Alain de Benoist : « 9 novembre 1989 : chute du Mur de Berlin. 9 novembre 2016 : élection de Donald Trump.» [interview]

10/11/2016 – 08H15 New York (Breizh-info.com) Alain de Benoist, écrivain majeur de La Nouvelle Droite, a accepté de réagir longuement, en exclusivité pour Breizh-info.com, à l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis.

Breizh-info.com : Quel est votre sentiment après l’annonce de l’élection de Donald Trump ?

Alain de Benoist : 9 novembre 1989 : chute du Mur de Berlin. 9 novembre 2016 : élection de Donald Trump. Dans les deux cas, la fin d’un monde. Notre dernier Prix Nobel de littérature, Bob Dylan, s’était finalement révélé bon prophète : The times they are a-changin’ ! C’est en tout cas bien à un événement historique que nous venons d’assister. Depuis des décennies, l’élection présidentielle américaine se présentait comme un duel à fleurets mouchetés entre deux candidats de l’Establishment. Cette année, pour la première fois, c’est un candidat anti-Establishment qui se présentait – et c’est lui qui l’a emporté. « Malgré ses outrances », disait un journaliste. Plutôt à cause d’elles, aurait-il fallu dire, tant l’électorat de Trump n’en pouvait plus du politiquement correct !

En fait, dans cette élection, ce n’est pas le personnage de Trump qui est important. C’est le phénomène Trump. Un phénomène qui, tout comme le Brexit il y a cinq mois, mais avec une force encore supérieure, illustre de façon spectaculaire l’irrésistible poussée du populisme dans le monde. Natacha Polony l’a très bien dit : ce phénomène « n’est que la traduction d’un mouvement de fond qui ébranle toutes les sociétés occidentales : la révolte des petites classes moyennes déstabilisées dans leur identité par la lame de fond d’une mondialisation qui avait déjà emporté les classes ouvrières ». Le fait dominant, à l’heure actuelle, tient en effet dans la défiance grandissante que manifestent les peuples à l’endroit des élites politiques, économiques, financières et médiatiques. Ceux qui ont voté pour Trump ont d’abord voté contre un système dont Hillary Clinton, symbole passablement décati de la corruption institutionnalisée, donnait une représentation exemplaire. Ils ont voté contre le « marigot de Washington », contre le politiquement correct, contre George Soros et Goldman Sachs, contre la morgue des politiciens de carrière qui cherchent à confisquer la démocratie à leur seul profit, contre le show business que les Clinton ont appelé à leur rescousse. C’est cette vague de colère qui s’est révélée irrésistible.

Breizh-info.com : Au-delà de cette victoire, l’écart de voix est considérable. Comment l’expliquez-vous ? S’agit-il du dernier sursaut des Blancs et des Indiens d’Amérique, menacés démographiquement par les Noirs et les Latinos ?

Alain de Benoist : Aux États-Unis, le vote populaire est une chose, celui des grands électeurs (le « collège électoral ») en est une autre. Le plus extraordinaire, et le plus inattendu, est que Trump l’ait aussi emporté auprès des grands électeurs. Bien entendu, on peut estimer qu’il a surtout fait le plein de la classe ouvrière blanche, dont un certain nombre de suffrages s’était précédemment portés sur Bernie Sanders (en ce sens, le vote en sa faveur est aussi un vote de classe).

Mais, si intéressante soit-elle, une analyse du vote en termes ethniques serait assez réductrice. Les analyses qui ne manqueront pas de paraître ces prochaines semaines montreront que Trump a aussi obtenu des voix chez les Latinos (les « Trumpistas »), et même chez les Noirs. Le vrai clivage est ailleurs. Il est entre ceux qui considèrent l’Amérique comme un pays peuplé par des gens qui se définissent d’abord comme des Américains, et ceux qui n’y voient qu’un champ politique segmenté en catégories et en groupes de pression tous désireux de prévaloir leurs intérêts particuliers au détriment les uns des autres. Hillary Clinton s’adressait aux seconds, Trump aux premiers.

Breizh-info.com : La ligne politique de Donald Trump pourrait grossièrement être décrite comme plutôt libérale à l’intérieur des frontières et plutôt protectionniste à l’extérieur. Cela vous semble-t-il intéressant ? N’est-ce pas ce libéralisme « intérieur » qui manque au Front national pour percer en France ?

Alain de Benoist : La situation des deux pays n’est pas comparable, et la forme que peut (ou doit) y prendre le populisme ne l’est pas non plus. Aux Etats-Unis, le ressentiment anti-Establishment est inséparable de l’idée propre aux Américains que le meilleur gouvernement est toujours celui qui gouverne le moins. Cette aspiration libérale au « toujours moins d’Etat » fait partie de l’ADN étatsunien, pas de celui des Français qui, dans la crise actuelle, demandent au contraire plus de protection que jamais. Contrairement à ce que vous dites, le Front national, à mon avis, aurait donc tout intérêt à durcir plus encore sa critique du libéralisme.

Quant à soutenir le libéralisme « à l’intérieur » et le « protectionnisme » à l’extérieur, cela me paraît relever de la contorsion. Il n’y a pas d’un côté un libéralisme qui dit une chose, et de l’autre un libéralisme qui dit le contraire. Du fait même de ses postulats fondateurs, le libéralisme implique à la fois le libre-échangisme et la libre circulation des personnes et des capitaux. On peut certes déroger à cette règle, mais alors on sort du jeu libéral. Il est bien clair qu’avec Donald Trump, les Etats-Unis ne vont pas cesser d’être l’un des rouages moteurs du système capitaliste dans ce qu’il a de plus brutalement prédateur. Bien qu’il ne soit pas une figure de Wall Street, Trump correspond d’ailleurs assez bien lui-même à l’image d’un capitalisme débridé.

Breizh-info.com : Le FN se félicite de la victoire de Trump. La droite français semble effondrée. Qui va en tirer les fruits ici ?

Alain de Benoist :  Pas grand monde probablement. Marine Le Pen a été la première (avec Poutine) à féliciter Trump, et c’est bien naturel. Ce qui est plutôt comique, c’est de voir tous les hommes politiques, de droite et de gauche, qui s’étaient bruyamment réjouis par avance d’une victoire de Clinton qui leur paraissait si «évidente», devoir demain faire bonne figure à Donald Trump, l’accueillir parmi eux dans les sommets internationaux, le recevoir sans doute un jour à l’Elysée, après avoir déversé sur lui des tombereaux d’injures et de mépris.

La classe dirigeante est à l’image des maîtres du cirque médiatique. L’élection de Trump est aussi «incompréhensible» pour eux qu’a pu l’être le Brexit en juin dernier, le « non » des Français au référendum de 2005, la montée du FN, etc. Elle leur est incompréhensible parce que pour la comprendre il leur faudrait se remettre en cause de façon suicidaire. C’est pourquoi ils ne trouvent rien d’autre à faire qu’à réciter leurs mantras sur les « discours de haine », la « démagogie » et l’« inculture » où se complairait le peuple. Leurs instruments conceptuels sont obsolètes. Ils ne veulent pas voir le réel, à savoir que les peuples n’en peuvent plus d’une démocratie représentative qui ne représente plus rien et d’une expertocratie qui ignore systématiquement les problèmes auxquels ils se heurtent dans leur vie quotidienne. Lénine disait que les révolutions se produisent quand à la base on ne veut plus et qu’à la tête on ne peut plus. Mais les élites en place sont incapables de s’en rendre compte, alors même que le sol se dérobe sous les pieds. Ecoutez-les tenter d’« expliquer » ce qui vient de se passer. Voyez leurs visages décomposés, tétanisés. Après avoir donné Clinton gagnante jusqu’à la dernière minute, ils ne veulent à aucun prix identifier les causes de leurs erreurs. Ils ne comprennent rien à rien. Ces gens-là sont incorrigibles.

Breizh-info.com : Marine Le Pen ne prend elle pas une leçon, elle qui parle de « France apaisée » avec un discours très modéré là où Trump a joué la carte agressive et déterminée ?

Alain de Benoist : C’est une erreur de croire que ce qui a bien fonctionné dans le contexte particulier d’un pays fonctionnera automatiquement dans un autre. Trump, le « clown milliardaire », a tenu durant sa campagne des propos d’une violence sidérante qui seraient impensables en France. La détermination, au surplus, n’implique pas forcément l’agressivité. Le slogan de « La France apaisée » se justifiait très bien il y a quelques mois. Il ne vous aura pas échappé qu’à l’approche des échéances électorales, la direction du FN l’a abandonné.

Breizh-info.com :  La candidature de Donald Trump a notamment été portée par l’Alt-Right et une armée de jeunes militants virtuels qui ont utilisé à plein les montages vidéos, photographiques ou les dessins humoristiques pour soutenir Donald Trump avec humour. Est-ce la fin du militantisme traditionnel ? Est-ce le début d’un nouvel âge, celui de l’activisme numérique et de l’utilisation de l’humour ?

Alain de Benoist : Il est évident qu’Internet et les réseaux sociaux jouent désormais un rôle décisif dans la vie politique, mais les partisans de Trump ne sont pas les seuls à en avoir usé. Les soutiens de Hillary Clinton n’ont pas été en reste. Mais si l’on parle d’« activisme numérique », c’est surtout aux révélations de Wikileaks qu’il faut songer. Elles ont eu, comme vous le savez, un rôle décisif dans la campagne électorale américaine. A côté de Donald Trump, le grand vainqueur du scrutin s’appelle Julian Assange.

Breizh-info.com : A quelles conséquences vous attendez-vous en Europe ? Dans le monde ?

Alain de Benoist : Il y a tout lieu de penser que les conséquences vont être aussi nombreuses que considérables, mais il est trop tôt pour spéculer là-dessus. Autant Hillary Clinton était prévisible (avec elle, c’était la guerre avec la Russie presque assurée), autant les intentions de Donald Trump restent relativement opaques. Déduire les grandes lignes de ce que sera sa politique à la Maison Blanche de ses plus tonitruantes déclarations de campagne serait pour le moins audacieux, sinon naïf. Trump n’est pas un idéologue, mais un pragmatique. Il ne faut pas non plus oublier (le parallèle entre la France et les États-Unis est là aussi trompeur) que le président des États-Unis, coincé qu’il est entre le Congrès et la Cour suprême, est loin d’avoir tous les pouvoirs qu’on lui prête de ce côté-ci de l’Atlantique. D’autant que le complexe militaro-industriel est toujours en place.

Je pense par ailleurs que les «trumpistes» européens n’auront pas forcément que des bonnes surprises. Que Donald Trump se préoccupe en priorité des intérêts de son pays est tout à fait normal, mais il ne s’ensuit pas que cela favorise ou rejoigne les nôtres. « America first », cela veut dire aussi : l’Europe loin derrière ! Après des décennies d’interventionnisme tous azimuts et d’impérialisme néocon, le retour à un certain isolationnisme serait une bonne chose, mais qui peut aussi avoir son revers. N’oublions pas qu’aucun gouvernement américain, interventionniste ou isolationniste, n’a jamais été pro-européen !

Propos recueillis par Yann Vallerie

Photo : DR
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13 réponses à “Alain de Benoist : « 9 novembre 1989 : chute du Mur de Berlin. 9 novembre 2016 : élection de Donald Trump.» [interview]”

  1. […] Entretien d’Alain de Benoist sur Breizh-info.com […]

  2. Cadoudal dit :

    Sauf que le mur de Berlin a été démoli pour pouvoir faire survivre le système d’une autre façon; le communisme ne s’est nullement effondré la preuve par la Chine et la Corée du Nord il a changé de méthode……parité, gender, mariage gay, non discrimination…….tout cela en est issu.

    • Pierre Bérard dit :

      Non la parité, le mariage gay, la non discrimination etc ne sont pas les descendants idéologique du marxisme, mais ils sont bien ceux du libéralisme et de son extension indéfinie des droits de l’homme dont Karl Marx a fait une critique pratiquement définitive dans « La question juive ».

    • Abrux dit :

      Quand on parle du mur de Berlin qui tombe, j’ai l’impression que vos propos s’appliquent à l’ouest du mur, pas à l’est.

      Russie, Chine se sont transformés en des pouvoir authoritaires, conservateurs. Tout les ex pays communistes suivent cette voie y compris Pologne, Hongrie … Même si ukrainiens et russes sont en guerres, ils pensent la même chose, allez en Ukraine et vous verrez des églises détruites par le communisme et en reconstruction. Les panneaux d’information sont bien explicites.

      Allez en Chine ou Russie et essayez vendre dans la rue : le mariages pour tous, vivre ensemble, etc … Idem au Vietnam.
      Le mouvement est mondial, la Turquie avec Erdogan fait la même chose que la Russie. L’élection de Trump suit ce mouvement.

      Les prélèvements en Russie sont inférieurs à 15% contre 55% en France. Dans les années 70, on disait qu’un pays au dela de 40% basculait dans le socialisme. Qui propose de descendre en dessous de 40% ?

      Les USA sont globalement à 35% et sans surprise ceux qui ont voté Clinton comme California, Illinois … sont au dessus.

  3. […] Dans une tribune à Breizh-Info le philosophe et essayiste Alain de Benoist voit plus qu’une coïncidence entre les deux 9 novembre, celui du 9 novembre 1989 : chute du Mur de Berlin et le 9 novembre 2016 : élection de Donald Trump. « Dans les deux cas, la fin d’un monde ». Au-delà de l’individu Trump que personne n’est obligé d’apprécier, « ce n’est pas le personnage de Trump qui est important. C’est le phénomène Trump ». Les électeurs « ont d’abord voté contre un système dont Hillary Clinton, symbole passablement décati de la corruption institutionnalisée, donnait une représentation exemplaire. Ils ont voté contre le « marigot de Washington », contre le politiquement correct, contre George Soros et Goldman Sachs ». Le commentateur incite pour autant les européens à ne pas se faire trop d’illusions car « aucun gouvernement américain, interventionniste ou isolationniste, n’a jamais été pro-européen ! ». […]

  4. Pschitt dit :

    Rejeter une analyse du vote en termes ethniques ne serait pas moins réducteur que de l’admettre sans réserve. Les sondages ont montré que la catégorie la plus disposée à voter pour Hillary Clinton était celle des Noirs. Ceux-ci devançaient même la catégorie des membres et sympathisants du Parti démocrate ! Il est probable donc qu’il y a bien une dimension ethnique du vote, en tout cas côté Clinton.
    Par ailleurs, même si le vote Trump n’avait pas de caractère ethnique le 8 novembre, il pourrait en prendre un à l’avenir : à force de s’entendre traiter de racistes, les électeurs de Trump pourraient se laisser convaincre qu’ils le sont. Corrélativement, ceux qui manifestent dans la rue contre l’élection de Trump sur le thème « Not My America » auraient tort de trop insister : ils se poussent eux-mêmes en marge.

  5. Attention dit :

    Il y avais plus de votant pour hillary, mais a cause des élections particulière au Etats-Unis c’est Trump qui gagner!, je pense donc qu’ils ont une raison de manifester! Tout ça pour dire qu’il faudra faire très attention à la famille LePen!

    • Abrux dit :

      La démocratie c’est d’abord la défense de minorités. Dixit des lectures intellectuelles (ex Tocqueville) que vous pourriez lire. Le scrutin US est bati la dessus. Il évite que les villes surpeuplés dictent leurs lois aux ruraux.

      Ex :
      Ainsi un état US peut décider qu’une langue « native » est officielle dans un état. Avec un scrutin à la Française, c’est 65 millions qui décident pour 3 millions de bretons. Aux USA, à Washington il n’y pas de langue officielle.

      « Le socialisme c’est les villes » – François Mitterrand – une pensée arithmétique et opportuniste pour français moyen. On y construit des logements sociaux et on gagne les élections pour toujours ? Attention Miss Thatcher : until there is money !

  6. […] media elites do not see it, since they are the exact target of brewing popular anger. To borrow the words of Alain de Benoist, demanding they accept themselves as the root cause of resurgent populism is same as putting in […]

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