Laurent où il y a des centres hospitaliers. Pour la population locale, cela leur parait inconcevable de ne plus avoir de centre pour pouvoir être soigné sur place.
L’hôpital de Cayenne est par ailleurs en déficit monstre, en cessation de paiement. La ministre de la Santé, venue l’année dernière, avait déjà renfloué une partie des caisses, mais pas assez. Un rapport ministériel sur l’état de l’hôpital concluait qu’en gros il fallait en reconstruire un autre tellement il était insalubre, pas sécurisé , endetté…
Dans les mesures annoncées, il y a notamment un renflouement de plusieurs dizaines de millions d’euros de l’hôpital de Cayenne (bien plus que l’annonce faite l’année dernière). C’est la seule mesure concrète annoncée jusqu’à présent.

Pour les mesures par rapport à la sécurité, ce sont des choses qui ont déjà été annoncées avant, donc qui ne sont pas nouvelles. Construction d’un nouveau commissariat à Cayenne, trouver un terrain pour construire une deuxième prison, mise en place d’un scanner corporel à l’aéroport pour détecter les mules qui avalent des ovules de drogue…
Pas des mesures chocs, et rien de nouveau pour la sécurité.
Les membres de la mission doivent travailler sur les dossiers encore, mais n’ont pas évoqué les mesures à prendre sur l’éducation et l’économie.

Breizh-info.com : Donc cette grève s’annonce encore longue ?

Mathilde Romagnan : Tout à fait. D’autant plus que les collectifs ont annoncé qu’ils ne voulaient parler qu’avec des ministres, pas avec la délégation.

Breizh-info.com : En terme d’insécurité, est-ce que le portrait qui est fait de la Guyane en Métropole est réel ?

Mathilde Romagnan : C’est le département où il y a le plus d’homicide en France 23 pour 10 0000 (42 homicides l’an passé). La Guadeloupe, deuxième département dans cette catégorie, en a 14 pour 10 0000 habitants . La Guyane est championne des atteintes aux personnes (vol à l’arrachée, à main armée, cambriolages …). Quand vous vous faites braquer, vous ne regardez plus les choses de la même manière ensuite…

Propos recueillis par téléphone par Yann Vallerie

Crédit Photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2017 Dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine

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Une réponse à “Guyane. « La population compare ce mouvement aux Bonnets rouges » [Interview]”

  1. Alain dit :

    La comparaison avec les « Bonnets Rouges » est plutôt sympathique que réelle à mon avis.

    En Guyane, les syndicats semblent participer aux mouvements de manière indépendante des centrales parisiennes, alors qu’en Bretagne les syndicats sont rentrés à la maison dès que Paris n’était plus d’accord. Sans compter que les Bonnets Rouges étaient principalement de « gauche » (la droite étant devenu un gros mot en Bretagne) et si des gens cagoulés comme dans l’exemple Guyanais ou Corse étaient apparus, les Bretons auraient condamnés la chose encore plus fortement que Paris en usant de slogans de « Bretons fascistes » comme on l’entend depuis 70 ans et cela peu importe si les personnes étaient violentes extrémistes ou pas. Il y a de quoi faire réfléchir…

    On note des revendications similaires avec la Bretagne, sur la langue, l’enseignement, avec en plus la sécurité. Normal nous vivons dans le même système d’État-nation anti-démocratique que semble apprécier les Bretons tant ils sont fascinés soit par les Socialistes français où par le Front National français.

    Donc finalement, ce qui se passe en Guyane est plus a rapprocher de ce qui se passe en Corse…! (pour rester dans le contexte prétendument « Français »).

    Et de constater que l’image de la Bretagne ne correspond plus à la réalité vécue!

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