16/07/2014 – 07H00 Nantes (Breizh-info.com) – Rien n’y fait ! Le désamour entre les Nantais et le Muscadet paraît manifeste. Ce divorce résulte de trois longues décennies d’errements, durant lesquelles, une production de grande diffusion, assise sur une production libérale, s’est appliquée à discréditer le grand potentiel du terroir. Cette macule de petit vin sacrifié à de grands rendements, prend ses origines dans le sillage du commerce hollandais au XVIIème siècle. A cet égard, le rôle de La douane d’Ingrandes-sur-Loire*, frontière commerciale occidentale du duché de Bretagne, se révèle primordial pour la compréhension du destin du vignoble breton.
La contrainte de son droit de passage a largement influencé l’avilissement progressif des vins du pays nantais. Au XVII et XVIIIème siècle, en dépit du rattachement du duché au royaume et avec un opportunisme fiscal bien compris, la barrière douanière perdure, elle va frapper lourdement les vins situés en amont (Anjou, Touraine). Sous la férule de ce régime fiscal, seuls des vins de qualité, dont le coût de revente supporte le poids de la taxe, sont à même de gagner leur statut de « vin de mer ». De cette époque, le chenin blanc cépage roi de l’Anjou, en retire un précieux bénéfice d’image qui le démarquera de son concurrent le melon de bourgogne ( cépage constitutif du Muscadet) .
A l’opposé, en aval d’Ingrandes, le vignoble nantais est encouragé à satisfaire la demande hollandaise « en vins de chaudière » destinés à la distillation. Pour ce débouché, le melon de bourgogne et la folle blanche (gros plant) qui se distinguent sur des jus à haute acidité et de grand rendement, se placent en pourvoyeurs tous désignés. L’exemption douanière encourage une véritable « fureur de planter* », la vigne se répand sur les terrains les moins favorables, au point de concurrencer les terres à blé. En somme, la distorsion de concurrence née de la douane, a créé les conditions pour l’émergence du premier vignoble de masse de l’Histoire et il est breton !
Des débuts peu glorieux, qui scellent néanmoins l’identité singulière du Muscadet, balancée entre l’image d’une piquette acide et le grand vin de terroir. Décidément, cet éternel incompris aime à se perdre dans le mercantilisme débridé. Notamment dans la décennie 80, lorsqu’au faîte de sa notoriété, son image se fourvoie dans une caricature sympathique de vin de soif bon marché à l’endroit des anglo-saxons. Aveuglée par une prospérité en trompe-l’œil, au mépris de ses fondements, l’appellation étend les surfaces jusqu’à 600 000 hectares. Le mirage de l’exportation à bon compte, entraîne le vignoble dans la spirale productiviste et son corollaire : la pollution des sols, quasiment stérilisés sur les sites de plaine par l’application outrancière de produits systémiques.
Le terrible gel de 1991* enraye l’envolée. Acculée à compenser la baisse drastique de leur production, l’interprofession augmente les prix. En conséquence le marché se retourne, la demande s’effondre, une crise de mévente plonge le vignoble dans une crise d’image durable et profonde.
Aujourd’hui, à la faveur d’un aggiornamento qualitatif spectaculaire, le vignoble dévoile sa véritable identité. Dans le droit fil des pionniers du vin de garde (André-Michel Brégeon, Guy Bossard, Bruno Cormerais, Pierre Luneau-Papin, Jean Douillard et Jo Landron) le travail d’une jeune génération de vignerons revendique désormais de grandes ambitions pour le Muscadet.
Le regain s’opère sous les auspices d’une nouvelle reconnaissance hiérarchique qui découle de l’identification des meilleurs terroirs classés en Premier Cru Communal *.Si un lobbying très actif s’évertue à redorer son image, le Muscadet éprouve encore le plus grand mal à se départir des fantômes du passé. Le temps de l’achat à vil prix chez le viticulteur (pas le vigneron) et du sabordage de son image en « tête de gondole » de supermarché est encore vivace. Au final, la défiance prévaut à l’égard de de sa revalorisation tarifaire, et le nantais de renâcler à l’achat d’un Muscadet haute couture revendiquant un prix des plus légitimes autour des 10€.
La mise en valeur de l’incroyable marqueterie de roches sonne comme une évidence pour asseoir les conditions du retour en grâce du Muscadet. Une prise de conscience qui permet de réaliser à quel point le « melon » réagit avec une étonnante plasticité aux différents types de sols qui lui sont dédiés. L’évocation souvent abstraite et confuse de la minéralité prend soudain une réelle consistance dans la dégustation d’un Muscadet de belle naissance. Lorsqu’il découvre sa complexité, le plaisir ne se relie pas à une sensation fruitée. La subtilité « rentrée » à ses débuts, dévoile une harmonie gustative inconnue, dispensée sous l’effet d’une lente alchimie entre le temps et les nuances aromatiques du terroir. Alors, des notes de pierres chauffées, des senteurs de menthol voire de curieuses odeurs légèrement « pétrolées », effacent l’austérité juvénile et annoncent la métamorphose du vin. Mais pour se dérider de la plus belle des manières, après une bonne décennie, le grand Muscadet de terroir doit emprunter un « itinéraire technique* » ponctué de plusieurs étapes, que le vigneron s’oblige à respecter.
Au premier chef le choix du terroir, qui se porte volontiers sur les roches acides de type granite de Clisson ou des formations spécifiques tels les gabbros* de Gorges. De cette liaison intime avec le substrat de la roche-mère, apanage des vieilles vignes à l’enracinement profond, le Muscadet en extrait une vaillance sans égale. Le site de coteau conjugué à de petits rendements joue également dans le renforcement de l’expression du terroir, somme toute le gage d’une vraie résistance à l’évolution.
Assurément pour atteindre un très haut niveau, le vigneron ne pourra faire l’économie d’une vendange manuelle, sourcilleuse de la maturité des raisins récoltés. Ce point cardinal est curieusement éludé par le cahier des charges des crus communaux, se gardant bien d’imposer une telle contrainte dans un vignoble ou les vendanges mécanisées restent encore la spécialité. Fort heureusement, dans les usages, la vendange manuelle est appliquée et produit d’ores et déjà ses effets. Les vins procurent de l’agrément dès leur prime jeunesse, ce qui rend dorénavant leur attente des plus douloureuses !
La valeur ajoutée du grand Muscadet repose avant tout sur le particularisme de l’élevage sur lies* prolongé (24 mois). Auparavant, cette pratique était plaquée aveuglément sur des vins de qualité très ordinaire, au lieu de se bonifier, le jus dénué de fruit était totalement soumis à l’influence aromatique des levures.
D’où une représentation janséniste du Muscadet, replié sur des arômes fermentaires plutôt rebutants, que le vigneron défendait en arguant de la patte du terroir et de cette obscure minéralité longue à s’exprimer…Quoi qu’il en soit, pareil profil ne plaidait pas pour son charme aromatique.
A présent, cet élevage détient toute légitimité. Loin de se limiter à l’apport d’un perlant tonifiant, son rôle va au-delà : il modèle des corps amples et charnus et prémunit le vin de toute oxydation prématurée*. Son application à des jus denses et fruités, superpose le gras à une finesse aromatique issue de la lente interaction entre le vin et ses levures. Elle induit surtout une vraie révolution des mentalités, dans une optique de garde, la vinification en pays nantais apprend les vertus de la patience.
C’est d’ailleurs sur le registre du vieillissement que le Muscadet prend la plus belle des revanches sur son éternel rival le chenin blanc de l’Anjou. Souvent glorifiés pour leur aptitude à s’abonnir dans le temps, les grands Savennières* de la décennie 90 ont failli à leur réputation. Sujets à une évolution accélérée, se dévoyant dès leur cinquième année dans une aromatique de coings confiturés quelque peu déroutante, ils déçoivent souvent en raison d’une fragilité récurrente au vieillissement.
Quant au petit vin nantais, il vient à surprendre son monde par son endurance. Une belle anthologie de millésimes (1947,59, 69 ; 71, 76, 87, 88, 89, 90, 93, 96,99) démontre l’ennoblissement du vin sous les parures du temps. Malgré tout, les Muscadets vinifiés pour le long cours, demeuraient l’exception et participaient d’une vision élitiste que l’on prêtait uniquement aux vignerons les plus audacieux de l’appellation. Plus récemment, les derniers millésimes font écho aux grands vins du passé avec une régularité inédite, preuve que le travail du vigneron influe sur le fameux « effet millésime »beaucoup moins perceptible qu’à une certaine époque…
Etayé par son acidité et puisant sa force dans le tréfonds de la roche, le Muscadet demeure l’un des rares vins blancs à pouvoir sauvegarder sa vigueur dans le temps. Mais aussi le seul vin capable de transmuer les tonalités des sols sans se perdre dans une déviance oxydative qui affecte ses homologues beaucoup plus réputés. Tandis que certains grands Bourgognes blancs se fanent après cinq années de bouteille, en contrepoint, le Muscadet s’éveille tout juste en distillant les prémices de son élégance.
Alors ! Que les Bretons mesurent le privilège de posséder à portée d’achat le dernier des grands vins blancs de garde, une race en voie d’extinction…
Raphno
Petit glossaire du Muscadet :
Douane d’Ingrandes : Petit village de bord de Loire (près de Champtocé-sur-Loire) célèbre pour sa douane qui matérialisait la frontière commerciale du duché de Bretagne.
Gel de 1991 : Les épisodes gélifs émaillent l’histoire du Muscadet, le terrible hiver de 1709 a consacré le « melon »grâce à sa résistance au froid, une qualité qui a répandu sa plantation.
Premier cru communal : En 2011, L’INAO entérine le travail de sélection des terroirs les plus aptes à enfanter de grands muscadets de garde. Trois communes sont consacrées en Premier cru Communal :Le Pallet, Clisson , Gorges, les vins sont régis par un cahier des charges plus contraignant ( rendement, taille, élevage).
Evolution prématurée ou oxydation prématurée : Quand les symptômes de l’oxydation (La couleur se brunit anormalement, altération des arômes) se manifestent avant 5 ans, cela traduit une anomalie de la courbe d’évolution du vin.
Itinéraire technique : chemin pris par un vin de la vigne jusqu’à la bouteille, les multiples étapes conditionnent sa qualité et son style.
Savennières : En Anjou, appellation de la rive droite dédiée au chenin blanc, renommée pour l’excellence de ses vins blancs secs. Pour autant, leur réputation de grand vin de garde s’avère discutable, à commencer par la fameuse Coulée de Serrant, coutumière d’oxydation prématurée !ce qui est pour le moins dommageable s’agissant d’un vin vendu aux alentours de 50 euros la bouteille…
La fureur de planter : expression usitée par l’intendant Boucher au XVIIIème siècle dans un célèbre rapport pour le roi Louis XV consacré à l’excès de plantation dans le bordelais.
Elevage sur lie : L’élevage sur lie caractérise le Muscadet, cette mention réglementée est apposée sur les vins d’appellation d’origine si le vin a séjourné sur ses lies pendant tout l’hiver. Les lies (levures mortes) forment un dépôt blanchâtre dans la cuve, leurs propriétés anti oxydantes expliquent sans doute la bonne résistance du Muscadet dans le temps.
Gabbros : Roche d’origine plutonique, le terroir de Gorges est situé sur un socle de gabbro, il en résulte des vins assez tardifs, prenant du temps à s’ouvrir mais redoutablement endurants.
Quelques crus communaux hautement recommandables :
Clisson 2005, domaine de la Perrière, Christian Pineau
Clisson 2007,domaine Bruno Cormerais
Le Pallet 2003 des frères Futeul , château de la Mercredière
Le Pallet 2007, des vignerons du Pallet.
Le Gorges 2002 de Damien Rineau, domaine damien Rineau
Le Gorges 2005 de véronique Gunther-Chéreau, château du Coing
Crédit photo : Wikipedia
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5 réponses à “Muscadet : le dernier des grands vins blancs de garde”
L’impulsion de grands professionnels est importante, mais l’évolution des technologies joue aussi un rôle, en particulier la maîtrise du levurage et des températures de fermentation (qui a certes engendré naguère des muscadets au goût de banane ou de fraise tagada…).
Article très intéressant et instructif.
Un changement de mentalite et un questionnement permanent vont porter ces fruits. Un tel article pousse a la decouverte pour en finir avec les apriorsi des Muscadet de cuisine. Que Les Nantais viennent visiter leur Vignoble.
Ca y est ? Vous avez placé tous vos mots ? ;^P
Très bon article, merci de donner de la clarté à ce qu’est le muscadet aujourd’hui !