Charlotte d’Ornellas – journaliste : « pour éviter la désinformation, il faut une fois de plus être honnête.» [interview]

13/02/2016 – 06h00 Paris (Breizh-info.com) – Depuis quelques années, une jeune femme occupe une place de plus en plus importante dans le journalisme de réinformation ; il s’agit de Charlotte d’Ornellas, qui travaille aujourd’hui pour Boulevard Voltaire, mais aussi occasionnellement pour de nombreux autres médias. Nous l’avons d’ailleurs retrouvée très récemment sur TV Libertés, comme nous l’avions présentée.

Afin de mieux découvrir Charlotte D’Ornellas, qui est aussi par ailleurs une bénévole très engagée sur le front humanitaire du Proche-Orient, aux côtés de Chrétiens d’Orient, nous l’avons interrogée. Elle nous parle à coeur ouvert de son métier, de ses idéaux, de son engagement caritarif.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Charlotte d’Ornellas : Orléanaise, j’ai rejoins Paris à 17 ans pour y étudier la philosophie, avant de partir pour l’Australie un an, et d’entrer en école de journalisme dès mon retour.

J’ai effectué mon stage de fin d’études au Liban, à L’Orient le Jour, avant de me lancer dans ce métier difficile mais passionnant de journaliste. J’ai gardé le goût de l’Orient, et j’ai continué à m’y rendre très régulièrement.

En France, je me suis mise à traiter toutes les questions de société, par intérêt de la chose politique bien plus que de la vie politique !

Breizh-info.com : Qu’est ce qui fait un bon journaliste pour vous ? Qu’est-ce qui vous a donné cette passion du reportage ?

Charlotte d’Ornellas : Tous les journalistes du monde ont des idées, une histoire, une éducation, des convictions, il est assez ridicule de faire semblant de ne pas être influencé par toutes ces choses. En revanche, cela n’empêche pas nécessairement d’être honnête !

Le métier est d’informer, alors on peut choisir les sujets par goût, les intervenants par intérêt, mais il faut être fidèle à ce que l’on entend, voit et constate et restituer ces rencontres dans leur contexte pour ne pas tromper le lecteur.

Je crois que ma passion pour le reportage est en réalité une passion pour beaucoup d’autres choses, en l’occurence mon pays et le Proche-Orient qui sont les deux terrains sur lesquels je me rends le plus.

Pendant trois ans, j’ai étudié Aristote et Saint Thomas qui m’ont appris à être réaliste, autant que possible, et je crois que nous souffrons terriblement de ne plus l’être. Partir en reportage et retranscrire ce que l’on voit, c’est une manière d’ancrer une histoire, un conflit, une époque, des personnages dans le réel. C’est le seul moyen d’être juste.

Ce qui est problématique, c’est que le réel lui-même est parfois accusé de parti-pris, mais là, je n’y peux rien !

Breizh-info.com : Pensez-vous que le développement d’un nouveau journalisme, dissident, utilisant essentiellement Internet, soit une bonne chose ? Comment ne pas tomber dans le piège de la désinformation d’un côté, du complotisme ou du mensonge de l’autre ?

Charlotte d’Ornellas : C’est évidemment une bonne chose, cela permet notamment de multiplier les sources et de les vérifier nettement plus facilement, pour répondre aux deux questions en même temps !

Je vous disais tout à l’heure que tous les journalistes ont des convictions, loin de moi l’idée de le reprocher à qui que ce soit… Mais ce qui est assez regrettable, c’est qu’une majorité de journalistes français (ou plutôt de médias pour être honnête) ait rigoureusement les mêmes.

Cela ne me dérange pas que les médias soient partisans, je voudrais juste qu’ils le reconnaissent, par honnêteté vis-à-vis de leurs lecteurs, et qu’ils acceptent dès lors le pluralisme sans accusation systématique et assez souvent illégitime.

Pour éviter la désinformation, il faut une fois de plus être honnête. La réalité ne va pas toujours dans le sens de ce que nous défendons, affirmons, revendiquons ? Et bien reconnaissons-le ! Si notre but est la Vérité, il nous faut rester humble, elle est difficile à trouver.

Pour ce qui est du complotisme, c’est la nouvelle accusation à la mode, cela recouvre un peu tout et n’importe quoi !

Il est évident que certaines personnes se servent d’autres, que certaines informations sont sciemment cachées ou déformées, qu’une bonne partie des hommes politiques se fiche pas mal de ses électeurs et que certaines « vérités » assenées n’en sont pas. Il faut donc cultiver son esprit critique, mais contre ses propres certitudes aussi. Rien n’est pire que le dogmatisme sur des sujets qui ne sont précisément pas des dogmes.

Enfin, le fait qu’il existe des forces politiques, idéologiques, médiatiques qui cherchent parfois à nous tromper et qui ont un pouvoir supérieur à celui d’un simple Français, ou même d’un groupe important de Français, ne doit pas devenir une excuse pour ne rien faire et se laisser abattre.

Il existe suffisamment de projets qui aboutissent contre toute attente et à contre-courant pour nous prouver que l’on peut défendre beaucoup de choses à notre humble mesure. Notre rôle n’est pas de sauver le monde, mais de l’éclairer avec justesse. Il ne faut pas perdre de vue que la Vérité rend libre, et que la liberté est contagieuse !

Pour éviter de tomber dans ces travers qui nous guettent inévitablement, je crois qu’il est donc nécessaire d’agir, et d’encourager l’action. On n’améliore rien en se vautrant dans l’indignation ou en ruminant les paroles ou les actes de nos adversaires.

Breizh-info.com : Vous êtes très impliquée aux côtés des chrétiens d’orient, notamment en Syrie. Comment est née cette vocation ?

Charlotte d’Ornellas : Elle est née de l’amour que je porte à cette région, mais également à mon pays.

Le Liban et la Syrie, qui sont les deux pays que je connais le mieux, sont passionnants à mille égards. J’aime leur identité assumée, leur culture défendue, leur spiritualité salvatrice… Et je sais combien elles sont précieuses puisque ce sont des choses pour lesquelles je me bats aussi en tant que Française, en France.

Dans ces pays, se trouvent des chrétiens qui sont aujourd’hui menacés par l’islamisme mais également – et depuis longtemps – par l’émigration. Je partage avec eux la foi, et ils sont donc effectivement mes frères, en Dieu.

Mais je sais aussi combien nous sommes différents, et combien il est important qu’ils restent les héritiers des premiers chrétiens dans le berceau même du christianisme que sont leurs pays. Si je m’engage pour eux sur le terrain ainsi que dans mes papiers, c’est pour dire qui ils sont, et ce qu’ils désirent plus que tout : rester chez eux.

C’est leur droit le plus strict, comme celui de n’importe quelle personne au monde d’ailleurs, et mon tropisme oriental ainsi que ma foi catholique m’ont naturellement poussée à partager leur combat.

L’enracinement n’est pas une fin, mais il est nécessité par la nature même de l’Homme, puisqu’il est corps et âme.

Je suis Française, et cet engagement lointain – quand on connaît l’état de la France – pourrait donc sembler être une fuite quand tant de combats sont à mener ici.

Mais cet engagement est aussi celui d’une Française. Quand Saint Louis a pris l’engagement de demeurer auprès de ces chrétiens orientaux, il représentait la France. Depuis, cette dernière a embrassé la République qui n’a cessé de rejeter – et encore très récemment à l’Assemblée nationale – ses racines chrétiennes. Je ne crois pas que l’on aille bien loin sans souvenir d’où l’on vient, et cet engagement pris il y a des siècles est donc encore le mien.

Breizh-info.com : Sur place, quelle est la situation ? S’est-elle améliorée depuis l’intervention russe notamment ? 

Charlotte d’Ornellas : J’imagine que votre question porte donc sur la Syrie, où la situation est dramatique pour tous les habitants, chrétiens ou non. L’islamisme fait des ravages partout dans le pays, et l’émigration menace désormais le peuple syrien lui-même.

Proportionnelement, évidemment, cette hémorragie est dramatique pour les chrétiens qui risquent tout simplement de disparaître de la région. L’effondrement de l’Irak a poussé peu à peu les chrétiens vers la sortie puisque les différentes factions islamistes qui s’affrontent sur le terrain s’entendent au moins sur une chose : les chrétiens sont considérés comme infidèles, et parfois même collaborateurs des Américains (summum de l’absurde quand on sait le mal que les Américains ont fait, et continuent de faire, aux communautés chrétiennes orientales).

Leurs voisins Syriens sont donc naturellement inquiets de subir le même sort. En Occident, on a parfois mal compris leur message, notamment politique. Il faut comprendre que là-bas, le religieux et le politique ne se tapent pas dessus, et lier les deux n’est pas un tabou !

Alors oui, les chrétiens soutiennent bien souvent l’armée et donc le gouvernement syrien en place, non pas forcément par conviction mais d’abord par nécessité. Les syriens savaient vivre ensemble avant cette guerre, et l’opposition syrienne, majoritairement islamiste, ne leur reconnaît aucun droit sur leurs propres terres… Comprenez que le choix est vite fait !

Ils ne sont plus dans le discours politique, mais défendent l’ordre qui est en place et qui est, au pire, un moindre mal. Eux n’ont pas les moyens de débattre des heures durant sur la démocratie ou les droits de l’Homme, la menace est sur le pas de leurs portes.

Leur situation est angoissante. Ils sont épuisés comme tous les Syriens, et doublement inquiets parce que s’ajoute à la fureur de ces djihadistes une haine anti-chrétienne assumée.

L’intervention russe a permis de nombreuses reconquêtes sur le terrain, ce qui leur remonte le moral. Ce n’est pas rien au terme de cinq ans de guerre ! Concrètement, cela n’a pas encore changé leur quotidien mais cela pourrait en revanche être rapidement le cas. A les entendre, il est en tous cas rassurant qu’une grande puissance vole enfin à leur secours, et se batte « réellement » contre l’État islamique…

Breizh-info.com : De nombreux bénévoles français se rendent sur place aider les chrétiens. Comment cette solidarité religieuse et humanitaire est-elle perçue ?

Charlotte d’Ornellas : L’association SOS Chrétiens d’Orient à laquelle j’appartiens envoie en effet beaucoup de volontaires sur le terrain pour vivre avec eux, partager un quotidien douloureux ou joyeux, apporter une aide nécessaire en cette période…

Une parole m’a beaucoup marquée au début de cette atroce guerre syrienne, lorsqu’une femme nous a dit en pleurant : « vous savez, nous avons toujours appelé la France la ‘tendre mère des chrétiens d’Orient’, mais nous n’arrivons plus à le dire… »

La plus belle mission de ces volontaires est justement de montrer aux Syriens qu’il reste une France qui ne les oublie pas. Car derrière ces volontaires, ce sont des dizaines de milliers de donateurs qui permettent leurs missions.

Cette solidarité est très bien perçue sur place, et s’ils en veulent au gouvernement français, ils sont nombreux à nous préciser qu’ils savent faire la différence entre la politique menée par un pays… et son peuple !

Breizh-info.com : Comment les Syriens au pays vivent-ils la fuite de tous ces hommes, jeunes, de leur pays, destination l’Europe ? 

Au terme de cinq ans de guerre, les Syriens comprennent tous que les conditions de vie terribles sont parfois proprement insupportables. Mais ils parlent bien souvent de cette émigration avec grande douleur.

« Vous avez encouragé la destruction de notre pays et vous favorisez désormais le délitement de son peuple », m’avait dit une jeune Syrienne, glacée par ces flux de migrants qui fuyaient son pays.

Ils sont nombreux à vouloir que les gouvernements occidentaux favorisent l’avènement de la paix dans la région plutôt que l’émigration massive de leur peuple.

Ils sont aussi parfois inquiets pour l’Europe, et précisent également que tous ne sont pas Syriens… La Syrie accueille depuis le début de la guerre des djihadistes venus de 80 pays différents. Ils savent aujourd’hui que leurs ambitions ne s’arrêteront pas aux frontières syriennes, et ne cessent de le rappeler.

Breizh-info.com : Vous avez par ailleurs réalisé une émission pour TV Libertés, « témoins à charge ». Pouvez vous nous la présenter, ainsi que la première émission ?

Charlotte d’Ornellas : L’idée de cette émission est d’aller sur le terrain et d’enquêter tant que possible sur un sujet précis, à partir d’un cas particulier. Le but est donc de se servir d’un exemple pour éclairer une problématique plus large.

L’ambition de cette émission est de montrer que les Français sont parfois les plus mal lotis dans leur propre pays, ce qui est injuste. Chacun sait que charité bien ordonnée commence par soi-même, et qu’il est assez orgueilleux de prétendre sauver le monde lorsque son prochain peine à vivre correctement.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Crédit photo : DR
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