08/04/2016 – 06H30 Milwaukee (Breizh-info.com) – Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque vendredi l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info ! L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la majorité de la presse subventionnée – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour nous, Européens, suite à l’élection d’un nouveau président de l’autre côté de l’Atlantique.
Le 5 avril 2016 : un tournant dans les primaires républicaines et démocrates ?
Ce 5 avril, l’Etat du Wisconsin s’est prononcé dans les primaires républicaines et démocrates. Ce vote est arrivé après deux semaines particulièrement calmes au niveau électoral aux Etats-Unis. Pourtant, les résultats ont provoqué l’un des chocs les plus importants de cette longue élection. Il y a trois semaines, les observateurs et les sondeurs donnaient Hillary Clinton et Donald Trump vainqueurs dans cet Etat, tout en restant prudents, affirmant que l’élection serait serrée de part et d’autre.
Après deux semaines de campagne intense, les résultats sont tombés. Une fois encore, les sondeurs se sont très largement trompés. En lieu et place d’un scrutin serré, Bernie Sanders et Ted Cruz ont obtenu tous deux de très larges victoires sur leurs adversaires respectifs avec plus de dix points d’avance sur leurs compétiteurs.
Ces résultats arrivent au pire moment à la fois pour Hillary Clinton et Donald Trump, alors que très peu d’Etats doivent encore se prononcer avant les conventions du mois de juillet.
La primaire républicaine : la résignation ?
Le Wisconsin est un petit Etat en comparaison du reste du pays. Chez les républicains, cette primaire n’apportait que 42 délégués, un nombre particulièrement limité s’il est comparé aux 1237 nécessaires pour obtenir la victoire et la nomination républicaine. Pourtant, pendant deux semaines, tous les regards s’y sont tournés.
La menace d’une absence de victoire d’un candidat est abordée depuis longtemps dans cette chronique. C’est cette menace qui a rendu le Wisconsin aussi important : sauf retournement de situation inattendu, il manquera probablement une centaine de délégués à Donald Trump pour lui permettre de remporter cette élection : une première depuis 1976 ! Avec un résultat aussi serré, chaque délégué compte.
Une victoire du milliardaire n’était pas seulement attendue : elle était aussi et surtout vitale pour sa campagne. En remportant cet Etat, il aurait été en mesure de prouver qu’il était réellement sur une pente ascendante dans la primaire et que la route vers la victoire était – enfin – ouverte. Son cuisant échec porte un coup très dangereux à ses ambitions présidentielles.
La remontée de Ted Cruz rend presque inévitable la tenue d’une convention négociée, divisée avant même qu’elle ne débute. La direction du parti républicain semble s’y être déjà résigné : des séances de formations aux règles d’une convention divisée et au rôle des délégués sont organisés dans l’ensemble du pays pour expliquer aux délégués élus le fonctionnement de la convention si aucun candidat ne dépasse les 1237.
*Les règles de chaque Etat diffèrent et peuvent faire légèrement évoluer le nombre de délégués « libres » en fonction de la tenue des différentes conventions qui se tiendront au cours des mois d’avril, de mai et de juin, ainsi qu’en fonction des règles qui seront votées au début de la convention. Ce chiffre est donc indicatif et pourrait varier d’ici à la mi-juillet de la manière suivante : les délégués gagnés par un candidat qui a abandonné la course pourraient finalement leur être liés plutôt que « libres ».
Cette possibilité n’est pas encore définitive. Il reste suffisamment de délégués à gagner pour permettre à Donald Trump ou à Ted Cruz de dépasser les 1237. Mais pour cela, l’un des deux candidats devra être en mesure de remporter un très grand nombre des délégués restants : 56% d’entre eux pour le milliardaire et 81% pour le sénateur du Texas. Or, jusqu’ici, Donald Trump n’est parvenu à remporter que 46% des délégués et 37% des électeurs contre 32% des délégués et 27% des électeurs pour Ted Cruz. Il est donc aujourd’hui fort probable qu’aucun candidat n’aura accumulé les délégués nécessaires au soir du 7 juin avec les résultats finaux des primaires. De plus, Ted Cruz accumule davantage de victoire et Donald Trump baisse dans la majorité des sondages.
Les électeurs républicains continuent d’espérer mais les cadres commencent à se résigner : il n’y aura pas de vainqueur à la primaire républicaine de 2016.
La primaire démocrate : sauvée par les Super-Délégués ?
N’en déplaise aux grands médias qui souhaitent ouvertement la victoire de Hillary Clinton, cette dernière ne parvient pas à creuser l’écart avec son adversaire d’extrême-gauche.
L’état de la primaire démocrate
Comme vous pouvez le voir sur cette carte, les démocrates américains sont très divisés, autant qu’ils l’étaient en 2008. Il est vrai que Hillary Clinton est parvenue à accumuler de fortes victoires au cours des premières semaines de la primaire, avec des scores particulièrement élevés. Elle a notamment réalisé un grand chelem dans les Etats du Sud, lui donnant une aura et un sentiment d’inévitabilité.
Deux phénomènes parallèles ont inversé la tendance et – étonnamment – n’ont pas été anticipés par les observateurs.
- La radicalisation à gauche du Parti Démocrate : au cours des années Reagan, la gauche américaine s’est profondément modérée face aux vagues républicaines successives de 1980, 1984 et 1988. La présidence Clinton a commencé à changer cela. Petit à petit, le parti s’est de plus en plus radicalisé et cette gauchisation s’est accélérée avec le président Obama. En 2008, Hillary Clinton se présentait comme la candidate « modérée ». En 2016, elle est vue comme l’héritière du bilan du président actuel. Dans le même temps, les mouvements les plus radicaux au sein du parti démocrate ont profité des vagues républicaines de 2010 et 2014 : lors de ces élections, de nombreux élus démocrates modérés ont perdu leur siège au profit de la droite, créant une occasion en or pour la gauche de la gauche de placer ses proches dirigeants à des positions stratégiques au sein du parti et faire pencher l’électorat vers leurs idées.Hillary Clinton s’est elle-même radicalisée vers la gauche depuis 2008, mais n’a pas assez anticipé l’ampleur du phénomène.
- Dans le même temps, une partie des électeurs démocrates traditionnels a quitté le parti le temps de ces primaires. J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’aborder ce phénomène : le discours de Donald Trump séduit beaucoup d’électeurs de gauche, en particulier sur les questions d’économie et de fermeture des frontières. Modérés mais en colère contre TPP et TAFTA, traités commerciaux soutenus par le président Obama et associés aux yeux des électeurs à Hillary Clinton, des centaines de milliers de démocrates traditionnels ont franchi la frontière politique pour voter en faveur de Donald Trump dans les primaires républicaines, faisant perdre à l’ex-première dame des voix cruciales sur lesquelles son équipe de campagne comptait.
Ces deux réalités nouvelles pour le parti démocrate ont fortement coûté à Hillary Clinton qui se retrouve dans une compétition particulièrement serrée avec Bernie Sanders dans la course aux délégués.
*Les Super-délégués démocrates sont les cadres et les élus du parti. Ils sont libres de leur vote le jour de la convention nationale. La majorité d’entre eux s’est engagée à soutenir Hillary Clinton mais ils sont libres de changer d’avis jusqu’à la convention démocrate qui se tiendra du 25 au 28 juillet 2016. En 2008, une majorité de super-délégués s’étaient engagés à soutenir Hillary Clinton au début de la campagne mais ont décidé d’élire Barack Obama alors que Clinton avait 300.000 voix d’avance sur lui dans la primaire.
Peut-elle être sauvée par les Super-Délégués ? C’est probable. Comme en 2008 contre Barack Obama, aucun des deux candidats n’est désormais en mesure de dépasser le chiffre de 2382 sans eux. Il y a huit ans, malgré une situation similaire, les cadres du parti démocrate se sont massivement détournés d’elle au dernier moment malgré leur soutien officiel promis depuis de longs mois.
La différence est dans le personnage que Hillary Clinton affronte cette année. Le sénateur Obama avait une bonne réputation auprès de ses collègues et était un fervent défenseur de la direction et des cadres du parti démocrate. Son image de rassembleur lui a permis de récupérer le soutien de nombre de ses collègues. Bernie Sanders est dans une position bien plus précaire. Malgré une forte popularité (Cf. la chronique sur la compétition des impopulaires (https://www.breizh-info.com/2016/04/02/41152/elections-americaines-2016-competition-impopulaires)) et une plus grande cohérence idéologique que Clinton, Sanders s’attaque ouvertement à la direction du parti démocrate qui, contrairement aux primaires républicaines, a son mot à dire dans le choix du candidat à la présidentielle. De plus, il n’est pas un sénateur démocrate. Bien qu’il ait été candidat à la primaire pour son siège du Sénat en 2006, il a refusé au dernier moment l’étiquette et est depuis l’un des deux sénateurs américains sans affiliation politique.
Cette situation, très différente de cette de 2008, pourrait assurer la victoire de Hillary Clinton mais, comme pour le parti républicain, cela ne sera déterminé qu’au moment de la convention nationale au mois de juillet sauf si Bernie Sanders décidait d’abandonner la course avant cela.
Les prochaines étapes électorales
La tension monte dans les deux campagnes. Sauf bouleversement dans les cartes, aucun candidat démocrate ni républicain n’arrivera avec suffisamment de délégués pour garantir sa nomination au cours des conventions des deux partis. Les batailles dans les prochains Etats auront deux objectifs dans les deux camps :
- Garantir l’élection d’un nombre suffisant de délégués pour chaque candidat pour – s’il le faut – favoriser la mise en place de règles les favorisants
- Montrer une image de gagnant et de favori en remportant un maximum de voix pour montrer aux délégués libres de leurs votes (délégués et super-délégués) quel est le candidat de chaque parti qui a le plus de chances de remporter l’élection et de représenter les valeurs de son parti.
A l’exception du petit Etat du Wyoming qui votera chez les démocrates ce samedi 9 avril, le prochain prix important pour les deux partis sera le 19 avril avec l’Etat de New York. L’un des plus peuplés du pays, il représente un challenge pour les favoris Donald Trump et Hillary Clinton. Ils y sont tous les deux favoris : le milliardaire y a grandi et son père y a construit sa fortune tandis que l’ex-première dame était sénatrice de cet Etat de 2001 à 2009. Ceci représente une véritable difficulté en termes de communication : perdre le 19 avril leur serait fatal, envoyant un terrible message aux autres Etats à venir. A l’inverse, le gagner ne leur apportera pas grand-chose (à part des délégués) : l’ensemble des électeurs s’attendent à leur victoire chez eux, ceci ne leur apportera pas de réel avantage en termes de communication.
Cet Etat votera juste avant le quatrième Super-Tuesday qui se tiendra le 26 avril, journée pendant laquelle cinq Etats du Nord-Est voteront en même temps.
Retrouvez les articles précédents :
1 – L’Iowa et Ted Cruz (5 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/05/usa-iowa-retour-sur-la-victoire-de-ted-cruz-aux-primaires-republicaines/)
2 – Le New Hampshire et Donald Trump (12 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/12/new-hampshire-retour-victoire-trump-primaire-republicaine/)
3 – Le décès du juge Scalia (19 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/19/elections-usa-les-consequences-du-deces-du-juge-scalia/)
4 – L’ascension de Donald Trump (26 février 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/02/26/39697/etats-unis-donald-trump-poursuit-son-ascension)
5 – Qui a réellement gagné le Super-Tuesday du 1er mars ? (4 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/04/40056/elections-americaines-qui-a-gagne-super-tuesday)
6 – La convention républicaine de 2016 : l’arrivée d’une crise politique majeure ? (11 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/11/40308/elections-americaines-convention-republicaine-de-2016-larrivee-dune-crise-politique-majeure)
7 – La primaire républicaine : une course à deux ou à trois ? (18 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/18/40559/etats-unis-la-primaire-republicaine-post-15-mars-2016-une-course-a-deux-ou-a-trois)
8 – Les conséquences des attentats du 22 mars sur les élections américaines (25 mars 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/03/25/40896/consequences-attentats-22-mars-elections-americaines)
9 – 2016 : la compétition des impopulaires ? (2 avril 2016) (https://www.breizh-info.com/2016/04/02/41152/elections-americaines-2016-competition-impopulaires)
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