26/02/2016 – 07h15 Sion (Breizh-info.com) – Ce dimanche 28 février 2016 se tiennent en Suisse les premières votations de l’année. L’occasion pour Erwan Pennarun, un Breton expatrié, de nous présenter les tenants et les aboutissants de votations qui apparaissent comme un modèle de démocratie en Europe alors qu’en France, la simple annonce d’un référendum pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes suscite un grand débat. Plongée dans une démocratie qui se porte bien …
Au début du mois, chaque citoyen a reçu dans sa boite aux lettres le matériel de vote qui se compose comme suit :
-un livret explicatif sur les objets soumis à la décision du peuple : à l’intérieur, on retrouve le libellé précis de chaque initiative, les recommandations de vote du Conseil Fédéral et du Parlement (Conseil National et Conseil des États; avec le nombre d’élus en faveur du texte, opposés et s’étant abstenus), un résumé des enjeux ainsi que les arguments des initiants et des opposants;
– des bulletins à remplir en écrivant ses choix dans les espaces prévus à cet effet (OUI, NON, ou – dans le cas d’un vote blanc – laisser vide) et par conséquent une enveloppe dans laquelle il faut y glisser ces bulletins;
– une carte de légitimation où le citoyen appose sa signature;
L’enveloppe contenant ce matériel de vote sert d’enveloppe de retour, que ce soit dans le cas d’un vote par correspondance (un timbre doit simplement être ajouté) ou directement dans l’urne à la commune dans laquelle le citoyen réside.
Vous l’aurez compris, tout est fait pour faciliter les choses. Malgré cela, il convient de signaler que les taux de participation en Suisse pour les votations sont souvent compris entre 40% et 50% . Ce qui – d’un côté – est faible et décevant démocratiquement, mais d’un autre côté les gens qui votent le font par conviction réelle. Ce qui reste préférable au fait de voter sans envie et surtout sans comprendre les enjeux. Et si l’on compare à la France (ou à la plupart des autres pays s’autoproclamant « démocraties »), il est tout de même plus souhaitable que 2 ou 3 millions de citoyens se prononcent sur une loi plutôt que quelques centaines de députés (élus ne représentant souvent qu’eux-mêmes).
Ce week-end, ce sont donc quatre objets qui sont soumis au peuple suisse :
1. Initiative populaire « Pour le couple et la famille – Non à la pénalisation du mariage »
Portée par le PDC (parti démocrate-chrétien, classé au centre-droit), cette initiative vise à corriger une inégalité fiscale frappant environ 80’000 couples mariés en Suisse par rapport à des couples non-mariés, au niveau de l’impôt fédéral direct (en ce qui concerne les impôts cantonaux, les couples mariés sont en général mieux lotis).
L’initiative veut inscrire dans la Constitution que les couples mariés forment une communauté économique du point de vue fiscal et qu’ils ne peuvent pas être pénalisés par rapport à d’autres modes de vie, notamment en matière d’impôts et d’assurances sociales. Le mariage doit définir l’union durable et réglementée par la loi d’un homme et d’une femme.
C’est justement ce dernier point de l’initiative qui suscite le plus de critiques et qui risque de faire qu’elle soit retoquée, alors qu’elle serait probablement passée sans trop de soucis sans cela. Les opposants voient là une façon déguisée de rendre plus difficile un éventuel « mariage pour tous », puisque la définition serait inscrite dans la Constitution. L’autre raison poussant le Conseil Fédéral et le Parlement à recommander de rejeter l’initiative, c’est que ces derniers souhaitent introduire à terme l’imposition dite individuelle (imposition séparée des couples mariés, au lieu d’une imposition conjointe).
Le dernier sondage indiquait le OUI en tête avec 53%, le NON étant crédité de 38% et les indécis étant encore 9%.
2. Initiative populaire « pour le renvoi effectif des étrangers criminels » (initiative de mise en œuvre)
En 2010, les Suisses se sont prononcés à 52.90 % en faveur de l’expulsion des criminels étrangers. Le texte prévoyait les crimes devant être sanctionnés par une expulsion. Disposant d’au maximum 4 années afin d’inscrire dans la loi la décision populaire, le Parlement l’a finalement fait en 2015 mais en y ajoutant une « clause de rigueur » laissant aux juges la possibilité de renoncer à une expulsion « Exceptionnellement, le juge peut renoncer à une expulsion lorsqu’elle mettrait l’étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l’expulsion ne sont pas prépondérants. Il doit notamment tenir compte de la situation particulière des étrangers qui sont nés en Suisse ou qui y ont grandi. »
Reprochant sa lenteur au Parlement et le fait de tergiverser sur la question, l’UDC, premier parti du pays, positionné à l’extrême-droite sur l’échiquier politique, et qui avait porté la précédente initiative acceptée, a lancé, en 2012, une récolte de signatures afin que le peuple revote sur le sujet. Peut être avaient-ils aussi anticipé – à raison d’ailleurs – que le Parlement ne respecterait pas à la lettre le choix des Suisses.
Là où il y a une polémique, c’est que l’initiative dite « de mise en œuvre » sur laquelle chaque citoyen Suisse doit se prononcer le 28 février, n’est pas un copié-collé de celle de 2010. Elle confirme certes l’automaticité de l’expulsion pour certains crimes. Mais elle ajoute une liste de délits (lésions corporelles simples, rixe, utilisation frauduleuse d’un ordinateur par métier, dénonciation calomnieuse, faux témoignage, etc.) qui – cumulés à une précédente condamnation au cours des dix années précédentes à une peine pécuniaire ou privative de liberté – entraînerait une expulsion automatique.
Les opposants à cette initiative craignent donc que des étrangers nés en Suisse, se fassent par exemple expulser du pays après un excès de vitesse conséquent et une bagarre dont il serait difficile de déterminer qui l’a provoqué.
Le score s’annonce très serré ce dimanche…
3. Initiative populaire « Pas de spéculation sur les denrées alimentaires »
Lancée par les Jeunes Socialistes, cette initiative demande à ce que les opérations financières spéculatrices soient interdites en Suisse, lorsqu’elles portent sur des matières premières agricoles ou des denrées alimentaires, comme par exemple le blé, le riz, le coton, le café, etc.
Selon eux les opérations spéculatives en lien avec ces produits font fortement fluctuer le prix des denrées alimentaires, provoquant en fin de compte pauvreté et famine.
Les opposants contestent ce point, et les milieux économiques – comme souvent – brandissent la menace de pertes d’emplois pour le pays avec de nombreuses délocalisations. De plus, ils donnent un argument classique, mais souvent efficace : si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre le fera de toute façon. Pour le côté éthique on repassera…
Pas de surprise attendue ce week-end, avec un refus très probable de l’initiative.
4. Initiative populaire « Modification de la loi fédérale sur le transit routier dans la région alpine (Réfection du tunnel routier du Gothard) »
Le tunnel du Saint-Gothard est un tunnel routier suisse qui traverse le massif éponyme. Il relie Göschenen dans le canton d’Uri au nord à Airolo au Tessin au sud sans passer par le col du Saint-Gothard. Mesurant 16,9 kilomètres de long, il est le deuxième plus long tunnel routier d’Europe et le quatrième du monde.
Le tunnel fut ouvert le 5 septembre 1980, pour répondre au « boom automobile » en Suisse et au développement des échanges entre le nord et le sud de l’Europe.
Ce tunnel étroit, à deux voies, n’avait pas été conçu pour les poids lourds. Le 24 octobre 2001, une collision entre deux camions provoqua un incendie dans le tunnel, tuant onze personnes (source).
Le tunnel doit faire l’objet d’une réfection en raison de son ancienneté, ce qui entraînerait une fermeture estimée à environ 4 ans. Le Conseil Fédéral et le Parlement souhaitent donc la construction d’un second tube, suivie de la réfection du tunnel existant. Une fois la réfection terminée, les deux tubes seraient exploitées sans toutefois augmenter la capacité du tunnel avec le maintien de la circulation sur une seule voie (de nombreux observateurs mettent en doute cette promesse). Un référendum a donc été lancé contre ce projet.
Sécurité et importance de la liaison entre la Suisse Italienne et la Suisse Allemande, face à environnement et paramètres économiques (un nouveau tube coûterait environ 3 milliards, contre 1.0 à 1.5 milliards pour une réfection).
Le peuple Suisse tranchera dimanche. Le OUI semble tenir bon, mais tout peut encore arriver.
Vous l’aurez compris, en Suisse, il y a peu de grands discours, pas de passage en force des politiciens, pas de manifestations avec risque d’incidents, pas d’occupation de zones comme à Notre-Dame-des-Landes : un bulletin de vote et la question est tranchée.
Erwan Pennarun
Crédit photo : DR
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4 réponses à “Votations en Suisse. Famille, immigration, routes, alimentaire, le peuple s’exprime ce dimanche”
La France n’a de démocratie que le nom.
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Bon résumé. Juste une petite erreur technique. Le dernier objet de votation n’est pas une initiative populaire mais un referendum. Instrument qui permet de bloquer une loi décidée par le parlement. https://www.ch.ch/fr/referendums/
C’est certainement mieux qu’en France, mais on voit très bien que même en Suisse, la tentation est grande de déformer les souhaits des citoyens, notamment sur l’expulsion des étrangers délictueux. D’où viennent ces forces contraires qui nuissent aux autochtones ?