09/05/2016 – 06H10 France (Breizh-info.com) – Les éditions du Rocher ont sorti fin avril un livre particulièrement intéressant dans le contexte actuel de l’expansion de l’islamisme et du terrorisme international : il s’agit d’un livre de Jacques Baud intitulé Terrorisme, mensonges politiques et stratégies fatales de l’Occident.
Jacques Baud est un analyste stratégique suisse, spécialiste du renseignement et du terrorisme et colonel d’état-major dans l’armée suisse (mais également officier des services de renseignements suisses).
Un livre qui montre notamment le rôle obscur joué par les États-Unis dans les conflits mondiaux : « Force est de constater que pratiquement chaque conflit où les Etats-Unis ont été impliqués a débuté soit par une opération clandestine (souvent de nature criminelle), soit par une manipulation visant à faire passer les Etats-Unis pour les victimes d’une agression, permettant ainsi de forcer la main du Congrès.» écrit Jacques Baud. Un livre qui dénonce les actions de nos gouvernants qui nous mettent en danger et nous exposent à la violence islamiste, là où nos dirigeants devraient nous protéger.
Il s’agit d’un livre sans concession, écrit par un expert qui est particulièrement bien placé pour parler d’un contexte international qui ressemble à une poudrière.
A lire de toute urgence.
Nous avons interrogé Jacques Baud ci-dessous, pour faire le point avec lui.
Breizh-info.com : Comment définiriez vous le terrorisme aujourd’hui ? Et le terrorisme islamiste ? Nos Etats occidentaux font-ils vraiment tout pour l’enrayer ?
Jacques Baud : Ce que nous appelons terrorisme est en fait un ensemble pluriel et multiforme, dont les objectifs, les logiques de fonctionnement sont très différentes d’un contexte à l’autre. En ce qui concerne le terrorisme qui nous préoccupe en Europe, il est très clairement une réponse à nos interventions au Moyen- et Proche-Orient, qui – rappelons-le – ont toutes été illégitimes et initiées par une désinformation occidentale. Le problème est que nos gouvernements sont dans une posture de déni par rapport à cette lecture des choses.
Pourtant, il suffit d’écouter et de lire les revendications des terroristes de Paris et d’ailleurs, pour constater qu’ils ne visent pas des changements dans notre société, mais nous demandent “simplement” de nous désengager et de cesser nos frappes. Dès lors, il nous faut nous demander pourquoi nous intervenons dans ces pays. Mais cette réflexion ne se fait pas. D’ailleurs, même le Premier-ministre Valls a déclaré que tenter de comprendre les terroristes c’est déjà les soutenir!
En réalité, nous avons peur de regarder le terrorisme en face, de le comprendre totalement, car cette compréhension nous renverrait à nos erreurs. Nous sommes donc dans une situation où les terroristes nous connaissent mieux que nous les connaissons. N’importe quel ouvrage de stratégie vous dira que dans cette situation, nous avons déjà perdu face au terrorisme. De fait, il augmente régulièrement. Plus nous intervenons, plus nous perdons le contrôle de la situation, avec des conséquences que nous n’avions pas prévues, comme les vagues d’immigration massives que nous observons aujourd’hui. Ainsi, nos gouvernements s’agitent beaucoup pour enrayer le terrorisme, mais leurs actions ne font que nous mettre toujours plus en danger. Et ce, du niveau tactique au niveau stratégique.
Le gouvernement français a réussi ce tour de force à faire converger deux phénomènes, à l’origine totalement distincts: l’immigration en provenance des pays musulmans et le terrorisme. Pour des raisons évidentes, je ne m’étendrai pas sur les mesures opérationnelles prises après les attentats de Paris et de Bruxelles, mais dans leur ensemble, elles ont clairement accru la vulnérabilité de la population.
breizh-info.com : Les gouvernements Occidentaux n’ont ils pas fait une énorme erreur en refusant de cibler l’islamisme politique comme une des causes profondes du terrorisme ?
Jacques Baud : Le fondamentalisme musulman existe depuis longtemps et n’a jamais vraiment été un problème avant 1990, d’ailleurs il a été largement soutenu par l’Occident comme rempart au communisme durant la guerre froide.
Sa dimension politique – et sa virulence – est essentiellement le résultat des diverses opérations militaires et frappes occidentales.
breizh-info.com : qu’est ce qui explique le désastre de la politique étrangère de l’Occident depuis plusieurs années (Libye, Irak …) ?
Jacques Baud : Non seulement les interventions occidentales (essentiellement américaines) ont toutes été manigancées au moyen d’actions de désinformation qui sont toutes avérées aujourd’hui, mais chacune de ces interventions a également été présentée comme une solution à la crise précédente. L’Occident – mené en cela par les Etats-Unis – s’est donc trouvé pris dans une spirale de violence de laquelle il est politiquement difficile de sortir sans perdre la face.
Pourquoi les pays occidentaux se sont-ils engagés dans ces conflits? On ne peut trouver de réponse rationnelle à cette question, car au final l’Occident a perdu sur tous les tableaux. En revanche, si l’on considère le problème dans le court terme, on constate que ce sont les gouvernements faibles ou dont les résultats en politique intérieure sont faibles qui tendent à être les plus agressifs.
Un bon exemple est la participation de la France (et la Belgique) aux frappes en Irak en 2014 puis en Syrie, à une époque où l’Etat Islamique n’était pas considéré comme une menace pour l’Occident par les services de renseignements occidentaux, et dans un conflit duquel la France s’était prudemment tenue à l’écart jusque-là. Rappelons par ailleurs que l’attentat contre Charlie Hebdo n’avait pas été commandité par l’Etat Islamique, mais par Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique de l’aveu même des frères Kouachi. Ce cas est emblématique de la tendance observée depuis 25 ans: des actions hasardeuses, par lesquelles les gouvernements ont mis en jeu la vie de leur citoyens pour remonter dans les sondages…
Les théories du complot suggèrent l’existence d’un projet machiavélique et construit pour atteindre des objectifs stratégiques (destruction de nos démocraties, recherche du pouvoir mondial, etc.). C’est exactement le contraire ici: des politiques de court terme, sans compréhension du contexte, sans évaluation des conséquences et sans visions quant aux objectifs; mais qui sont des réponses “instinctives”, plus politiciennes que politiques…. avec pour conséquence que les pays occidentaux n’ont jamais voulu regarder le problème en face et ont évoqué un projet mondial salafiste pour détruire nos démocraties (“ce que l’on est et non ce que l’on fait”), suggérant ainsi une “théorie du complot” qui a permis de couvrir toutes nos erreurs, et qui a été habilement complétées par des injonctions du genre “expliquer c’est participer”.
Sans regard critique sur nos interventions nous enfonçons toujours plus dans des conflits qui – compte tenu de la présence musulmane dans nos pays – tendent à déborder chez nous, alors que terrorisme et immigration sont essentiellement des problèmes distincts… mais également mal gérés.
Breizh-info.com : La France semble particulièrement soumise au Qatar et à l’Arabie Saoudite. Mais nous n’avons rien à craindre militairement de ces deux pays pourtant ? Comment expliquez-vous ce changement de politique étrangère en France, qui fût l’ami des pays arabes laïcs.
Jacques Baud : Avec l’intervention au Mali, le gouvernement français a compris que les interventions musclées pouvaient contribuer à accroitre sa popularité, d’où l’insistance du président Hollande pour intervenir en août 2013 contre le régime syrien, au prix d’une désinformation dirigée vers le peuple et le Parlement français, et c’est le président Obama, plus avisé, qui a pu tempérer l’ardeur française à l’appui de renseignements plus solides.
Cette évolution est dommage, car depuis l’intervention américano-britannique de 2003, la France et sa diplomatie jouissaient d’un certain prestige et d’une crédibilité probablement inégalée dans cette région du monde, que l’on aurait pu mettre plus utilement à profit…
Breizh-info.com : Vous évoquez de nouvelles formes de terrorisme à venir . Lesquelles ?
Jacques Baud : Les terroristes islamistes ont très bien compris l’environnement dans lequel ils opéraient et ont adapté leur stratégie d’action en conséquence: un terrorisme totalement décentralisé, dont les acteurs agissent de manière indépendante, qui prennent leurs décisions de manière autonome en fonction de la situation et des décisions prises par les pays-cibles, et qui sont auto-financés.
La formation est assurée par des cours et des moyens didactiques disponibles “on-line”. Dès lors, on constate que l’action des services de renseignements occidentaux s’apparente à une chasse entre chats et souris, où les souris – comme dans “Tom & Jerry” – sont plus inventives et plus mobiles que les services de sécurité.
Breizh-info.com Les services de renseignements , en France notamment, n’ont-ils pas systématiquement un coup de retard ? Ont-ils réellement les moyens techniques et financiers de protéger leurs populations ?
En termes stratégiques, c’est l’Occident qui pourrait avoir l’initiative, puisque le terrorisme n’est qu’une réponse à nos interventions !
Mais comme nous n’avons pas compris cet avantage stratégique, nous laissons, en fait, l’initiative aux islamistes au niveau opératif et tactique. Pire, nous avons compris leurs modes d’action, mais pas leur philosophie d’action.
Dès lors, (et sans entrer dans les détails ici, pour des raisons évidentes) les mesures prises pour “empêcher” certains actes terroristes pourraient s’avérer considérablement plus catastrophiques que si aucune mesure n’avait été prise!
Nous sommes engagés dans une course où les terroristes auront toujours l’avantage de l’initiative, et qui – comme on le voit depuis vingt cinq ans – empire de manière régulière. La seule manière de résoudre le problème de manière durable est de remettre en question de manière critique nos engagements au Proche- et Moyen Orient.
Quels sont les objectifs que l’on cherche à atteindre? Les frappes vont-elles résoudre le problème? La France participe pour quelque 5% et la Belgique pour 1% aux frappes coalisées, quel en est le retour sur investissement? Lorsque les Etats-Unis et la France ont annoncé leurs frappes sur la Syrie et l’Irak, en été 2014 (alors que – je le répète – l’Etat Islamique n’était pas considéré comme une menace pour l’Occident) le nombre de combattants volontaires vers la Syrie a augmenté de 71% dans les six mois qui ont suivi. N’oublions pas que ce que nous faisons au Proche-Orient a une résonance immédiate dans la population immigrée en Europe.
Si aujourd’hui le nombre de combattants volontaires vers la Syrie diminue, c’est peut être parce qu’ils jugent plus utile de rester en Europe… et cela pourrait être mis en relation avec les menaces toujours plus importantes de l’Etat Islamique pour des actions encore plus violentes en France…
Il est indispensable d’initier une vraie réflexion sur le terrorisme, que l’on a complètement esquivée après les attentats de 2015, et qui devrait conduire à un travail plus approfondi des services de renseignement en amont de nos décisions politiques.
Breizh-info.com : Pour vous, un des problèmes majeurs est également le manque d’unité européenne et le fait que nos puissances soient dirigées et inféodées par les américains. cela peut-il changer dans l’avenir ?
Jacques Baud : Les puissances européennes ne sont pas dirigées ou inféodées aux Etats-Unis, mais elles se laissent trop souvent bercer par le chants des sirènes d’outre-atlantique. Les Américains sont très forts pour nous convaincre de prendre des mesures “robustes”.
Ils savent donner l’illusion de leur efficacité et depuis plus de 70 ans nous continuons à leur faire crédit. Les Américains ne veulent pas être les seuls dans leurs interventions au Moyen- et Proche-Orient, car ils ne veulent pas en payer seuls le prix du sang. Or, la sensibilité européenne est sans doute plus adéquate pour rétablir les choses.
La position courageuse de la France en 2003, avec le président Chirac, suivie par l’Allemagne est l’illustration d’une capacité intelligente des pays européens à traiter les conflits.
Malheureusement, il existe d’autres pays européens – notamment dans la “nouvelle Europe” de George W. Bush – que la crainte maladive de la Russie pousse dans une attitude beaucoup moins indépendante vis-à-vis des Etats-Unis. Mais c’est un autre débat…
Propos recueillis par Yann Vallerie
Terrorisme, mensonges politiques et stratégies fatales de l’Occident – Jacques Baud Editions du Rocher – 21€
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